Il en est des affaires des pays ce que sont les secrets de famille. Ces derniers sont réglés entre soi et, quelle que soit l’intensité des différends domestiques, la réserve prévaut vis-à-vis du voisin ou de l’étranger. De même il n’est pas sans intérêt pour les Etats, les pays ou collectivités d’adopter une pareille retenue lorsqu’il peut y en avoir besoin pour se présenter aux autres. La crise sanitaire, sociale et politique qui traverse nos territoires et portée par un malaise quasi-structurel, mettent en évidence un goût surprenant pour l’exposition de nos déboires sur la place publique étrangère. Nous n’aurions donc plus la fierté de notre image à l’étranger. Au vu de la situation de dépendance totale de nos territoires, on pourrait comparer cette disposition à l’autodénigrement ostentatoire à une joyeuse tentation suicidaire.
Il ne peut pas être reproché au Martiniquais ou au Guadeloupéen de méconnaître l’histoire de la colonisation et de l’esclavage des Noirs aux Antilles. Faisons honneur aux historiens qui se sont appliqués à combler depuis la fin des années 1950 les lacunes de l’histoire. La vérité des faits étant rétablie, s’ensuit une façon d’installation dans le passé et de perpétuation du sentiment de servitude qui nous distinguent de nos amis caribéens. Issus d’ancêtres communs, ils laissent aux « descendants d’esclaves les plus nantis de la terre » que nous sommes la tâche de se plaindre à leur place, trop occupés d’affronter, eux, les difficultés quotidiennes du temps présent. Ils ne songeraient pas à mentionner sur leurs cartes de visite « X…, Ste Lucien, descendant d’esclaves ».
L’usage du chloredecone n’avait que trop duré s’il est vrai que dès les débuts de son usage, des éclaireurs avaient donné l’alerte sur les dangers que ce pesticide comportait pour la terre, les produits de la terre et les êtres vivants sur la terre. On connaît la suite. Faut-il pour autant que la carte de visite de ces deux territoires s’enrichisse, si l’on peut dire, de l’identifiant « terres empoisonnées » et celle de ses enfants, de la mention « homme ou femme empoisonné.e » ? Tous autres peuples se garderaient bien de soumettre un tel contre-label aux trompettes de la renommée et préféreraient un identifiant plus gratifiant comme : « Martinique, terre de centenaires ».
La Guadeloupe et la Martinique ont toujours eu de belles plages et de beaux sites, ce sont des dons de Dame Nature. L’attrait que suscitent ces îles et l’attachement qui leur est porté leur avaient valu jadis d’être qualifiées de « pays des revenants ». Cependant les promesses d’organisation et de développement des années 1960 – 1970, du moins pour la Martinique, n’ont pas résisté aux obstacles politiques dont le tableau pourrait avoir comme incipit la phrase d’un grand monsieur : « la Martinique ne doit pas être une terre pour Européens fatigués ». Depuis, le tourisme martiniquais est devenu une activité à éclipses où les phases d’ombre dominent.
Les préjugés contre la vaccination comme moyen de prévention de la pandémie du covid ne sont pas nés en Guadeloupe ou en Martinique. Il n’est donc pas extravagant que dans ces territoires ouverts au monde s’exprime aussi cette marque de méfiance. Mais même dans les pays les plus marqués par le phénomène, il s’exprime de façon résiduelle et les moyens pour le dire ne vont pas au-delà de certaines limites. Tandis qu’en Martinique et en Guadeloupe, c’est le feu d’artifice permanent, voire le feu réel, mais aussi la haine entre les siens, la haine des autres, la xénophobie. Comme si, à la face du monde, il fallait identifier la Martinique et la Guadeloupe comme les deux seuls des « plus petits cantons de la terre », comme dirait Aimé Césaire, à mener la guerre contre le vaccin.
On le voit bien, tous ces déboires visent l’extérieur, l’étranger. En revanche, dès lors qu’ils ne sont pas le fruit des autres mais de nos propres turpitudes, syndicales ou politiques, nos misères sont tues. "Terre d’esclaves", "terre pour Européens fatigués", "terre et population empoisonnées", "terre des champions de l’antivax" : ce ne sont pas les autres qui nous « tirent des mépris », pour reprendre une expression locale, les trompettes de la mauvaise renommée sont soufflées par nous-mêmes.
Fort-de-France, le 5 décembre 2021
Yves-Léopold Monthieux
Il faut être un sacré farceur pour faire croire aux Martiniquais qu'un deuxième Cuba est possible Lire la suite
...toute la "classe politique" (qui n’est d’ailleurs pas une "classe sociale") sur le même plan ? Lire la suite
...ou ka trouvé tout diks-li, òben yo ka viré enprimé tou sa i fè-a vitman présé! Lire la suite
...À une époque pas si lointaine, l’adjectif qualificatif "national" était fréquemment utilisé po Lire la suite
ce sera très drôle! Lire la suite