Havre de paix et sanctuaire écologique, Saül dénote par rapport aux autres communes de l’Amazonie française minées par le fléau de l’orpaillage illégal. En mettant en valeur la biodiversité locale, les habitants de ce village ont pu s’émanciper de l’or.
Le soleil n’a pas encore totalement dispersé les brumes matinales qui enveloppent Saül que, déjà, la forêt, omniprésente, s’anime. Singes hurleurs, insectes et oiseaux rivalisent de mélodies offrant aux touristes, à peine réveillés, un revigorant concert polyphonique.
Profitant de ce moment de fraîcheur, Alice Bello guide quelques curieux, jumelles en bandoulière, à travers la piste de terre ocre qui sillonne le village. Tout juste arrivée à Saül, cette passionnée d’ornithologie a été recrutée comme « animatrice nature » par le Parc amazonien de Guyane (PAG). Sa mission : mettre en place des événements, comme cette visite matinale, pour faire connaître au grand public la faune et la flore de ce petit village du centre de la Guyane française. Soudain, un cri strident vient perturber ses explications sur l’avifaune locale. « Regardez ! Deux aras rouges viennent de se poser dans l’arbre au loin », réagit-elle, en pointant instantanément sa longue-vue sur la canopée.
À l’évocation de ce perroquet au plumage vif, la troupe scrute les branches. Des sourires émerveillés se dessinent sur les visages. « Les aras ne vivent que dans les écosystèmes les plus préservés. Sur le littoral, c’est exceptionnel d’en voir, contrairement à ici », explique la jeune femme.
Située dans les hauteurs du plateau des Guyanes, la partie septentrionale de la forêt amazonienne, Saül est l’une des communes les plus isolées de France. Seule la liaison aérienne en quarante minutes depuis Cayenne permet d’accéder aisément à ce village peuplé de 150 habitants, dont 80 à l’année. Pourtant, entre 3 000 et 5 000 visiteurs s’y sont rendus en 2021, faisant de Saül la destination phare du tourisme « nature » dans la région. La multiplicité des écosystèmes, de la forêt marécageuse aux forêts d’altitude, en passant par la végétation basse des inselbergs [1] et la présence d’ilots de forêt primaire [2], y attire les randonneurs et les naturalistes professionnels comme amateurs.
Surtout, le village s’est affranchi de l’extraction minière qui gangrène la région. Son territoire est désormais presque totalement sanctuarisé, notamment grâce à l’existence, depuis 2007, du Parc amazonien de Guyane. « Saül fait figure d’exception dans la région. On ne recense que six sites d’orpaillage illégal à proximité et le plus proche qui ne compte que trois orpailleurs, est déjà à 15 kilomètres du bourg », résume Gaëtan Mathoulin, Saülien depuis 1994 et inspecteur de l’environnement pour le parc, qui couvre toute la moitié sud de la forêt équatoriale.
En comparaison, à Papaïchton et Maripasoula, deux autres communes du parc, situées sur le Haut-Maroni, celui-ci dénombrait respectivement 39 et 71 sites en 2021. Dans l’ensemble de la Guyane, les représentants de la filière minière estiment que 10 tonnes d’or sortent illicitement du territoire chaque année, soit près de 500 millions d’euros. Et ce au prix de désastres sociaux et écologiques, notamment en raison de la déforestation ou de la pollution à long terme des cours d’eau au mercure, le métal utilisé pour séparer l’or des autres minerais.
Si Saül dénote par rapport aux autres communes amazoniennes, ce n’est pas parce que les filons y sont moins généreux qu’ailleurs. Au contraire, la commune est connue pour avoir un des sous-sols les plus aurifères de Guyane, certifient les membres du parc. « Cette commune n’existe que grâce à l’or. Elle a été fondée à la fin des années 1890 par des Saint-Luciens [3] émigrés. À l’époque c’était la ruée vers l’or », rappelle Justin Raymond, dont le grand-père faisait partie de ces premiers chercheurs de pépites. Aujourd’hui, ce créole de 58 ans a la responsabilité d’un des principaux gites-restaurants du village.
Après quelques décennies de prospérité, le village et ses faubourgs sont entrés dans une longue période d’agonie à partir des années 1930. Le krach boursier, en faisant chuter les cours de l’or, a poussé plusieurs familles à se détourner de l’activité minière. Surtout, la construction d’une école, dans les années qui ont suivi, est venue bouleverser la relève naturelle des générations d’orpailleurs.
« Les jeunes scolarisés sont ensuite partis au collège à Cayenne. Parfois, toute la famille a suivi. À la fin des années 80, il ne restait plus que les vieux pour aller sur les sites, presque par tradition, poursuit Justin Raymond. C’est aussi à cette période qu’on a vu arriver les premiers touristes dans la région et que nous avons fait le pari de les attirer en ouvrant un gîte communal. »
Seulement, le passé extractiviste de Saül a brutalement ressurgi et freiné le développement de ce jeune secteur touristique. « En 2006, la société Rexma est arrivée avec un permis de prospection et dès 2007, nous avons vu des centaines d’orpailleurs illégaux venir se ravitailler au village alors que leur présence était auparavant insignifiante », résume Stéphane Plaine, un « métro » (le terme utilisé localement pour désigner les populations venues de métropole), installé en 1987, travaillant comme guide touristique et agent du parc.
« Tout est lié dans le secteur de l’or. Le légal ramène automatiquement de l’illégal et vice-versa. Si une entreprise s’installe, c’est qu’il y a de l’or, ce qui attire les travailleurs clandestins [4] [travaillant souvent pour des réseaux mafieux] », décrypte Gaëtan Mathoulin. A contrario, s’il y a des orpailleurs illégaux, c’est qu’il y a de l’or.
