Samedi 9 mars 2024 – Fougainville – Rivière-Pilote. Manifestation de solidarité avec l’agriculture paysanne organisée par Martinique-Écologie et l’AKAM (Association Ka Manniok Matinik), une association de petits agriculteurs et d’exploitants agricoles de Rivière-Pilote, cette première édition du Bokantaj Ékoloji Agrikilti Péyizann a tenu toutes ses promesses. Un concept conçu par écologistes et agriculteurs qui ont eu à cœur de s’unir pacifiquement autour de trois évènements sur le lieu symbolique de la SICA (Société d’intérêt collectif agricole) de Fougainville.
En dépit de la foultitude d’évènements à la même date, le public y a répondu favorablement si on en juge par l’affluence à la randonnée - découverte de la forêt (81 participants) et au Bokantaj, un plaidoyer pour une agriculture durable respectueuse de l’environnement et de la santé des Martiniquais. Une fréquentation de visiteurs qui a fait le bonheur des différents exposants du marché agricole qui, globalement, ont su tirer les châtaignes du feu.
Jossaud, la bien-aimée. Jossaud, terre de lutte paysanne et de résilience. Jossaud terre d’inspiration où a pris naissance la très réputée foire agricole et artisanale de Rivière-Pilote. Ce n’est donc pas un hasard, si Martinique-Écologie et l’AKAM ont décidé de domicilier ce Bokantaj Ékoloji Agrikilti Péyizann à Jossaud, un des greniers de la Martinique qui demeure un bastion de la révolte anti-esclavagiste d’où une halte à la stèle des insurgés de Septembre 1870. Après un speech d’Hervé Zénoky, une gerbe a été déposée symboliquement sur les lieux au retour d’une ascension d’un parcours ombragé mais escarpé et haletant. Un circuit qui a mené nos randonneurs jusqu’à une magnifique mare, source de quiétude et de fraîcheur en ce carême 2024. De l’immensité de cette retenue d’eau au pied de la Forêt privée de Fougainville, on retiendra le génie de la paysannerie martiniquaise qui a su exploiter le ruissellement des eaux de pluie par un réseau de canaux collecteurs convergeant jusqu’à la mare. Une prouesse ancestrale qui permet l’alimentation de pas moins de 32 exploitations agricoles situées en aval venant suppléer ainsi l’eau des nappes phréatiques aspirée par un système de pompes jusqu’au château d’eau.
Après cette traversée pittoresque de deux heures au beau mitan de la campagne pilotine, c’est le retour au siège de la SICA, une bâtisse délabrée qui reflète bien l’état d’abandon et d’agonie de l’agriculture paysanne. Un contraste saisissant avec les installations agricoles fastueuses des Habitations. Pourtant, c’est en toute simplicité et avec beaucoup d’empathie que les visiteurs furent accueillis par les exposants. Le kamanniok, produit phare du jour, côtoyait d’autres tubercules, Dachines, ignames, mais aussi, concombres, bananes, aubergines, melons, ananas, et autres fruits du terroir, sans oublier les produits de transformation du fruit à pain, la pâtisserie locale, les savoureux jus et liqueurs qui nous rappellent parfums et senteurs d’antan. Nul doute que cette édition prometteuse sera suivie par d’autres avec des stands encore plus achalandés.
Temps fort attendu, le Bokantaj autour de la question de l’avenir de l’agriculture durable et nourricière fut l’occasion d’échanges fructueux et enrichissants. Louis Boutrin, conseiller exécutif en charge du développement durable à la CTM (2016-2020) dressa un état des lieux de l’offre alimentaire à la Martinique. En dehors des œufs (97% de notre consommation) et du lapin (64%), toutes les autres productions locales atteignent moins de 35 % et à peine 2% pour la production locale de lait. Au total, c’est près de 87% de notre consommation assurée par les importations en porte-conteneurs qui placent la Martinique dans une situation d’extrême vulnérabilité.
Pour le Président de Martinique-Écologie, une fois ce diagnostic posé, il convient de sortir des logiques de constats. Car, au-delà de l’objectif de tendre vers l’autonomie alimentaire en gagnant des parts du marché local, il y a lieu d’activer urgemment la transformation de l’agriculture martiniquaise dans une approche globale intégrant une transition agro-écologique autour d’une triple réforme : foncière, politique d’irrigation et outils financiers. Cette finalité passe impérativement par une meilleure répartition des fonds européens alloués à l’agriculture martiniquaise, 121,8 Millions d’euros du POSEI (Programme d’Options Spécifiques à l’Éloignement et à l’Insularité) et 28 Millions d’euros pour le FEADER (Fonds Européen Agricole pour le Développement Rural).
Tous les intervenants, que ce soit Louis Félix Vincent Duville (ex-Conseiller régional – Économiste) ou Jean François Beaunol, le maire de Rivière-Pilote arrivé à la fin du Bokantaj, s’accordent à reconnaître la nécessité d’un vrai changement afin d’éviter la mort annoncée de l’agriculture paysanne. En 10 ans, cette dernière a perdu un cinquième de ses exploitations, essentiellement les plus petites. Fort heureusement, il subsiste encore dans ce pays-nôtre des poches de résistance autour d’agriculteurs déterminés, tel Romain Bellay, ex-Président de l’OPAM et membre de l’AKAM, qui, en conclusion du Bokantaj, a lancé un vibrant appel à plus de solidarité entre Martiniquais. Incontestablement, par leur mobilisation pour cette 1ere édition, les adhérents de Martinique-Écologie et de l’AKAM sont déjà en ordre de bataille. Qu’ils en soient, toutes et tous, publiquement remerciés.
Jean Laurent ALCIDE
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