« Tant d’avantages » au BUMIDOM ? On rêve.

Yves-Léopold Monthieux

Distrait, j’ai presque terminé la rédaction de ce papier lorsque je m’aperçois que je ne m’adresse pas à l’écrivain qui, à plusieurs reprises, m’a fait part de cette même interrogation à propos des nôtres qui sont partis pour France dans les années 1960-1970. C’est pourquoi la réponse à Jean-Laurent Alcide est celle de quelqu’un qui s’est penché sur cette question, sans toutefois y apporter une vraie réponse. Selon l’auteur, de toutes les minorités venues en France dans la seconde moitié du siècle, seule celle en provenance des Antilles-Guyane n’aurait pas pu s’élever au meilleur rang de l’élite politique française. Ainsi donc, contrairement à d’autres, la communauté du BUMIDOM n’a pas produit de ministre, de maire d’une grande ville, de directeur de télévision, de porte-parole du niveau de l’Haïtienne de Joe Biden aux USA. Bref, aucun représentant de la génération BUMIDOM n’est parvenu à une fonction d’un niveau de visibilité nationale.

L’article apporte une dernière salve au discrédit visant les enfants du BUMIDOM en ce que ces derniers étaient pourtant les seuls « arrivants » à bénéficier de « tant d’avantages » ? Cette manière d’oxymore voudrait tirer un discrédit d’une prérogative mais cache mal la reconnaissance indirecte qu’à leur arrivée en France, les Martiniquais, Guadeloupéens et Guyanais bénéficiaient de « trois avantages non négligeables ».  Cet euphémisme se prolonge par l’accent mis sur les vilaines restrictions mises entre parenthèses et permet à l’auteur de sauver l’essentiel : son fiel envers l’institution et ses bénéficiaires. Cependant les « originaires » pourraient ne pas être fâchés par cette reconnaissance tardive : à leur arrivée en France, « ils ont la nationalité française et sont donc inexpulsables ; ils parlent français (même si c'est avec un accent tropical) ; ils sont chrétiens (même si les hommes se contentent le plus souvent de rester sur le parvis des églises les jours de messe) ». Bingo ! C’est la première fois qu’un adversaire de l’institution, dont l’acronyme a signifié presque « calamité », fait état de la situation privilégiée offerte par l’institution aux Antillais, à leur arrivée en France. 

Bien qu’à cette époque on n’expulsait pas les étrangers et que la chrétienté n’était déjà plus une vertu cardinale, ces bons mots – un triple avantage, donc, pour les Antillais - changent de l’infamie de déportés à laquelle les avaient assignés le chœur des intellectuels boursiers, encartés, épargnés des contraintes du service militaire, ainsi que l’aréopage de fonctionnaires assurés du pactole des « 40% ». Je ne crois pas qu’on ait jamais vu, au sein d’une même communauté, la partie privilégiée abominer à ce point une autre catégorie moins bien servie. Des vocables odieux comme « déporté », « traitre », « négropolitain », « nègzagonal… », « serpillologue » et autres gracieusetés, infiniment plus insupportables dans la bouche de frères antillais que les propos racistes décernés aux « arrivants » de toutes provenances. Pendant des années, chargés de cet opprobre, les Antillais de France ont rasé les murs, priés de s’excuser d’être passés par le BUMIDOM ; honteux, ils ont laissé les enfants dans l’ignorance de leurs parcours ; sans que pour autant puissent vraiment faire exception ceux qui sont partis au service militaire ou par suite de concours administratif. Ces derniers croyaient parfois devoir préciser, sans toujours convaincre, qu’ils n’étaient pas du BUMIDOM. Tel fut le sac-à-dos dont ont été chargées plusieurs générations d’Antillais de France.

Certes, de nombreux succès s’observent dans le monde du sport et de la musique. Mais il peut paraître caricatural de les résumer par le carnaval, activité où les Antillais de France sont depuis longtemps nettement distancés par ceux du Royaume-Uni, qui n’ont jamais connu de BUMIDOM. Reste que les Bumidomiens ainsi que leurs enfants et petits-enfants ont eu accès à des fonctions très honorables, mais qui n’exigent pas une grande visibilité.

Ma réponse à la question de Jean-Laurent Alcide est une interrogation. L’ostracisme dont les Antillais de France ont fait l’objet de la part de leurs propres congénères ne les a-t-il pas, entre autres conséquences malheureuses, dissuadés d’envisager des métiers en vue, donc des fonctions politiques de haut niveau ? Les sociologues pourraient, me semble-t-il, trouver matière à recherches dans le traumatisme de sujets qui étaient en situation de faiblesse morale et intellectuelle, et qui ont été abominés pendant plusieurs générations par leur propre élite restée au pays, à l’abri de leur confort matériel et intellectuel.

Fort-de-France, le 8 juillet 2023

Yves-Léopold Monthieux

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