Commémorer c'est, de par l'étymologie de ce mot, faire appel à sa mémoire et donc logiquement à des choses ou des événements du passé. Dans sa vie de tous les jours, chacun d'entre nous vit constamment dans trois temporalités différentes : le présent bien évidemment mais aussi le passé (nos souvenirs, joyeux ou tristes, ne s'effacent pas) et le futur (puisqu'on nourrit des espoirs, envisage des projets etc.).
Si le présent est le plus...présent, il s'éclipse dès que quelque chose nous fait penser à un proche disparu, par exemple. A ces moments-là, le souvenir, voire la nostalgie, nous submerge. C'est un sentiment tout à fait normal mais à une condition : qu'il ne dure pas trop longtemps sinon on se met à broyer du noir en permanence et cela nous paralyse. On devient prisonnier du passé ! D'autres fois, c'est le futur qui nous extrait du présent : une perspective d'embauche, une relation amoureuse que l'on espère durable, voire plus banalement un gain au loto. A ce moment-là, on se met à échafauder toutes sortes de choses extraordinaires, ce qui, là encore, est tout à fait normal mais à la même condition que pour le passé : ce futur ne doit pas durer trop longtemps. Sinon on devient prisonnier de lui !
Vivre dans le présent pour un être humain ce n'est pas du tout être ravalé au niveau de l'animal, c'est savoir maîtriser le passé et le futur qui, à tout instant, s'infiltrent dans notre esprit et qui peuvent être dangereux si jamais l'on s'y complait. En va-t-il de même pour les peuples ? Autrement dit ce qui est valable pour un individu l'est-il aussi pour l'ensemble d'une communauté ou d'une société ? Il y a tout lieu de croire que oui. En nous Martiniquais, le seul battement du tambour, pour ne prendre que cet exemple, réveille le passé et cela même quand il s'agit d'un passé très lointain, que nous n'avons pas vécu dans notre chair. Le tambour réveille l'obscur de la période esclavagiste, les crimes qui furent commis et la résistance muette du "Nègre d'Habitation" tout comme la résistance guerrière du "Nègre-marron". Un simple battement de tambour et d'un seul coup, voilà notre esprit qui "dévire" deux ou trois siècles en arrière, abolissant net le présent.
Mais nous vivons aussi dans un futur que nous imaginons forcément meilleur que notre présent. Militant syndicalistes et politiques, intellectuels, artistes, hommes d'église ou de temple etc...nous dessinent des "lendemains qui chantent", des jours meilleurs, bref un avenir potentiellement radieux. Il n'y a qu'à voir à quel point certaines personnes qui assistent à un meeting politique ou une cérémonie religieuse entrent presqu'en transe. L'espoir qui leur est donné à ces moments-là efface d'un seul coup le présent avec son cortège de souffrances (chômage, bas salaire, mépris de classe, préjugé de couleur etc.).
Il est nécessaire de réfléchir à tout cela au moment où nous nous apprêtons ce 22 mai à commémorer l'abolition de l'esclavage.
Ne serions pas beaucoup trop prisonniers à la fois de notre passé et de notre futur au détriment de notre présent ? Car à quoi sert-il de célébrer nos ancêtres esclaves qui surent briser leurs chaînes alors que nous sommes incapables de briser celles que l'on nous a mises dans la tête et que parfois nous nous sommes mises nous-mêmes ? A quoi sert-il de promettre des lendemains meilleurs quand nous sommes incapables, dans notre présent, d'utiliser au mieux les outils qui sont à notre disposition ?
Car ce présent, que nous oublions au seul son du tambour ou lorsque quelque discours lyrique d'un politicien en vient à nous projeter un avenir meilleur, ce présent donc est terrible. Tout simplement terrible. Une population qui se réduit comme peau de chagrin. Une jeunesse sans emploi qui fuit le pays. Un potentiel agricole ravagé par le béton et le bitume, miné par le chlordécone. Une langue qui se délite jour après jour. Une violence au quotidien et presque sans limite. Une économie de comptoir imposée par une caste békée et par des capitalistes "de couleur".
Commémorer (le passé), c'est bien, élaborer de grands projets (le futur), c'est bien aussi, mais s'occuper du présent et sérieusement, n'est-il pas le plus urgent ?
"National" au sens "national Mquais". Ça va sans dire, mais ça va mieux en le disant...
Lire la suite...mè "dannsòl".
Lire la suiteSi on vous comprend bien, MoiGhislaine, le charbon de Lorraine devrait, pour reprendre votre expr Lire la suite
Je crains que vous n'ayez mal compris cet article. A moins que ce ne soit moi qui me trompe. Lire la suite
Il faut être un sacré farceur pour faire croire aux Martiniquais qu'un deuxième Cuba est possible Lire la suite