Permis de tuer ?

Karl Paolo

Ce n’est pas du film de la série « James Bond » dont je veux parler mais d’une loi votée en octobre 2017, sous la présidence de François Hollande.

Pourtant, me direz-vous, la peine de mort a été abolie en septembre 1981. Vous avez raison !

En effet, fidèle à la promesse faite pendant la campagne présidentielle de 1981, François Mitterrand, dès sa prise de fonction, demanda au garde des Sceaux, Robert Badinter, de préparer un projet de loi abolissant la peine de mort. Un sondage publié le premier jour du débat à l’Assemblée nationale, donnait 62 % d'opinions favorables au maintien de la peine capitale.

Le discours à l’Assemblée nationale du ministre de la Justice de l’époque, Robert Badinter disait ceci :

« Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à vous, il n'y aura plus pour notre honte commune, des exécutions furtives, à l'aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises. Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées. »

Afin de rendre en France l'abolition de la peine de mort irréversible, une révision constitutionnelle, menée par le président de la République, Jacque Chirac, a permis d’y inscrire un article unique, ainsi rédigé : « Art. 66-1. - Nul ne peut être condamné à la peine de mort. »

Qu’est-ce que cela signifie ?

Cela veut dire qu’aucun acte, aucun crime, quelle que soit les circonstances dans lesquelles il a été commis, ne peut être sanctionné par la peine de mort.

Qu’en est-il dans les faits ?

C’est au nom du refus d’obtempérer que Nahel, 17 ans, a été exécuté d’une balle en pleine poitrine, par deux motards de la police nationale dont l’un, l’arme à la main, l’avait déjà mis en joue.

Mais qu’est-ce que le refus d’obtempérer ?

C’est un délit constitué dès lors qu’un usager refuse de s’arrêter après qu’il en ait reçu l’ordre de la part d’agents de police ou de gendarmerie clairement reconnaissables, grâce à leurs insignes et à leur uniforme notamment.

Le refus d'obtempérer est condamné par 3 mois d'emprisonnement et 3 750€ d'amende.

Pas d'une balle tirée à bout portant comme cela a été le cas du jeune Nahel.

D’où vient cette situation ?

Le point de bascule se situe en 2017, à la fin du quinquennat désastreux de François Hollande, assisté d’un premier ministre, Bernard Cazeneuve, par ailleurs ancien ministre de l’Intérieur.

En effet, dans la foulée des attentats de 2015, une loi relative à la sécurité publique en date du 28 février 2017 a modifié les règles d'usage de leur arme de service par les policiers :

Que dit-elle ?

L'agent est autorisé à ouvrir le feu s'il considère que les occupants d'un véhicule sont « susceptibles » de nuire à sa propre vie ou à celle d'autrui.

Les mots importants sont « considère » et « susceptibles » qui impliquent un jugement purement personnel et donc subjectif ainsi qu’une évaluation, toute aussi personnelle, du danger existant.

Un fait susceptible de se produire est un acte dont on n’a pas la certitude qu’il se produira, l’appréciation étant laissée au gendarme ou au policier.

Par exemple, votre fils ou votre fille a pu vous dire : papa, maman, j’ai travaillé régulièrement et je suis susceptible d’avoir mon bac ou mon CAP. C’est possible mais pas certain.

Autrement dit, en l’absence de tout fait réel constituant une menace, le policier comme le gendarme peut ouvrir le feu ….. préventivement, au risque de tuer …. définitivement.

En 2022, 13 personnes ont été tuées pour refus d'obtempérer, contre 4 en 2021 et les policiers ont tué quatre fois plus de personnes pour refus d'obtempérer en 5 ans que lors des 20 dernières années.

A comparer la France avec ses voisins européens, le verdict est sans appel : un mort en 10 ans en Allemagne contre un par mois en France pour refus d’obtempérer. La police et la gendarmerie française ont tué par tirs 50% de plus que la police allemande et 377% de plus que celle de la Grande Bretagne. L’essentiel de ce « sur-homicide » en France est le fait de la police, avec trois fois plus de tirs mortels que la gendarmerie.

