Loup ou Renard ? (suite 2)

Christian Ursulet

I) L’ ÉPOQUE N’EST PAS LA MÊME …
   À la force coloniale brutale, primaire, aux gouvernements et aux généraux d’assassins et de prédateurs Français qui ont opéré sur tous les continents a succédé une France impérialiste libérale puis néolibérale, armée à l’occasion du bâton , mais principalement armée d’outils puissants d’assimilation et d’intégration forcée:

   «  Vous êtes la France en Outre-Mer! »… la France des Droits de l’homme avec ses écoles lycées et universités, la France avec ses hôpitaux et sa protection sociale, la France avec sa CAF et ses allocations mensuelles, la France de pôle Emploi et ses allocations chômage, bref la France et sa chimère « Liberté Égalité Fraternité ».
    Ainsi ces colonies dites d’Outre Mer qui ne verraient plus en face en première ligne le casque colonial et le bouton, mais la carte vitale, la main du Ministre distribuant ( même parcimonieusement) subventions de l’Etat et fonds Européens;
ces colonisés qui voient aujourd’hui leurs sportifs se substituer aux Tirailleurs pour défendre la « mère patrie » en danger sur tous les stades, qui voient certains élus promus Ministres des dits Outre Mer et même Gardienne des Sceaux de la République une et indivisible, sont amenés à se dire « wè!… fout’ nou fô!…nèg nous au Panthéon …sé nou ki ka mennen! »
   Et certains d’ajouter « gadé yo a koté-a…yo pres ka mò fen… yo jis ka vini chèché lavi isia !»
Et la boucle semble bouclée. A tel point que même la revendication de baisse des prix réclame plus de Fwance !!!… « on a les mêmes contraventions on veut les mêmes prix! »…  « on est Français ou pas ?»… et puisque vous refusez d’aligner les prix, on brûle les radars !…ils le sont en grand nombre aujourd’hui…

   II) LE CUL DE SAC DE LA VIOLENCE MAFIEUSE ET LA CROISÉE DES CHEMINS POUR LA DIRECTION DU MOUVEMENT:

   Fantasmer sur la lutte de libération nationale de « l’armée des rubans rouges » tombe à côté de la plaque. Car si les jeunes laissés-pour-compte du système soufflent sur les braises pour propager l’incendie de leur revanche, si les moins jeunes conscients de la vie insupportable et inégalitaire adhèrent affectivement au mouvement, les voyous trafiquants et mafieux, eux, s’engouffrent dans l’espace nocturne qui est concédé, volent, pillent, incendient, menacent, se structurent et se coordonnent en ayant pour objectif de gagner du terrain, de gagner des marchés pour leurs trafics d’armes et de stupéfiants. Ce faisant, bascule dans la peur de cette indistincte violence, la grande majorité de la population qui, elle, est tentée de jeter le bébé avec l’eau du bain.
  A l’arrivée, ce mouvement justifié sur le fond ( pas dans sa revendication ) en mobilisant une proximité avouée ou non avec la violence mafieuse, éloigne de lui la grande majorité de la population Martiniquaise… alors armée embryonnaire de libération nationale ou armée de profiteurs mafieux irresponsables ?…les actes commis, leurs conséquences, l’absence de condamnation claire de cette violence par les dirigeants du mouvement, laissent hélas peu de place à la 1ère hypothèse.
Faute de s’être liés aux forces sociales réelles et organisées qui ont porté toutes les avancées sociales de ce Pays ( les syndicats), et les ayant même snobées, voire humiliées, les dirigeants ont cru pouvoir utiliser cette violence nocturne (difficilement contrôlable) pour contraindre le pouvoir politique et les puissances d’argent. 

   Dans cette logique, sorte de fuite en avant de Major justicier, l’infantile quête d’entretien avec le Maître, pardon le Ministre, à la Résidence Préfectorale est plus un aveu de faiblesse et d’isolement que le contraire. Un mouvement populaire massif et uni aurait sans aucun doute contraint le Ministre à fixer un rdv avant même son arrivée en Martinique. Refus juste de la prédation par les prix, refus juste de cette signature d’une vague promesse d’engagement des gros distributeurs, mais revendication hors-sol et assimilationiste, cousinage avec les incendiaires et la violence nocturne, action isolée de major inexpérimenté , reflux de l’adhésion de masse aux actions de terrain, défiance vis à vis des casseurs d’entreprises et pourvoyeurs de chômage, tels sont les ingrédients de l’impasse oú s’enfoncent les dirigeants de la lutte. La radicalisation et la fidélité logique de leurs militants ouvre la porte à des alternatives qui dépendront de l’intelligence pratique des dirigeants: dérives isolationnistes et répression ? Ou sursaut unitaire et actions de masses concertées? Les dirigeants autoproclamés du peuple se trouvent à la croisée du chemin.

