Haïti : enfin la République Dominicaine n'est plus la seule à être pointée du doigt !

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   Il s'agit d'un véritable coup de tonnerre à la fois politique et diplomatique. Pour la première fois, les premiers responsables du désatre haïtien ont été désignés et pas par n'importe qui. Par Roland Sanders, ambassadeur d'Antigua-et-Barbuda à la fois aux Etats-Unis et à l'OEA (Organisation des Etats Américains). 

   Il vient, en effet, de nommer publiquement les deux premiers coupables : la France et les Etats-Unis.

   Citons ses propos : "La France et les Etats-Unis ont brisé Haïti : ils devraient être les premiers à réparer ce pays". Or, jusqu'à présent et y compris chez certains intellectuels haïtiens, seule la République Dominicaine était pointée du doigt ! Comme si elle était la première et principale responsable des maux d'Haïti. C'est là faire preuve d'une incroyable cécité historique. Car s'il n'est pas question de nier ou d'occulter le massacre de 30.000 Haïtiens en 1938 à la frontière séparant les deux pays par le régime fasciste de Trujillo, s'il n'est pas non plus question d'ignorer l'exploitation féroce des coupeurs de canne haïtiens et les tristement célèbres bateys, s'il ne faut pas minimiser le "colorisme" anti-nègre qui sévit au sein de la société dominicaine (mais est-il vraiment pire que son alter ego martiniquais ?), il est inconcevable d'ignorer les raisons historiques du désastre haïtien

     L'ambassadeur antiguais a raison : le tout premier responsable est l'ancienne puissance coloniale, la France, qui avait imposé une pseudo-dette au nouvel état. 150 millions de franc-or, ce qu'un cabinet d'experts étasuniens, a évalué à 21 milliards de dollars d'aujourd'hui. En effet, en 1825, pour accepter de reconnaitre l'indépendance d'Haïti (indépendante depuis...1804 !), le Roi de France, Charles X, lui a imposé ce qui était ni plus ni moins qu'une rançon et non une dette. Cela au motif de "dédommager les anciens colons" ! Seul pays dirigé par des Noirs à l'époque, sans cesse menacé d'invasion par cette même France, mis au ban des nations dites "civilisées" par les Etats-Unis, l'Espagne et l'Angleterre, Haïti a été obligée de la payer. Ce "remboursement" s'est fait par tranches annuelles jusqu'aux années 30 du...20è siècle. Ce qui signifie que tout au long du 19è siècle, les diférents gouvernements haïtiens furent contraints de consacrer une part importante du budget national à ce "remboursement", cela au détriment de la construction d'écoles, d'hôpitaux, de routes, de ponts, de réseaux d'eau potable etc... Un exemple précis : en 1911, plus d'1 siècle donc après l'indépendance, sur 3 dollars d'impôts récoltés par l'Etat haïtien, 2,53 dollars servaient à rembourser cette prétendue "dette".

   Et quand, le 7 avril 2003, le président Aristide réclama à la France la restition de cette somme indue, il reçut une fin de non-recevoir de la part de la soi-disant "Patrie des Droits de l'Homme". Pire en 2004 : un commando de Marines américains débarqua par hélicoptère dans la résidence privée d'Aristide, le captura et l'expédia à Antigua (l'île de l'ambassadeur Sanders) puis en Afrique du Sud où il restera en exil pendant des années. La France, dirigée alors par la droite (Jacques Chirac) approuva ce kidnapping !

   Deuxième grand responsable du désastre que connait la Première République noire : les Etats-Unis. Déjà mal disposés à l'égard d'un état dirigé par des Noirs puisque dans le Mississipi, l'Alabama, la Georgie etc..., les lois Jim Crow et le Ku-Klux-Klan régnaient en maîtres, ils envahirent Haïti en 1915 au motif fallacieux d'y mettre fin à l'instabilité politique. Or, si cette dernière était bien réelle (le pays a connu près d'une trentaine de présidents au 19è siècle), à qui et à quoi cela était-il dû ? D'abord au remboursement de la rançon imposée par la France, ensuite au quasi-blocus imposé par les Etats-Unis, celui que subit Cuba depuis 1960 n'étant que le deuxième dans la Caraïbe. Haïti ne pouvait donc commercer librement avec l'extérieur ni donc entamer le moindre développement économique. Il convient de préciser que des compagnies américaines s'emparèrent de dizaines de milliers d'hectares de terres plantées en café et profitèrent du labeur quasi-gratuit des paysans haïtiens.