En 2017, plusieurs députés de gauche, rassurez-vous, pas les nôtres, avaient alors critiqué cet article L435-1, déplorant une surenchère sécuritaire permanente ou critiquant un texte qui tente de répondre d’une mauvaise façon au mal-être des policiers dans l’exercice de leur fonction, sans tenir compte du malaise grandissant à l’égard des policiers chez de nombreux citoyens.

N’était-il pas envisageable de restreindre les tirs de forces de police et de gendarmerie aux pneus ou au moteur des véhicules au lieu de tirer dans l’habitacle, au risque de blesser ou de tuer des passagers ?

N’aurait-on pas dû donner comme instruction aux policiers comme aux gendarmes de ne pas se placer devant ou derrière les véhicules des personnes interpelés pour éviter d’être mis en danger en cas de fuite ?

On a fait le contraire, incitant potentiellement certains policiers et gendarmes, à se comporter en « schérif » en allant au contact. D’où l’expression « permis du tuer ».

Le fait est que la promulgation de la loi de 2017, qui permet aux policiers une lecture très discutable quant à l'usage du feu, a eu pour conséquence directe de faire augmenter le nombre de tirs sur véhicules en mouvement et d’accroitre la fréquences des atteintes à la vie des citoyens par la police.

Des refus d’obtempérer, il y en a en Martinique. Mais fort heureusement, à ce jour, nous n’avons pas eu à déplorer de décès dus à l’usage de leurs armes par les forces de police et de gendarmerie. Mais nos fils et nos filles qui sont en France peuvent y être exposés !

Mais qui peut garantir que cela n’arrivera pas d’autant plus que l’importance du volume d’armes à feu en circulation ne peut qu’accroitre le sentiment d’insécurité de tous.

Que disent nos parlementaires à ce propos ?

Jeudi 6 juillet dans l’après-midi, deux automobilistes refusent d'obtempérer à hauteur de Mahault au Lamentin lors d'un contrôle routier avant d'essayer de prendre la fuite. Dans leur course, ils percutent trois voitures, dont un véhicule de police avant d'être interceptés. Etendus à même la route, les deux individus ont été placés en garde à vue.

Cependant, étaient-ils indispensables de les laisser par terre alors qu’ils étaient menottés au lieu de les faire asseoir dans un véhicule de la police ? N’est-ce pas en contradiction totale avec le Code de la sécurité intérieure qui stipule de préserver la dignité de toute personne appréhendée ?

 

Commentaires

KARL, MOLI AN MAIL

MONTHIEUX Yves-Léopold

23/07/2023 - 09:43

Excellent effort didactique, comme d'habitude. Ou presque, à la réflexion. Je propose un commentaire à la « Karl ». Kra kra kra. Ainsi donc, le policier aurait été jeté en prison pour avoir trop scrupuleusement observé la loi. Tout juste, peut-être, un excès de zèle, il y aurait donc arrestation abusive. Et l’on s’acheminerait vers une erreur judiciaire. Vite, Karl, un édito pour dénoncer ce fourvoiement de la justice ! Sinon, avec un petit effort on pourrait trouver d’autres exemples de ce « permis de tuer ». « Avis défavorable au recours » ou « recours à rejeter » : écrits de sa main à l’encre bleue, voilà les deux formules préférées qu’un certain François Mitterrand, ministre de la Justice, apposait sur une trentaine de dossiers de recours en grâce déposés par des condamnés à mort d’Algérie. On comprend mieux que, devenu Pdt de la Rép, il ait eu hâte de tenter de supprimer ce fait d'armes en nommant Garde des Sceaux l’abolitionniste Robert Badinter. Depuis, c’est lui l'authentique, le Grand Abolitionniste devant l’Eternel. Entre Mitterrand et Hollande (cité dans l'édito), moli an mail pour ce dernier.

MITTERAND ?

