Entretien – Les vacances estivales – et probablement n’ont-elles pas le privilège de ce fait – voient les ventes de livres de poche s’emballer. Compacts, à petit prix, ces ouvrages fournissent aux lecteurs qui renâclent à adopter les liseuses une solution éprouvée au fil du temps. De petits livres, certes, mais aux grandes conséquences : Olivier Bessard-Banquy, professeur des universités Pôle des métiers du livre Université de Bordeaux-Montaigne, l'évoque avec nous.
Les dernières données du Syndicat national de l’édition pour 2021 indiquent que 121,4 millions d’exemplaires de poches ont trouvé preneur — ce qui représente une hausse de 12,8 % en regard de 2020. Le tout, pour 421,7 millions € de chiffre d’affaires — l’an passé, l’industrie du livre a réalisé plus de 3 milliards €. Une manne, pour les maisons qui décident de produire leur propre collection de petits formats… ou un drame pour les lecteurs ?
ActuaLitté : Pourquoi les éditeurs princeps s’attaquent à la mise en œuvre de leurs propres collections poche ?
Olivier Bessard-Banquy : Par définition les éditeurs n’ont pas de raison de laisser à d’autres le soin d’exploiter les fonds qui leur appartiennent. Si les maisons de littérature des années 1950 ont été parfois méfiantes face au poche et ont cru sans doute que l’objet, trop fruste, ou trop bas de gamme, ne ferait pas une longue carrière, dès les années 1960, les professionnels du livre ont compris que le poche avait été adopté notamment par les jeunes lecteurs du baby-boom et que, de plus en plus, la carrière des livres se ferait en poche.
Les éditeurs en tirent eux-mêmes aujourd’hui la conclusion simple qu’il est préférable, dans la mesure du possible, d’avoir leurs propres collections de poche plutôt que de céder les droits aux leaders du secteur.
Est-ce à dire que le modèle économique des ventes de droits s’érode ?
Olivier Bessard-Banquy : Non. Pas du tout. Les droits étant très faibles dans le poche — de 2 ou 3 à 6 ou 7 voire 8 %, rarement plus, droits à partager entre l’auteur et l’éditeur princeps —, la conclusion naturelle qui en découle est qu’il sera toujours plus intéressant d’exploiter les fonds soi-même que de laisser le soin à d’autres d’en bénéficier. Les investissements certes ne sont pas minces dans le poche, mais aujourd’hui, même dans le domaine du petit format, les tirages ont bien baissé — jusqu’à 3000 ou 5000 dans le cas de petites collections, alors que la collection première, Le Livre de poche, à la LGF, chez Hachette, en 1953, tirait à 60.000 exemplaires.
Et il est possible de limiter autant que possible les risques, alors que les espoirs de gains peuvent être forts, surtout dans le cas de long-sellers. Puisque désormais presque systématiquement tous les titres de fonds sont des titres de poche, en littérature du moins. En tout cas, en librairie, on le sait, le poche remplace systématiquement le grand format quand le petit livre pas cher devient disponible à 40 ou 50 % du prix de l’édition princeps, un peu plus de 7,5 euros en moyenne.
La tendance concerne les maisons de grands groupes comme les indépendants : quelles sont les logiques à l’œuvre ?
Olivier Bessard-Banquy : Les mêmes logiques sont à l’œuvre dans tous les cas, il s’agit d’exploiter soi-même ce qui rapportera plus sous cette forme que par des cessions de droits. Simplement, pour alimenter une collection, et lui permettre d’être viable en étant forte sur le plan commercial, c’est-à-dire très largement disponible dans un maximum de points de vente, il faut des moyens et cela suppose parallèlement de pouvoir aller piocher des titres dans nombre de maisons amies ou simplement partenaires, ce qui en toute logique apparaît bien plus simple pour une structure membre d’un groupe que pour un indépendant.
Une fois qu’un nombre de titres par an a été déterminé, il faut être certain de pouvoir alimenter la série et compter donc sur des approvisionnements réguliers de nouveaux titres prometteurs sur le plan commercial... en espérant réussir à en récupérer les droits sans avoir à les surpayer face aux éventuels concurrents.
En fin de compte, la distribution sera la grande gagnante, puis les lecteurs, mais qu’en est-il de la surproduction en ce cas ?
Olivier Bessard-Banquy : La distribution est gagnante dans tous les cas puisque toutes ses activités sont facturées. Plus il y a de titres dans tous les sens, aller et retour, plus la distribution gagne. C’est d’ailleurs de là que vient la domination des grands groupes depuis que Hachette en premier a pu mettre sur pied son surpuissant système de messageries. Les lecteurs, je n’en suis pas certain. Quel intérêt d’avoir un livre de qualité très moyenne quand les éditeurs peuvent faire bien mieux pour à peine plus cher ? (Le Seuil l’avait montré par exemple avec sa petite série sur bible à la japonaise appelée « L’École des lettres ».)
Jérôme Lindon le premier a rappelé que le poche fait mécaniquement grimper le prix du grand format puisque si les frais à amortir sont toujours les mêmes, mais que le grand format se vend moins que le poche, automatiquement les éditeurs sont obligés de faire monter le prix de l’édition princeps pour s’y retrouver. Les lecteurs qui se satisfont du poche conduisent donc les autres à payer plus cher leurs grands formats puisqu’ils sont moins nombreux. Globalement.
Ce que vous appelez « surproduction » que je préfère appeler « hyperproduction » est de toute façon liée au fait que, par la PAO, la mondialisation, l’impression à la demande, le recours aux stagiaires et aux apprentis, toutes les évolutions récentes du livre permettent de produire des volumes pour moins qu’avant — et des maisons comme L’Harmattan même arrivent à être rentables sur des titres vendus à très peu d’exemplaires. La masse des titres compense la baisse des ventes à l’unité.
Le poche n’y est pour rien du tout dans tout cela. Les collections qui marchent perdureront, celles qui ne sont pas rentables disparaîtront. Mais le livre est un bien culturel en plus d’être un produit industriel. La collection « Libertés » de Jean-Jacques Pauvert n’a jamais été rentable et a dû hélas être arrêtée — elle a pourtant été l’une des plus belles de l’édition française et nombre de lecteurs la regrettent et continuent d’en collectionner tous les titres.
Crédits Photo: ActuaLitté, CC BY-SA 2.0
Il faut être un sacré farceur pour faire croire aux Martiniquais qu'un deuxième Cuba est possible Lire la suite
...toute la "classe politique" (qui n’est d’ailleurs pas une "classe sociale") sur le même plan ? Lire la suite
...ou ka trouvé tout diks-li, òben yo ka viré enprimé tou sa i fè-a vitman présé! Lire la suite
...À une époque pas si lointaine, l’adjectif qualificatif "national" était fréquemment utilisé po Lire la suite
ce sera très drôle! Lire la suite