   Troisième responsable : la bourgeoisie mulâtre qui, après la mort de Dessalines, premier président du pays et du Roi Chistophe, gouverna le pays comme de nouveaux...colons. Elle se vit comme une élite civilisée en charge d'un peuple arriéré et promut la francité, pourchassant la religion vaudou et dénigrant la langue créole. Jean-Price Mars a parfaitement décrit ce comportement sous le nom de "bovarysme collectif". Cette bourgeoisie mulâtre, se vivait ni plus ni moins comme les descendants des anciens colons français !

   Quatrième responsable : la bourgeoisie syro-libanaise. Arrivés à la toute fin du 19è siècle, ces Levantins, qui avaient fui leurs pays à cause de la colonisation frano-anglaise, s'installèrent comme commerçants, renforcés par des Allemands exerçant la même profession et s'alliant au fil du temps à la bourgeoisie mulâtre. Tout comme cette dernière, sa seule préoccupation était de s'enrichir à tout crins. Au détriment des 80% de Noirs évidemment ! 

   Cinquième responsable : la bourgeoisie nègre arrivée au pouvoir en 1957 suite à l'élection de François Duvalier. Animée d'un esprit revanchard envers son prédécesseur mulâtre, elle s'employa à lui damer le pion, allant parfois jusqu'à des massacres atroces comme celui perpétré dans la ville de Jérémie en 1964, cela au nom de la Négritude alors qu'il ne s'agissait que d'une perversion de celle-ci : le noirisme. Eduquer la population, contruire des hôpitaux, des écoles et des routes était le cadet des soucis d'un régime qui fit régner la terreur avec ses Tontons-Macoutes. Et puis, abandonnant le noirisme, cette bourgeoisie nègre fit alliance avec l'ancienne bourgeoisie mulâtre, ce qui se concrétisa par le mariage en 1980 du fils de François Duvalier, Jean -Claude surnommé "Baby Doc", avec une Mulâtresse de la haute société, Michèle Bennett.

   On le voit donc, en jetant un regard sur l'histoire, on se rend compte que la République Dominicaine, si elle est en proie à un indéniable anti-haïtianisme, n'est ni le premier ni le principal responsable du désastre haïtien. D'autant que les Dominains n'oublient pas que leur pays fut occupé d'abord par les troupes de Dessalines, une vingtaine d'années plus tard par celles du général Boyer. Il ne s'agit donc pas du tout de disculper la République Dominicaine mais de rétablir la vérité historique. L'ambassadeur Sanders a cent fois raison : ce sont d'abord la France et les Etats-Unis qui ont "brisé" Haïti et c'est à ces deux pays de "réparer" leurs crimes. D'autre part, partageant la même île, Haïti et la République Dominicaine ont intérêt ou en tout cas vocation à unir leurs efforts pour sortir du sous-développement car même si cette dernière a un PIB neuf fois supérieur à la première, un nombre considérable de Dominicains vivent dans la misère et sont forcés d'émigrer. Tout comme les Haïtiens ! 

   NB. Comment ne pas dénoncer les fréquents reportages de la chaine de télévision de l'Etat français en Martinique visant à dénoncer les bateys et la République Dominicaine, faisant ainsi croire aux téléspectateurs martiniquais que la République Dominicaine est la seule responsable des malheurs d'Haïti ? Pourquoi les journalistes de cette chaîne de télé ne font-ils pas des reportages sur les quasi-bateys qui se trouvent dans les bananeraies du Nord de la Martinique ? Arrivés clandestinement depuis l'ile de la Dominique, des centaines d'Haïtiens triment dans les plantations des Békés et même de Martiniquais nègres et mûlatres, y travaillant parfois le dimanche. Au fait, ce serait bien de nous expliquer pourquoi la Préfecture de la Martinique a été obligée de régulariser dernièrement près de 400 ouvriers agricoles haïtiens.

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