   III ) LA VIOLENCE DU COLONISÉ AUJOURD’HUI, EN RÉPONSE AUX VIOLENCES MULTIFORMES DU COLONISATEUR, NE DEVRAIT NI COMPROMETTRE LA LUTTE SOCIALE NI ÉLOIGNER L’OBJECTIF POLITIQUE!

   Répondre d’un revers de main que les actes de violence contre des quartiers et les biens populaires, contre les mobiliers urbains publics autant que contre l’emploi de plus de 1000 pères et mères de familles, c’est du détail, des dégâts collatéraux présents dans toute lutte contre le pouvoir colonial, c’est de la fumisterie !… d’abord il ne s’agit pas d’une lutte contre le pouvoir colonial mais d’une lutte économique pour plus d’intégration néocoloniale !…ensuite tout usage de la violence dans une lutte qui se pense indépendamment de l’intérêt et du degré d’acceptation de la population est contre productive !…

   L’USAGE DE LA VIOLENCE EST À PENSER DANS SON CONTEXTE HISTORIQUE ET POLITIQUE ET DOIT RÉPONDRE À DES PRINCIPES, POUR ÊTRE FIDÈLE À LA PHILOSOPHIE DE FANON:
   Parce que la force coloniale ne s’effacera jamais pacifiquement, sans un rapport de forces déterminant qui ne lui donnera pas le choix, la violence ne peut être bannie par principe de toute mobilisation contre le pouvoir en place. Le faire serait en effet renoncer par avance à toute émancipation véritable d’un peuple colonisé, quelle que soit la période et le contexte. Mais précisément, de ce fait, elle ne peut être un choix anarchique sans principe et contre-productif.

   Elle doit être ADAPTÉE au contexte, LÉGITIMÉE , LISIBLE, COORDONNÉE, ÉDUCATIVE et PRODUCTIVE pour la lutte des masses populaires:

   1. ADAPTÉE au contexte en s’opposant à toute réponse répressive de l’Etat Colonial qui cherche à étouffer toute lutte sociale voire toute lutte politique émancipatrice.
   2. LÉGITIMÉE, en s’opposant ou en prévenant l’usage de moyens répressifs contre la population.
   3. LISIBLE, en étant ni aveugle ni sans limite , mais au contraire en laissant voir clairement que les objectifs visés sont les moyens répressifs de l’Etat et les symboles de la violence coloniale et du pouvoir oppressif.
   4. COORDONNÉE, afin d’éviter l’éparpillement, l’incohérence des actions et les partitions mafieuses.
   5. ÉDUCATIVE, en ce sens que chaque carte jouée (action violente organisée) doit pouvoir donner confiance et montrer que les forces de répression ne sont pas toutes puissantes et invincibles;
   6. PRODUCTIVE en ce sens qu’elle devra faire avancer le degré de conscience, de mobilisation et de popularité de la lutte, et non le contraire, la rendre impopulaire.

   IV). NI PRIÈRES NI SLOGANS INCANTATOIRES :

   Nous sommes loin du compte même de la « violence atmosphérique » de Fanon telle que conçue en réponse à la violence intrinsèque et brutale du système colonial dans un contexte donné. Nous sommes loin du compte si partant d’une cause juste contre l’exploitation par les pouvoirs de marchés et les prix, nous voulons vraiment gagner et faire bouger les lignes dans l’organisation économique en place et dans les rapports de classes teintées d’apartheid qui gangrènent la société Martiniquaise.
   Les INJONCTIONS infantiles, les PRIÈRES de caricatures de Prophètes, les INTERPELLATIONS RÉCURRENTES de politiques auprès des éphémères tenants de la bourse gouvernementale, conduisent à la même impasse par des méthodes concurrentes: faire plus ou moins bouger quelques lignes dans le brouillard ou le chaos, pour préserver LES FONDAMENTAUX DU SYSTÈME !

  V) CHANGER DE MÉTHODE POUR CHANGER LE RÉSULTAT !!!

