Rencontre avec Concept Lapierre

Gerry L'Etang

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A l’occasion du décès, ce 1er août 2022, de Concept Lapierre, fameux devin-guérisseur martiniquais, l’ethnologue Gerry L’Etang nous raconte son unique rencontre, hébétante, avec ce dernier.

C’est en ouvrant mon ordinateur ce soir, loin, très loin de Martinique, que j’apprends le décès de Concept Lapierre. Me revient alors le souvenir d’un projet avorté, il y a près de quarante ans.

En 1984, je conçus l’entreprise de recueillir le récit de vie d’un de nos devineurs, guérisseurs ou tradipraticiens, c’est-à-dire d’un de nos séanciers ou quimboiseurs. Un nom s’imposa vite à moi : Concept Lapierre, « le meilleur », m’assura-t-on.  Je projetai une rencontre. Mais je ne pouvais débarquer comme ça, avec ma proposition d’histoire de vie. Je devais d’abord me familiariser avec l’homme et décidai pour ce faire de passer d’abord pour client. Je pris donc rendez-vous auprès de sa secrétaire, à son cabinet.

Trois mois plus tard, au petit matin, j’étais à sa consultation de Pérou Sainte-Marie. « Venez tôt, avait dit la dame, les gens passent selon leur ordre d’arrivée ». Mais à mon arrivée il y avait déjà une trentaine de personnes, je ne pourrais être reçu que vers seize heures. J’eus donc le temps de me familiariser avec les patients en attente. Il y avait là un couple de Blancs que j’avais cru békés, qui venaient en fait d’Italie, de la région des Pouilles.

Quand Lapierre m’ouvrit la porte de son cabinet de consultation, je lui déclarai, flatteur :

  • Vous êtes réputé Monsieur Lapierre, on vient vous voir d’Italie !

Il eut cette réponse, faussement modeste :

  • Vous savez, on vient me voir d’Haïti…

Il m’installa à sa table de travail. Je prétextai souffrir d’une blesse, soit d’un mal suffisamment obscur pour laisser prise à toute sorte d’interprétation.

Il me tint la main droite, caressa ma paume (jugerait-il que j’avais une main de feignant ?), déclara :

  • Vous lisez beaucoup de livres

Un peu ébranlé, je bafouillai :

  • Oui mais… ce ne sont pas des livres mauvais.
  • Ni mové liv adan…

Il avait dit ça avec une douceur infinie qui me remua encore. Puis il se dirigea vers des étagères, ouvrit un ouvrage, une bible peut-être, en lut des yeux quelques passages, s’assit face à moi. Là, il prit un crayon (j’appris par la suite qu’ils étaient à usage unique), griffonna l’une des larges plaques de papier mauve déposées en pile sur son bureau, me fixant le regard vague… Les signes qu’il dessinait ne ressemblaient à rien.

Dix minutes plus tard, regardant cette fois son écrit automatique, cabalistique, il m’expliqua pourquoi j’étais là, pourquoi j’étais réellement venu. Je ne souffrais d’aucune blesse, je souhaitais en vérité qu’il me raconte son histoire. Ensuite, il m’énonça mon futur pour les trois années à venir. Enfin, il me raccompagna vers l’endroit où officiait sa secrétaire, à qui je remis 50 francs.

Je ne revis jamais Concept Lapierre, ne tentai jamais de le revoir. Ce qui c’était passé était inconcevable pour quelqu’un comme moi qui jauge tout à l’aune de la raison. Et aujourd’hui encore, trente-huit ans plus tard, je n’ai aucune explication. D’autant que les prédictions des trois années de ma vie qui suivirent cet évènement, se révélèrent également exactes.

Je garde de cette rencontre d’avec Lapierre le sentiment d’une perte de sens, d’un ébahissement.

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