C’est une première en France : le Parquet européen ouvre une enquête sur la base d’un rapport de la Chambre régionale des comptes de La Réunion

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Depuis le début de la semaine, des magistrats du Parquet européen, assistés de policiers parisiens et dionysiens, sont à pied d’œuvre à La Réunion pour mener une série de perquisitions dans le cadre d’une enquête portant sur des malversations présumées au sein de l’Agence régionale de développement, d’investissement et d’innovation NEXA. Leurs investigations visent à faire la lumière sur l’utilisation de subventions versées par l’Europe via le FEDER mais aussi par la Région Réunion pour un montant total de 15,4 millions d’euros, entre 2018 et 2023. Revue de détails sur une enquête inédite en France.

En mai 2024, le rapport de la Chambre régionale des comptes (CRC) sur les activités de l’agence NEXA a jeté un regard sombre sur ce satellite de La Région. Pêle-mêle, il épinglait l’instabilité de la gouvernance, l’absence de recettes, une politique salariale opaque et généreuse ainsi que des entorses aux règles de la commande publique pour des frais de mission mirobolants. Sans compter des investissements hasardeux et des prises de participation risquées.

Bref, il s’agissait d’un véritable brûlot de plusieurs dizaines de pages qui mettait en exergue l’absence de vision, de recettes propres et sans doute de compétence de la part d’une grappe de dirigeants qui semblaient mener grand train grâce aux millions d’euros injectés par l’Europe et la pyramide Inversée.

Un bilan cataclysmique au fil des mandatures

Au fil des années 2018-2023, passées au crible par les magistrats de la rue Alexis de Villeneuve, il était question de 11,6 millions d’euros versés par la Région, en grande partie sous la mandature de Didier Robert mais aussi d’Huguette Bello à partir de juillet 2021. Pour sa part, l’Europe avait mis la main à la poche à hauteur de 3,8 millions d’euros à travers le Fonds européen de développement régional (FEDER) sur cette même période.

Avec un bilan aussi cataclysmique que celui brossé par la CRC, la justice ne pouvait évidemment pas rester les bras croisés. Et simplement constater que ces subventions étaient potentiellement parties en fumée par le truchement d’une SEM qui s’apparentait à une coquille vide. Une de plus dans un département qui se trouve être le recordman de France du nombre de SEM et de SPL confondues. Sous nos cieux, les collectivités locales comptent en effet une quarantaine de ces satellites hybrides dont le succès est mitigé, notamment en raison de directions trop souvent gangrénées par le clientélisme forcené que les élus locaux cultivent savamment et avec gourmandise aussi.

Une enquête « européenne » inédite

Au terme de son rapport, la CRC a jugé utile d’alerter la procureure de la République de Saint-Denis pour des soupçons de favoritisme. Des entorses significatives au code des marchés ayant été détectées. Mais finalement, le parquet de Saint-Denis ne s’est pas emparé du dossier. Entretemps, le Parquet européen a eu vent des malversations présumées chez NEXA et il a manifesté le souhait de prendre en compte l’affaire dans un portefeuille déjà bien garni.

Une enquête préliminaire a donc été ouverte par cette instance judiciaire européenne indépendante, créée et installée au Luxembourg dans le courant de l’année 2021. Il est à noter que c’est la première fois, en quatre ans d’existence, que le Parquet européen ouvre une enquête à partir d’un rapport de Chambre régionale des comptes. Déjà recordman de France des SEM et autres SPL, La Réunion se fait décidément remarquer.

Pour relativiser l’ampleur de la gabegie ambiante, il est bon de préciser que la création du Parquet européen a été jugée inéluctable après que la commission européenne ait constatée une corruption massive au sein des Etats membres avec des pertes abyssales estimées à 120 milliards d’euros à l’année. Sans compter une fraude à la TVA évaluée à 50 milliards d’euros.

Série de perquisitions par le Parquet européen et les policiers de l’OCLCIFF

Des magistrats du Parquet européen et des policiers parisiens de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financière et fiscales (OCLCIFF), assistés de financiers de Malartic, sont donc à pied d’œuvre sur l’île depuis le début de la semaine pour mener une série de perquisitions. Mardi, ils ont passé la journée à collecter des documents et à siphonner des mégaoctets de données au siège de feu NEXA, rebaptisée La Réunion Développement.

Lire aussi : Le siège de Nexa à Saint-Denis perquisitionné par les magistrats du Parquet européen

L’opération a débuté le matin pour s’achever à la tombée de la nuit, bien après 18 heures. Selon nos informations, d’autres perquisitions ont eu lieu le même jour au domicile de dirigeants ou cadres supérieurs de NEXA. Ce mercredi, les enquêteurs se sont cette fois rendus à la Région Réunion où la perquisition s’est étirée tout au long de la matinée, jusqu’à 11 heures.

Lire aussi : Perquisitions à la Région après celles menées chez Nexa

La commande publique marquée par « le saucissonnage des achats »

Parmi les nombreux griefs relevés par la CRC et susceptibles d’être reprochés aux décideurs de NEXA, le délit de favoritisme semble le plus évident. Le respect des règles en matière de commande publique aurait été bafoué à de nombreuses reprises sur la période de contrôle des magistrats de la chambre.

Il est question notamment de frais de voyage pour un total de 268.983 euros qui ont bénéficié à Air France, à Corsair mais surtout à Air Austral, elle-même sous perfusion à l’époque. La CRC souligne dans son rapport qu’aucune passation de marché n’a été réalisée. « Le saucissonnage des achats a permis à NEXA de se soustraire aux obligations de publicité et de mise en concurrence au profit des trois compagnies », indique le magistrat.