   Hormis les puissances d’argent , la vie chère ponctionne les poches des Martiniquais et impacte tout le monde. Cette lutte qui prend la suite d’innombrables combats notamment sur le pouvoir d’achat et la vie dans la dignité, n’est propriété de personne. Certains n’ont d’ailleurs que le mérite d’avoir réallumé la mèche au bon moment et le « démérite » de risquer de l’éteindre prématurément du fait de leur immaturité et de leur manque d’humilité.

   1. Élus du terrain, Syndicats, Associations populaires devraient S’UNIR SANS PRÉALABLE AUTOUR DE 4 AXES:

   a)IMPOSER AUX GROSSISTES TRANSPORTEURS ET DISTRIBUTEURS DE BAISSER TOUS LES PRIX jusqu’à + 15-20% MAXI
b) IMPOSER le JUSTE FINANCEMENT DES COLLECTIVITÉS LOCALES ET UN RÉÉQUILIBRAGE DE L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT (recyclant la Dotation de Continuité Territoriale )
  C) IMPOSER LA RÉVISION DU POSÉI ET DES FONDS EUROPÉENS
  D) PLANIFIER les mesures de la DIVERSIFICATION AGRICOLE et du DÉVELOPPEMENT DURABLE DE LA MARTINIQUE…

  2. LE FRONT POPULAIRE MARTINIQUAIS CONTRE LA VIE CHÈRE ET POUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA PRODUCTION LOCALE, devrait se lier aux masses populaires à associer et mobiliser dans toutes les communes avec l’implication des élus et associations de quartiers.

   3. LE FRONT POPULAIRE MARTINIQUAIS NE DOIT S’AUTO-LIMITER, NI DANS LE TEMPS, NI DANS SES OBJECTIFS , mais devrait aller le plus loin possible dans sa démarche en ACTANT CHAQUE PAS FRANCHI !

   4. LES ENTRAVES TECHNIQUES, JURIDIQUES, INSTITUTIONNELLES, STATUTAIRES, PRÉVISIBLES ET IDENTIFIABLES, NE SONT PAS INSURMONTABLES !!! Elles le deviennent si nous nous censurons par avance, si nous demeurons divisés ou si nous manquons de volonté persévérante !

   5. AVEC L’ EXPÉRIENCE GRANDIT LA CONFIANCE! AVEC LA CONFIANCE GRANDIT LA CONSCIENCE ! … La conscience de ce que nous sommes UN PEUPLE AVEC DES INTÉRÊTS ET DES DROITS COLLECTIFS, notamment celui de vivre dans la DIGNITÉ. Notamment celui de REFUSER DE N’ÊTRE QUE LES CITOYENS D’UNE NÉOCOLONIE, condamnés à consommer en se ruinant, les surplus exportés PAR LE CENTRE PRODUCTEUR CAPITALISTE, aux prix D’INÉGALITÉS PLUS QUE JAMAIS INACCEPTABLES.

   Le Loup sévit à crocs aiguisés en bien des endroits du monde, hélas. Il n’est pas mort. le Renard lui
nous parle de la beauté de la brume qui obscurcit encore l’aube naissante…nous l’écoutons. Pour combien de temps encore?

  FDF LE 20-11-24
  Christian URSULET
  Militant du Bien Public
   Ex SG de la CDMT

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Commentaires récents

  • "Local", "Traditionnel", "Typique", "D'Antan" "Territoire" et autres euphémismes

    Albè, je voulais dire...

    Frédéric C.

    25/11/2024 - 14:16

    "National" au sens "national Mquais". Ça va sans dire, mais ça va mieux en le disant...

    Lire la suite
  • Kréyolad 1052: Polo chanté

    Sa pa "Daniel" mwen té lé matjé...

    Frédéric C.

    25/11/2024 - 14:13

    ...mè "dannsòl".

    Lire la suite
  • Du gaz dans l'eau au large de la Martinique

    LE CHARBON DE LORRAINE

    Albè

    25/11/2024 - 07:47

    Si on vous comprend bien, MoiGhislaine, le charbon de Lorraine devrait, pour reprendre votre expr Lire la suite

  • "Local", "Traditionnel", "Typique", "D'Antan" "Territoire" et autres euphémismes

    MECOMPRENSION

    Albè

    25/11/2024 - 07:27

    Je crains que vous n'ayez mal compris cet article. A moins que ce ne soit moi qui me trompe. Lire la suite

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    Albè

    24/11/2024 - 08:31

    Il faut être un sacré farceur pour faire croire aux Martiniquais qu'un deuxième Cuba est possible Lire la suite