Albè

23/07/2023 - 11:19

Que vient faire là Mitterrand ? Et la guerre d'Algérie ??? Ce pays a gagné son indépendance en 1962 et donc depuis une bonne soixantaine d'années. Donc l'évoquer revient à faire diversion (mais c'est la grande habitude dans la rubrique "Commentaires" de ce site) pour tenter de faire oublier que la police française est majoritairement raciste. Seuls 20 ou 30% d'entre elle ne l'est pas. Et être Antillais ne vous protège pas du tout car la carte d'identité n'est marqué sur le visage de personne.

Rectification

Karl

23/07/2023 - 16:29

La première phrase de mon article, "Permis de tuer" dit ceci : Ce n’est pas du film de la série « James Bond » dont je veux parler mais d’une loi votée en octobre 2017, sous la présidence de François Hollande.

Vous aurez rectifié de vous même, il s'agissait de la LOI n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique et non en octobre 2017, date à laquelle d'ailleurs François Hollande n'était plus Président de la République, fonction alors occupée par Emmanuel Macron.

J'avoue ne pas comprendre ce…

Karl

23/07/2023 - 17:02

J'avoue ne pas comprendre ce commentaire : "Ainsi donc, le policier aurait été jeté en prison pour avoir trop scrupuleusement observé la loi. Tout juste, peut-être, un excès de zèle, il y aurait donc arrestation abusive".
Je ne crois pas m'être intéressé à la situation du policier auteur du coup de feu mortel qui a mis un terme à la jeune vie de Nahel. Sans les vidéos qui ont clairement montré les circonstances dans lesquelles l'interpellation du véhicule au volant duquel le jeune Nahel se trouvait ainsi que qui ont conduit le policier à mettre Nahel en joue et à faire feu, aurait-on su la vérité?
J'ai traité de la contradiction entre d'une part, l'abolition de la peine de mort pour tous les crimes, même les plus odieux et, d'autre part, le fait d'autoriser policiers et gendarmes à faire usage de leur arme de service L'agent est autorisé à ouvrir le feu "s'ils "considèrent" que les occupants d'un véhicule sont « susceptibles » de nuire à sa propre vie ou à celle d'autrui". En somme, en quelques secondes, ce policier et ce gendarme élabore une hypothèse et sans que celle-ci n'ait à être corroboré par un élément objectif quelconque, toujours dans la même fraction de seconde, il tire, non dans les pneux, non dans le moteur mais dans l'habitacle. C'est en effet, un "permis de tuer" et c'est bien ainsi qu'il est mis en oeuvre par ceux qui, à l'époque, l'exigeaient!!!
J'ai déjà connu l'excellent Yves Léopold Monthieux mieux inspiré. Un restant d'esprit de corps, peut être?

NICH FONMI

MONTHIEUX Yves-Léopold

23/07/2023 - 21:41

Lorsque tu dis que le policier a reçu un "permis de tuer", je sais que cette image que tu empruntes à la presse française n’est qu’une image qui, certes, n’enlève rien à la gravité du sujet que tu veux souligner. J’ai aussi bonne conscience que tu ne vises pas un individu, surtout pas au vu des exemples que tu prends qui ne servent qu’à surligner la contradiction dont tu parles ; mais qu’Albè pourrait ne pas apprécier pour cause de diversion. Sans relire l’édito, il ne semble pas que tu aies visé le racisme, mais le pouvoir exorbitant confié à la police. D’ailleurs, le racisme est dans ton texte autant hors sujet que Mitterrand, sauf que tu parles de permis de tuer (non de permis de tuer le blanc, le jaune ou le noir) et que Mitterrand délivrait ce permis. A la réflexion, évoquer l’ancien pdt de la rep fait moins diversion que l’exemple de cet enfant d’école qui n’est pas certain d’avoir le bac. Enfin, l’animateur de ce blog peut en témoigner, j’ai assez écrit sur la police et sur le racisme dans la police, et pas seulement, pour ne pas être suspecté de quelque faiblesse que ce soit sur ces sujets et assigné par mitraillage à une quelconque résidence.

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