Les bombardements israéliens sur la bande de Gaza ont tué près de deux cents journalistes palestiniens en dix-huit mois. Un collectif d’organisations professionnelles françaises dénonce, dans une tribune au « Monde », cette hécatombe et le black-out médiatique qu’Israël organise, selon lui, sciemment.
Ce n’est pas courant pour un journaliste d’écrire son testament à l’âge de 23 ans. C’est pourtant ce qu’a fait Hossam Shabat, correspondant de la chaîne qatarie Al-Jazeera Moubasher dans la bande de Gaza. Le jeune homme, conscient que les bombardements israéliens sur le territoire palestinien ont drastiquement réduit l’espérance de vie des membres de sa profession, a composé un court texte, à publier s’il devait lui arriver malheur.
Ces mots ont finalement été postés sur les réseaux sociaux lundi 24 mars. « Si vous lisez ceci, cela signifie que j’ai été tué » : ainsi commence le message dans lequel le reporter évoque ses nuits à dormir sur le trottoir, la faim qui n’a jamais cessé de le tenailler et son combat pour « documenter les horreurs minute par minute ». « Je vais enfin pouvoir me reposer, quelque chose que je n’ai pas pu faire durant les dix-huit mois passés », conclut le reporter palestinien, tué par un tir de drone israélien sur la voiture dans laquelle il circulait, à Beit Lahia, dans le nord de Gaza. Un véhicule qui portait le sigle TV et le logo d’Al-Jazeera.
En un an et demi de guerre dans l’enclave côtière, les opérations israéliennes ont causé la mort de près de 200 professionnels des médias palestiniens, selon les organisations internationales de défense des journalistes, telles Reporters sans frontières, le Comité pour la protection des journalistes et la Fédération internationale des journalistes, en lien avec le Palestinian Journalists Syndicate. Dans l’histoire de notre profession, tous conflits confondus, c’est une hécatombe d’une magnitude jamais vue, comme le démontre une récente étude de l’université américaine Brown.
Au moins une quarantaine de ces journalistes, à l’instar de Hossam Shabat, ont été tués stylo, micro ou caméra à la main. C’est le cas d’Ahmed Al-Louh, 39 ans, caméraman de la chaîne Al-Jazeera, qui a péri dans une frappe aérienne, alors qu’il tournait un reportage dans le camp de réfugiés de Nusseirat, le 15 décembre 2024. Et d’Ibrahim Mouhareb, 26 ans, collaborateur du journal Al-Hadath, tué par le tir d’un char, le 18 août 2024, alors qu’il couvrait le retrait de l’armée israélienne d’un quartier de Khan Younès. Des cas soigneusement documentés par les organisations précitées.
Tous ces confrères et consœurs portaient un casque et un gilet pare-balles, floqué du sigle « Press », les identifiant clairement comme des professionnels des médias. Certains avaient reçu des menaces téléphoniques de responsables militaires israéliens ou bien avaient été désignés comme des membres de groupes armés gazaouis par le porte-parole de l’armée, sans que celui-ci fournisse des preuves crédibles à l’appui de ces accusations. Autant d’éléments qui incitent à penser qu’ils ont été délibérément visés par l’armée israélienne.
Aux funérailles du reporter palestinien Ahmed Mansour, dans le sud de la bande de Gaza, le 8 avril 2025. - / AFP
D’autres de nos collègues de Gaza sont morts dans le bombardement de leur domicile ou de la tente où ils s’étaient réfugiés avec leurs familles, comme des dizaines de milliers d’autres Palestiniens. C’est le cas de Wafa Al-Udaini, fondatrice du collectif de journalistes 16-Octobre, tuée dans une frappe sur la ville de Deir Al-Balah, le 30 septembre 2024, avec son mari et leurs deux enfants. Et d’Ahmed Fatima, une figure de la Maison de la presse de Gaza, une ONG soutenue par des bailleurs européens, qui formait une nouvelle génération de journalistes.
Le 13 novembre 2023, un missile a frappé l’étage de l’immeuble où il résidait avec son épouse et leur fils de 6 ans, dans la ville de Gaza. Les parents ont réchappé à l’explosion mais l’enfant a été blessé au visage. Ahmed Fatima l’a pris dans ses bras et s’est précipité dans la rue pour l’amener à l’hôpital. A peine avait-il parcouru cinquante mètres qu’un second missile s’abattait à proximité de lui et le tuait. Six jours plus tard, le 19 novembre, le fondateur et directeur de la Maison de la presse, Bilal Jadallah, mourrait à son tour dans le tir d’un char israélien sur son véhicule.