Des frais de publicité et de voyage problématiques

Les faux frais liés aux déplacements de cadres et à l’accueil de personnes extérieures posent aussi problème. L’exemple le plus flagrant concerne la mission Educatour entre 2019 et 2021 pour un montant de 172.650 euros. Idem pour les agences de voyage à hauteur de 51.073 euros et les frais de bouche et d’hôtel qui atteignent 222.039 euros. Toujours sans tenir compte des règles en matière de commande publique.

Sur la même thématique, la CRC épingle les dépenses de publicité accordées aux magazines Eco Austral et Mémento pour un montant respectif de 105.148 et 29.885 euros. Deux hommes sont nommément cités dans le rapport comme étant les signataires de « l’intégralité des paiements entre 2018 et 2022, le directeur général délégué, Gaston Bigey, et le directeur financier, Patrice de Larichaudy ».

Des locaux très chers et des ordres de mission fantômes

Des sujets connexes, liés à l’utilisation des fonds FEDER et des subventions régionales, pourraient aussi piquer de curiosité les magistrats du Parquet européen et les policiers qui les accompagnent. Car si NEXA était sous perfusion, ses dirigeants ne se refusaient rien. Les 23 salariés bénéficiaient d’un cadre de travail plutôt honnête avec près de 400 mètres carrés dans la Tour Cadjee pour un loyer mensuel de presque 19.000 euros. « Les coûts sont élevés et le local n’est pas adapté aux besoins de NEXA », estime la CRC.

Les cadres dirigeants ne disposent pas seulement de bonnes conditions de travail. Ils ont l’opportunité de voyager à titre professionnel hors du département. Le souci est que la CRC n’a pas trouvé l’ombre d’un ordre de mission ou d’un compte-rendu pour justifier de la nécessité et de l’efficacité de ces coûteux déplacements. Un flou artistique qui est un peu la marque de fabrique de NEXA, baptisée SR21 sous Paul Vergès et aujourd’hui Développement Réunion.

Le cousin Gaston, figure de NEXA

Les salaires sont tout aussi généreux pour ceux qui prennent les manettes de ce satellite. Le maire de Saint-Philippe, Olivier Rivière, en sait quelque chose. De mars 2016 à juillet 2021, le Pdg de NEXA a perçu entre 6.800 et 4.095 euros brut mensuel. Non pas qu’il a jugé utile de baisser sa rémunération mais plutôt parce que cet homme politique, à multiples casquettes, a été contraint de la raboter au nom de la règle d’écrêtement qui frappe les élus à hauteur de 8.400 euros le mois. Il était en même temps premier vice-président de Région, maire de Saint-Philippe et 3ème vice-président de la CASUD. Un don d’ubiquité qui laisse rêveur et qui fait s’interroger la CRC « sur l’effectivité des fonctions exercées par l’intéressé et sur la répartition du temps de travail ».

L’autre figure de NEXA, sous la mandature de Didier Robert, est son cousin Gaston Bigey. Arrivé dans son sillage en 2010, ce dernier touche un salaire mensuel de plus de 12.000 euros à partir de 2018 jusqu’à son départ en 2022. Sans compter l’achat d’une Seat Ateca pour un peu plus de 41.000 euros qu’il utilisait comme voiture de fonction. On passe sur les multiples menus avantage en nature comme des chèques Kadeos, les téléphones portables, les tickets restaurants, les frais de mutuelle et de carburant et la subrogation en cas d’arrêt de travail.

La mémoire vivante de NEXA perquisitionnée

Véritable mémoire vivante de l’agence, Patrice de Larichaudy peut témoigner des avantages qu’il y a à travailler pour ce satellite de la Région. Il y est entré en 2006 au temps béni de la SR21 des Vergès, il est resté sous NEXA pendant la mandature mirobolante de Didier Robert, et il était toujours fidèle au poste sous celle d’Huguette Bello, au moment du contrôle de la CRC.

Directeur financier, directeur général par intérim, il a bénéficié d’une rémunération brute de 851.751 euros entre 2018 et le jour du contrôle. Privilège des anciens sans doute, il pouvait compter itou sur un parachute doré d’un an de salaire en plus de ses indemnités légales, en cas de rupture de son contrat. « Cette clause atypique sur un poste de directeur financier d’une entreprise de cette taille n'exclut pas le licenciement pour faute grave qui n’est pas mentionné à son contrat », taquine la CRC.

Voyages énigmatiques à Paris et à Londres

Preuve que les choses n’ont pas vraiment changé sous l’actuelle mandature, le passage éclair de Fabrice Vandomel comme directeur général a tout de même coûté 154.600 euros. Autre détail : son séjour a été l’occasion d’un voyage en Ethiopie pour la conférence des ministres africains facturé 2.833 euros.

Puisqu’il est question de voyage, la CRC s’interroge sur la présidence de Mickaël Sihou, en 2022 et 2023. Elle a relevé deux voyages énigmatiques à Paris et à Londres. Deux ordres de mission signés par lui-même et dont l’intitulé laisse dubitatif : « Attractivité : création de l’agence de développement des OM d’une durée totale de 21 jours… » Coût de l’opération : 5.299 euros. Comptes-rendus ? Néant.

En conclusion, la CRC indique que « cette situation est le résultat d’une gestion controversée de NEXA à savoir le non-respect des normes, l’absence de procédures de contrôle interne, le désintérêt des actionnaires et des administrateurs et l’insuffisance de contrôle du commissaire aux comptes sur une entreprise en grande difficulté financière subventionnée à 100% par les deniers publics ».

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