Les cinquante ans du « boom » du roman hispano-américain

L’année 1962 est à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire de la littérature hispano-américaine : le Péruvien Mario Vargas Llosa était primé pour La Ville et les Chiens, le Mexicain Carlos Fuentes publiait La mort d’Artemio Cruz, le Cubain Alejo Carpentier faisait paraître son chef d’œuvre, Le Siècle des Lumières.

Il y a cinquante ans, commençait le « boom » du roman latino-américain, qui continue à susciter des passions et des interrogations.

Il y a à la base un phénomène éditorial : des maisons d’édition espagnoles découvrent et lancent des auteurs plus ou moins connus, dont les œuvres n’avaient pas encore une circulation au-delà de leurs frontières. Des traductions prennent le relais.

L’épicentre est à Barcelone, qui remplace Buenos Aires et  Mexico pour la diffusion de la littérature hispanique. Les Espagnols sont avides d’une audace thématique et stylistique que la censure franquiste ne tolère pas chez les écrivains du cru.

Cependant, la sociologie et l’économie ne suffisent pas à expliquer une maturation littéraire, qui s’exprime par la publication d’œuvres décidément modernes, capables de trouver un nouveau public. Les années 1960 voient paraître Marelle de l’Argentin Julio Cortazar, Cent ans de solitude du Colombien Gabriel Garcia Marquez, Trois tristes tigres du Cubain Guillermo Cabrera Infante, Ramasse-Vioques de l’Uruguayen Juan Carlos Onetti, Paradiso du Cubain José Lezama Lima, Héros et tombes de l'Argentin Ernesto Sabato, Ce lieu sans limites du Chilien José Donoso, La trahison de Rita Hayworth de l’Argentin Manuel Puig (liste non exhaustive).

Les auteurs du « boom » n’appartiennent pas à la même génération, ils n'empruntent pas les mêmes voies, malgré des convergences occasionnelles. Deux d'entre eux ont reçu le prix Nobel, Garcia Marquez et Vargas Llosa.

L’histoire n’avait pas commencé avec eux. Le Mexicain Juan Rulfo, précurseur du « réalisme magique », avait déjà cessé d’écrire. L’Argentin Jorge Luis Borges s’était fait connaître auparavant sur la scène internationale, grâce à Roger Caillois.

L’essor n’a pas cessé à la fin de la décennie, comme le montre Moi le Suprême du Paraguayen Augusto Roa Bastos ou l’œuvre plus tardive du Chilien Roberto Bolaño.

Le « boom » a ouvert la voie à des écrivains parfois écrasés par le poids de leurs aînés. La MGM (« Maten a Garcia Marquez », Tuez Garcia Marquez) faisait partie de l’humour noir cultivé par des Colombiens, avant même qu’il n'ait eu le prix Nobel. Le « réalisme magique », vécu souvent comme une plaie, a néanmoins libéré beaucoup d’auteurs des pesanteurs naturalistes, note le Mexicain Jorge Volpi, dans une série de textes du quotidien El Pais pour célébrer les cinquante ans du « boom ».

Privilégiant le roman, alors qu’il était décrié ou déconstruit ailleurs, les écrivains latino-américains se sont avérés d’excellents lecteurs d’auteurs anglo-saxons, Faulkner surtout, mais aussi Joyce pour les plus ludiques. Flaubert n’était pas oublié pour autant.

Malgré leurs distances à l’égard des lettres espagnoles, Cervantes et Valle-Inclan figuraient dans leurs bibliothèques. Beaucoup d'entre eux ont une dette à l'égard du cinéma.

La culture d’Amérique latine n’a cessé d’évoluer depuis deux siècles dans une relation triangulaire avec l’Europe et les Etats-Unis.

L’intensité et le sens de chacun des trois pôles varient selon les époques, les modernistes d'un moment se transforment en académiques lors d'une phase ultérieure, et inversément. Ce triangle, principale singularité de la culture latino-américaine, reste le meilleur antidote contre les schémas binaires et les manichéismes.

Les Brésiliens étaient un peu agacés de voir leurs voisins s’approprier la représentation littéraire de la région. Preuve que la langue est le véritable territoire de la littérature. Le « boom » était hispano-américain et non pas latino-américain, même si certains commentateurs bien intentionnés ont essayé d’y inclure les Brésiliens Jorge Amado ou João Guimarães Rosa. Le circuit n’était simplement pas le même, malgré leur contemporanéité.

Aujourd’hui, bien plus que pendant les années 1960 ou 1970, les échanges entre le Brésil et l’Amérique hispanique amorcent des références partagées au-delà des barrières linguistiques. Même si la littérature n’en est pas le moteur, elle profite de l’internationalisation de l’audiovisuel et des musiques.

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Photo Garcia Marquez

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