D’autres ont survécu, mais dans quelles conditions ? Le journaliste reporter d’images Fadi Al-Wahidi, 25 ans, est paraplégique depuis qu’une balle lui a sectionné la moelle épinière, le 9 octobre 2024, alors qu’il filmait un énième déplacement forcé de civils, ainsi que l’a rapporté le média d’investigation Forbidden Stories. Wael Al-Dahdouh, célèbre correspondant d’Al-Jazeera à Gaza, a, quant à lui, appris la mort de sa femme et de deux de ses enfants dans un bombardement, en plein direct, le 25 octobre 2023. Pour les journalistes palestiniens, « couvrir » la mort d’un collègue ou d’un proche fait désormais partie d’une macabre routine.
Nous déplorons également la mort des quatre journalistes israéliens qui ont péri dans l’attaque terroriste menée par le Hamas le 7 octobre 2023, ainsi que celle de neuf confrères libanais et d’une consœur syrienne lors de frappes israéliennes. Mais l’urgence est aujourd’hui à Gaza. Pour tous les défenseurs des droits humains, un constat s’impose : l’armée israélienne cherche à imposer un black-out médiatique sur Gaza, à réduire au silence, autant que possible, les témoins des crimes de guerre commis par ses troupes, au moment où un nombre croissant d’ONG internationales et d’instances onusiennes les qualifient d’actes génocidaires. Cette volonté de faire obstacle à l’information se traduit également par le refus du gouvernement israélien de laisser la presse étrangère pénétrer dans la bande de Gaza.
N’oublions pas la situation en Cisjordanie occupée, où l’on commémorera, dans quelques jours, les trois ans de la mort de Shireen Abu Akleh. La correspondante vedette d’Al-Jazeera a été abattue à Jénine, le 11 mai 2022, par un soldat israélien qui n’a eu aucun compte à rendre pour son crime. Hamdan Ballal, coréalisateur de No Other Land, oscar 2025 du meilleur documentaire, a été agressé par des colons, le 24 mars, puis a été arrêté par des soldats dans l’ambulance qui l’emmenait se faire soigner : cela témoigne de la violence à laquelle s’exposent ceux qui tentent de raconter la réalité de l’occupation israélienne. Cela révèle aussi l’impunité offerte quasi systématiquement à ceux qui cherchent à les faire taire.
En tant que journalistes, viscéralement attachés à la liberté d’informer, il est de notre devoir de dénoncer cette politique, de manifester notre solidarité avec nos collègues palestiniens et de réclamer, encore et toujours, le droit d’entrer dans Gaza. Si nous demandons cela, ce n’est pas parce que nous estimons que la couverture de Gaza est incomplète en l’absence de journalistes occidentaux. C’est pour relayer et protéger, par notre présence, nos confrères et consœurs palestiniens qui font preuve d’un courage inouï, en nous faisant parvenir les images et les témoignages de la tragédie incommensurable en cours à Gaza.
Signataires : les syndicats de journalistes SNJ, SNJ-CGT et CFDT-Journalistes, Reporters sans frontières, le prix Albert-Londres, la Fédération internationale des journalistes, le collectif Reporters solidaires, la commission journalistes de la SCAM, les sociétés de journalistes et les rédactions des médias suivants : AFP ; Arrêt sur images ; Arte ; BFMTV ; Blast ; « Capital » ; « Challenges » ; « Le Courrier de l’Atlas » ; « Courrier International » ; « Le Figaro » ; France 2 ; France 3 rédaction nationale ; France 24 ; FranceInfo TV et franceinfo.fr ; « L’Humanité » ; L’Informé ; Konbini ; LCI ; « Libération » ; M6 ; « Mediapart » ; « Le Monde » ; « Le Nouvel Obs » ; Orient XXI ; « Politis » ; « Le Parisien » ; Premières Lignes TV ; Radio France ; Radio France Internationale ; RMC ; Saphirnews ; « Sept à Huit » ; « 60 millions de consommateurs » ; « Télérama » ; TF1 ; « La Tribune » ; TV5 Monde ; « L’Usine nouvelle » ; « La Vie ». Ce collectif organise mercredi 16 avril, à 18h, deux rassemblements simultanés : devant l’Opéra Bastille, à Paris, et sur le Vieux-Port, à Marseille.
...de commentaires au bas des articles de FONDAS K., vous demandez-vous ? Lire la suite
...ici j’ai exagéré, et sciemment caricaturé, avec 2 ou 3 kouyonnad au passage... Lire la suite
Votre commentaire est délibérement exagéré pour éviter de répondre à la question posée. Lire la suite
Hallucinant ce truc ! Lire la suite
...mais certains articles sont de nature à susciter, voire provoquer des réflexions approfondies. Lire la suite