En 1983, en Martinique, qu'avait laissé la droite à la gauche ?

Yves-Léopold Monthieux

     Dans l'article ci-après, notre notre chroniqueur Yves-Léopold Monthieux, répond à l'un de ses amis, Albert D... qui souhaite garder l'anonymat...

 

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   Mon cher Ami,

   J’ai lu ton intervention sur Facebook : “La gauche depuis 1985, quels résultats ?”. Ta réflexion m’a conduit à t’écrire quelques mots qui se sont transformés en lignes puis en la chronique que voici.

   En contrepoint de ta question, je te soumets quelques résultats obtenus par le Conseil général de 1960 à 1983, que je considère comme la part martiniquaise des “30 Glorieuses” de l’après-guerre. Cela commence par une petite désillusion que peu de monde connaissent, mais très peu, et qui s’est produit au lendemain des incidents de décembre 1959. Le sénateur Marcel Gargar, qui était très sur la balle comme le sont en général nos amis de Gwada, avait su convaincre le gouvernement de transférer dans la calme Guadeloupe le CREPS qui avait été prévu pour la Martinique, alors agitée. Un peu comme pour le Tep scan annoncé pour la Martinique par François Hollande puis affecté sans crier gare à notre voisine la Guadeloupe. Le président français avait-il répondu comme à un défi à la phrase stupéfiante de Serge Letchimy “je ne demande rien, ...j’exige tout” ? A toi de mesurer le bénéfice, ne serait-ce qu’en terme de notoriété, que ce centre complémentaire de l’Université des Antilles apporte à l’île sœur. A l’image d’autres instituts que Gwada a su agréger à l'université alors que la Martinique s’occupait de statut. Il y aurait quelque chose de ressemblant pour le choix de l’aéroport, mais, pour l’heure, je n’en ai pas l’assurance.

   Sinon, une série de mesures nationales et locales ont été prises au cours de cette période sans précédente de 23 années qui n’ont pas eu d’équivalent à ce jour. Pour la part de l’État, la plus importante, on peut citer en vrac le BUMIDOM, le SMA, les nouvelles compétences du conseil général, la réforme foncière, l’Université, l’abattement fiscal, les quotas d’exportation, la SARA, la cimenterie, France-Antilles. Toutes décisions qu’on pourrait qualifier de structurelles, même en ce qui concerne le BUMIDOM qui a survécu à sa suppression à travers les organismes successifs qui lui ont été substitués.

   Observons qu’il n’existe pas d’autre pays dans le monde que la Martinique, où tous les partis autonomistes et indépendantistes se soient retrouvés, sans discontinuité ou à tour de rôle, pendant 40 ans, en charge des affaires de ce pays. En Guadeloupe il n’y a jamais eu de parlementaires ou autres élus d’envergure qui ait été indépendantistes. Observons encore que dans des conditions aussi favorables, à l’exception de la suppression du mot “département” (pas de son contenu), de l’érection d’une collectivité unique dont personne n’est satisfait, et de l’adoption au forceps d’un drapeau et d’un hymne national, ces partis n’ont pas su réaliser une once de leur objectif politique qui était de mettre à bas le statut de la Martinique ou, à tout le moins, le système assimilationniste. Ils n’ont pas réussi à obtenir de la population le moindre intérêt pour cette évolution, comme l’ont démontré les 2 consultations populaires qui leur avaient été proposées par 2 présidents de la République de droite, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Tout au plus, la vingtaine d’années consacrées au débat sempiternel sur le statut a-t-il généré un virus propice au développement du racisme, de la haine, de la violence et l’inclination vers le magico-religieux. Sur ce terrain marécageux où le sectarisme prospère, les grandes religions n’ont pas l’air de vouloir se laisser distancer. Ici on parle de plus en plus de “haïtianisation” quand il est fait état en France de “mexicanisation”. Des rappels à des situations qui ne rassurent pas en ce moment de vacuité politique propice à tous les avatars.

   Cependant, afin de faire un lien plus direct avec le propos de mon ami, qui indique sans le dire que les 40 dernières années de pouvoir peuvent être considérées comme blanches quant aux réalisations structurelles, donc perdues pour le développement de la Martinique, il convient d’énoncer les résultats obtenus par les élus qui les ont précédés. Autant que la réforme foncière qui a structuré le paysage martiniquais, le réseau routier a été un élément essentiel pour l’aménagement et le développement du territoire. A l’exception de la jonction faite entre le Plateau Fofo et du campus de Schoelcher, aucune voie nouvelle significative n’a été percée depuis l’avènement du Conseil Régional et l’arrivée d’une majorité nouvelle aux affaires. Stoppée net, la route reliant Le Lamentin et Le Marigot est encore en état d’inachèvement. Suspendue à cause d’atermoiements de ses élus, la Rocade de Fort-de-France a été juste achevée par la gauche. La route reliant Fort-de-France au Marin a été entièrement construite avant 1983, y compris des deux ouvrages de Trou-au-Diable, à Ste Luce et de la Rivière Pilote, construits malgré les votes négatifs de l’opposition de gauche. Rappelons les travaux colossaux du Nord caraïbe réalisés dans le roc, ceux du Nord atlantique, les rocades qui ont servi à éviter les villes de Ste Marie, Trinité, Robert, Lamentin, Ducos, Rivière-Salée, Ste Luce, Rivière-Pilote, Le François, Le Vauclin, Schoelcher, Case-Pilote.

   Des réalisations qui, du nord au sud de la Martinique portent tous, seulement à l’encre sympathique, le nom de Michel Renard, le bouillant maire-conseiller général du Marigot, le créateur de la première communauté de communes de la Martinique et l’inamovible président du Fonds d’investissement routier (FIR). Ce dernier fut l’initiateur du barrage de la Manzo, infrastructure qui s’avérera indispensable aux agriculteurs du Sud. Il en avait confié l’étude à un cabinet d’expertise européen, de même qu’il avait engagé le polytechnicien Christian de Verclos, l’un des rares cadres ayant survécu à l’arrivée de la gauche, en 1983. Relayant les observations négatives d’un cabinet d’études français, ce dernier avait émis de vives réserves au sujet de la construction du port de Grand Rivière.

   En tout état de cause, la quasi-totalité de ces structures continuent de démontrer leur pertinence. Certaines ont été améliorées comme l’élargissement de certaines voies ou la construction de ronds-points, de Ste Anne au pied de la Montagne Pelée ; d’autres ont été négligées comme le barrage de la Manzo ou la maintenance du réseau d’eau potable. D’autres encore, parfois novatrices, ont été abandonnées comme l’aquaculture qui avait été portée par Jean Bally puis Miguel Laventure, ou, devant l’évidence, ont été timidement repris, comme l’activité touristique dont le sort réservé au Golf des 3 Ilets, qui fut la parfaite illustration des tergiversations idéologiques. D’autres, enfin, qui étaient en projet comme le téléphérique de la Montagne Pelée envisagé par Emmanuel Lucien et repris par Pierre Petit, furent simplement ignorés.

   Cher ami, je reformule ta question : qu’a fait la gauche de structurant pour la Martinique depuis le départ de la droite, en 1983 ?

   Fort-de-France, le 3 novembre 2024

   Yves-Léopold Monthieux

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