Pendant un temps, une partie des habitants s’est accommodée de cette présence, certains allant même jusqu’à assurer le ravitaillement des orpailleurs illégaux clandestins. Mais, très vite, les nuisances engendrées ont poussé les Saüliens à se mobiliser. « Nos cours d’eau étaient tous pollués. Les criques étaient complètement turbides à cause des pelles mécaniques [5]. On ne pouvait plus pêcher ni chasser, tous les animaux avaient fui. C’était vraiment une période néfaste », déplore Justin Raymond au souvenir de ces années.
À cette première forme de pollution s’ajoute aussi celle sur le long terme, liée au mercure. Mais aussi un impact sur la santé : « Les orpailleurs clandestins ont apporté le paludisme avec eux. En 2008, tout le village a été malade. On faisait des crises deux fois par mois, et tous les jours le dispensaire était bondé. C’était une véritable catastrophe », abonde Didier Rostaing, dont toute la famille a été contaminée. Depuis cette époque, ce fonctionnaire à la retraite, reconverti dans la culture du cacao, fait partie des Saüliens refusant de porter tout objet en or, sauf à de très grandes occasions.
Face à l’ampleur de la crise, les autorités locales ont donné gain de cause au jeune parc national et au maire de l’époque, Hermann Charlotte, farouchement opposé à l’extraction minière [6]. En 2008, la gendarmerie s’est installée à temps plein dans le village et, dans les mois qui ont suivi, la Légion étrangère a été mobilisée pour détruire les camps illégaux.
Seulement, si l’orpaillage illégal reflue, la menace légale, elle, prospère. En 2012, Rexma a obtenu le feu vert du ministre de l’Industrie d’alors, Éric Besson, puis du ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, et s’est vu accorder un permis d’exploitation à 5 kilomètres de la commune. Et ce, en dépit d’un arrêté municipal, signé en janvier 2008 par Hermann Charlotte, interdisant toute forme d’exploitation minière dans un rayon de 10 kilomètres autour du bourg.
« Nous avons alerté sur les réseaux sociaux, signé des pétitions. Nous sommes allés manifester jusqu’à Cayenne avec le soutien d’associations écologistes. C’est allé très loin, les principaux leaders de la contestation ont même reçu des menaces de mort de la part des miniers », confie un habitant historique, sous couvert d’anonymat. En 2013, la révélation d’un document prouvant que l’étude d’impact environnementale produite par Rexma avait été falsifiée a achevé de faire pencher la balance en faveur des opposants. Deux ans plus tard, la préfecture de Cayenne a annulé définitivement le permis d’exploitation.
Sept ans après, malgré la quiétude des forêts saüliennes qui confèrent au bourg sa réputation de petit havre de paix, la page de l’extraction aurifère n’est pas encore tournée. « La lutte n’est jamais vraiment gagnée. Nous savons que régulièrement, il y a des tentatives de retour sur des anciens sites, explique Gaëtan Mathoulin. Si nous ne faisons pas l’effort de faire des rondes, on peut tout perdre à nouveau. »
Surtout, l’ombre de l’industrie minière légale semble encore planer sur le village. « Parmi les habitants, tout le monde n’est pas radicalement hostile à l’exploitation minière. Tout peut recommencer avec une mairie plus encline à écouter un promoteur ayant un projet mieux ficelé, en apparence moins destructeur », avertit Didier Rostaing, aujourd’hui membre du conseil municipal. Pour nombre d’opposants comme pour le parc, la stratégie consiste à multiplier les initiatives écotouristiques afin de dessiner un autre chemin.
Pour l’instant, les habitants semblent se réjouir de cet équilibre, garanti par l’accès restreint en avion, entre l’activité touristique et la vie locale. D’autant que le public, passionné de nature, est le plus souvent déjà sensibilisé à la nécessité de laisser les forêts intactes. Seule crainte émise par les Saüliens : l’idée de réaffecter les quelque 150 kilomètres de la « piste Bélizon », construite dans les années 1950 pour désenclaver ce territoire et presque aussitôt abandonnée, faute d’entretien. Tandis que certains déplorent les effets d’un tel projet, notamment en matière de déforestation, d’autres y voient une porte ouverte à l’invasion touristique. Néanmoins, si la route compte quelques défenseurs au sein de la collectivité territoriale de Guyane, son coût la rend à ce jour inimaginable.
L’alternative, Didier Rostaing, lui, la voit aussi dans ses cacaotiers. « Le cacao à Saül remonte à 1929, lorsque certains Saint-Luciens ont tenté de se reconvertir. Personne n’en faisait une activité économique sérieuse. C’est ce que j’essaye de mettre en place depuis une dizaine d’années, en plantant 3 hectares de cacaotiers et en transformant ma production sur place. »
Pour ce « métro » affable et passionné, c’est aussi l’occasion de passer un message à l’occasion des visites gratuites qu’il propose tous les soirs : « En m’installant ici, j’aurais pu détruire la colline derrière chez moi et y trouver, à coup sûr, de l’or. Mais j’aurais touché le jackpot une fois, là où ma plantation va donner chaque année. Je suis convaincu que mon cacao fournira plus de richesse à Saül que l’or n’en a jamais donné. »
Il faut être un sacré farceur pour faire croire aux Martiniquais qu'un deuxième Cuba est possible Lire la suite
...toute la "classe politique" (qui n’est d’ailleurs pas une "classe sociale") sur le même plan ? Lire la suite
...ou ka trouvé tout diks-li, òben yo ka viré enprimé tou sa i fè-a vitman présé! Lire la suite
...À une époque pas si lointaine, l’adjectif qualificatif "national" était fréquemment utilisé po Lire la suite
ce sera très drôle! Lire la suite