Martinique : du confusionnisme ambiant...

   La crise du covid-19 et le délire antivax qu'il a provoqué ont été les révélateurs d'un état d'esprit quasi-général en Martinique : ce que l'on pourrait appeler "le confusionnisme" ou si l'on veut, en créole, an migannaj lespri.

   Avant de tenter d'en donner une explication illustrons notre propos à l'aide des deux exemples ci-après qui éclairent de façon crue cette étrange situation. Premier exemple : sur les réseaux sociaux circule la photo (/le dessin) ci-après :  

   A première vue, rien de particulier, se dira-t-on ! Le dessinateur ou le graphiste a simplement voulu manifester son attachement à ce qui depuis l'Affaire de l'OJAM (1962) est considéré par un nombre grandissant de Martiniquais comme "notre drapeau national". Même si lorsque le GRAN SANBLE était au pouvoir à la CTM, il avait lancé un concours pour en fabriquer un autre, ce qui avait abouti à ce drapeau vite décrié sous le nom de "drapeau au lambi" ! Même si revenu au pouvoir à la tête de la même collectivité, le PPM a lancé (ou va lancer) le même type de concours alors même que le parti de Césaire a adopté ce drapeau depuis des lustres lequel flotte fièrement sur le siège du parti au pied du Morne Trénelle !

   Revenons donc à cette photo et à cette Martinique artistiquement divisée en trois, chacune de ses parties comportant l'une de nos trois couleurs "nationales". A première vue, rien de bizarre ! Sauf qu'en y regardant de plus près, on remarque un chiffre sur ladite photo : 972. Or, ce chiffre est celui de la numérotation des départements français, ceux des fameux "départements d'Outremer" qui sont placés en queue de peloton et arborent tous les "97" : 97-1 pour la Guadeloupe, "97-2" pour la Guadeloupe, "97-3" pour la Guyane et "97-4" pour la Réunion.

   Sans doute l'auteur du dessin est-il sincère, très certainement même mais son dessin relève d'un confusionnisme sidérant : il met, en effet, ENSEMBLE, le drapeau Rouge-Vert-Noir qui manifeste notre volonté de souveraineté nationale et le "97-2" qui est la marque de notre rattachement à la nation française !!! Ce qu'il y a de terrible dans pareil confusionnisme c'est qu'il est, soulignons-le à nouveau, de toute évidence sincère, tragiquement sincère.

   Deuxième exemple : une structure qui travaille à la protection de la diversité en Martinique lance, toujours sur les réseaux sociaux, un quizz dont voici un exemple :  

   A priori, là non plus, rien de bizarre. Sauf qu'en relisant plus attentivement la question posée aux internautes, on est interpellé par le mot "surnommées". Comment ça, "surnommées" ? Est-ce que quand la langue française dit "luciole", elle surnomme ce charmant insecte nocturne de nos campagnes ? Donc si l'on comprend bien, dans l'inconscient des concepteurs de ce quizz, le français "nomme" alors que le créole "surnomme". Le français dit "Albert" et le créole "Bèbè" ou encore "Hector" pour le premier et "Tòtò" pour le second, n'est-ce pas ? Or, désolé, comme toutes les langues du monde, le créole nomme dans 99% des cas et surnomme dans 1% des cas. Comme le font toutes les langues du monde.

   De même que dans le premier exemple, la sincérité des concepteurs de ce quizz ne fait aucun doute. Ils cherchent à amener les Martiniquais à se réapproprier un vocabulaire qui progressivement s'efface à cause, en grande partie, de l'urbanisation et il s'agit là d'une excellente initiative. Mais là encore, c'est l'inconscient qui parle ! On veut valoriser des désignations martiniquaises mais on les qualifie de...surnoms. En quoi "betafé" est-il juste un surnom tandis que "luciole" un nom ? Pas besoin d'être un agrégé de lettres pour se rendre compte que ce distinguo est infondé.

   On trouve quasiment tous les jours des exemples de ce confusionnisme...sincère. Et justement, c'est sa sincérité qui est la chose la plus grave. Ce confusionnisme s'est spectaculairement manifesté à l'occasion de la crise du covid-19 et du refus totalement irrationnel de la vaccination. Et si cela peut se comprendre chez les gens du peuple, il pose question chez les "sachants" : politiques, intellectuels, universitaires, journalistes etc... Toutes ces personnes savaient fort bien, pour ne prendre que ces deux exemples, que de un, tous les chefs d'état de la Caraïbe se sont fait publiquement vacciner et qu'AUCUN N'EST DECEDE deux ans et demi après et que de deux, 85% des Hexagonaux se sont fait vacciner sans que cela ne provoque d'hécatombe dans l'Amère-patrie. Malgré ça, ces sachants ont persisté dans leur délire, confortant les craintes irrationnelles de la population et résultat des courses, c'est en Martinique que s'est produite l'hécatombe avec 1.035 décès à l'hôpital et au moins 200 à domicile, ce qui, proportionnellement parlant, équivaudrait à 200.000 morts dans l'Hexagone. 

   A quoi est donc dû ce confusionnisme ambiant ? Il est le symptôme de quel mal plus profond ? Sans doute au fait que le système mis en place en 1946 est à bout de souffle en dépit de ses "améliorations" telles que la décentralisation, puis la création de la CTM. Il semble même en état de mort cérébrale, incapable qu'il est de porter des solutions crédibles aux maux qui frappent la société martiniquaise. Tandis que nos politiques de tous bord font semblant de gérer (souvent sincèrement là aussi), que nos intellectuels délivrent leurs grands discours, que les syndicalistes réclament encore et toujours, que nos hommes d'église se fendent de leurs homélies lénifiantes, qu'une fraction de notre jeunesse, fort justement exaspérée, déboulonne des statues coloniales etc...etc..., pendant ce temps-là, la Caste continue tranquillement à engranger les bénéfices de ce système mortifère qu'est l'économie de comptoir. Imperturbablement même.

   Chez elle, ZERO CONFUSIONNISME en tout cas...