Son œuvre poétique, marquée par une quête constante de l’identité et de la mémoire, se nourrit de ses racines culturelles profondes et de son engagement envers les voix souvent oubliées. À travers ses écrits, elle interroge le passé, la culture créole et les dynamiques sociales de la région, tout en insufflant une dimension intime et personnelle à son art. Poète prolifique, Alexandra Cretté a su se faire un nom dans la scène littéraire grâce à sa capacité à marier la musicalité du langage à une réflexion sur les enjeux contemporains. Ses poèmes, à la fois sensibles et puissants, capturent les complexités de l’histoire coloniale et de ses répercussions sur les générations actuelles. Elle explore la douleur, la résistance et la résilience, tout en rendant hommage aux traditions et à la richesse des héritages. Au-delà de ses écrits, Alexandra Cretté s’investit également dans le soutien et la promotion de la littérature caribéenne en tant que coordonnatrice de revues littéraires, notamment la Revue Oyapock, qu’elle a fondée pour offrir une tribune aux auteurs de la région. Par son rôle dans le monde littéraire, elle œuvre activement à dynamiser la scène littéraire locale et à faire rayonner la poésie caribéenne à l’échelle internationale. À travers ses poèmes et ses initiatives, Alexandra Cretté incarne une poésie du monde moderne qui, tout en étant profondément enracinée dans l’histoire et les réalités de son lieu de vie, s’adresse à un public bien au-delà des frontières géographiques. Son travail fait écho à un besoin fondamental de réinvention de l’identité culturelle caribéenne.
Le National : Pouvez-vous nous parler de vos origines, de votre parcours et des influences littéraires qui ont façonné votre vision de la poésie ?
Je suis née il y a quarante six ans à Aubervilliers, en banlieue parisienne, dans une famille ouvrière modeste et merveilleusement aimante. J’ai grandi dans un univers multiculturel marqué par la diaspora caribéenne et je connaissais donc les cultures martiniquaises, guadeloupéennes et haitiennes depuis longtemps. Mes parents avaient plusieurs disques de musique haitienne. J’ai souvenir de 33 tours aux grandes couvertures de Skah Shah, Exile One, les Voltage 8. Des musiciens qui ont bercé mon enfance. J’ai toujours écrit, d’aussi loin que ma mémoire me porte. J’ai été et je reste une lectrice affamée. J’ai reçu une formation littéraire et poursuivi des études de philosophie jusqu’en master à la Sorbonne. Lorsque j’ai obtenu mon concours pour devenir professeure de lettres, je suis partie en Guyane. J’y vis aujourd’hui depuis dix neuf ans.
Ce parcours se double d’un engagement politique, puisque durant les quinze premières années de ma vie en Guyane, j’ai été co-secrétaire de SUD éducation-Guyane, mon syndicat. Il y a toujours eu un lien entre l’écriture et la nature politique de mon rapport au monde. Mon mentor, Francis Combes, est un poète engagé et internationaliste, fondateur d’une maison d’édition importante dans l’histoire de l’édition de la poésie en France, Le Temps des Cerises. Sa fille, mon amie Juliette Combes-Latour, éditrice également, a approfondi le lien entre la maison et Haiti en publiant Anthony Phelps, Inéma Jeudi, Faubert Bolivar et de nombreux autres auteurs.
Cette existence partagée entre deux continents s’est nourrie de littérature internationale. Même si lectrice de classiques, mon goût personnel me pousse davantage vers des auteurs étrangers, de Nabokov à Kundera, de Mishima á Murakami, d’Amado à Vargas Llosa, d’Hampâté Ba à N’Gozie Adichie, de Faulkner à Morrison. Le roman guide une bonne partie de mes modèles décriture.
LN : Comment naviguez-vous entre l’héritage de la poésie caribéenne et de nouvelles formes de poésie plus contemporaines ?
Il est vrai aussi que la poésie francophone caribéenne m’a longtemps nourrie. Depuis le Cahier d’un retour au pays natal, texte matriciel découvert au lycée, jusqu’aux derniers recueils de Jean d’Amérique. Il y a une continuité et non une rupture dans l’espace poétique tel qu’il jaillit dans toute sa modernité il y a une centaine d’années dans la Caraïbe. Depuis, ce foisonnement de poètes n’a jamais fait marche arrière, n’est jamais retourné vers la rime, ou très rarement. La liberté et la sophistication de la poésie caribéenne ont d’emblée ouvert un espace de beauté qui ne s’est jamais refermé depuis. Pour parler de la poésie en Guyane, les deux poètes clé-de-voûte de notre littérature sont Léon Gontran Damas et Elie Stéphenson. Ce sont des œuvres qui s’articulent à la fois politiquement et poétiquement. Elles procèdent d’une voix de libération ouverte par la pensée de la négritude et produisent un chant rythmique qui se déploie comme un cycle, un éternel retour du langage sur lui même.
« Tu peignes tes cheveux à l’empenne de mes flèches
et emprisonnes ma colère entre tes mains de
nénuphars…
mais devrons nous toujours servir
de pâture aux urubus
excrémenteux
excrémentiels
pestilentiels
devrons- nous toujours servir
de fumier aux esplanades
de gibier à chasse à courre
de reliques à musée. »
Elie Stéphenson, Une Flèche pour le pays à l’encan, 1975, A.G.E
C’est donc sans « tuer le père » que se constitue notre espace poétique guyanais. La poésie s’y déploie en communautés d’auteurs, et chaque groupe s’organise autour de son modèle propre ; ainsi la Kaz Kozé, autour de Roland Zéliam et Haimegédéji ; ainsi la Revue Mitaraka, fondée par Dominique Martin. Et puis, les petits derniers dans l’espace, la Revue Littéraire Oyapock. Nous.
Dans mes livres, j’entretiens un rapport de résonnances entre ma connaissance de cette histoire littéraire et les nouvelles formes qui m’influencent. La poésie de Loran Kristian, Les Mots de silence, A l’encre de mancelunier m’interpelle tout particulièrement depuis un an par la fusion qu’elle tisse entre le langage et la modernité de son espace. Cette façon d’universaliser la prégnance du créole sur le français est somptueuse. Je suis très sensible au rapport entre la parole poétique et la contemporainéité du livre.
LN : Comment est née la Revue Littéraire Oyapock ? Quelles missions et objectifs vous êtes-vous fixée en la fondant ?
La Revue Littéraire Oyapock est née d’une discussion en mai 2020, avec mon ami Samuel Tracol, doctorant en histoire sur les structures pénitentiaires coloniales françaises aux Amériques. L’idée est née sur sa terrasse : nous lancer dans la création d’un espace de publication des auteurs caribeo-amazoniens. Nous avions à l’époque de nombreuses discussions sur la compréhension des rapports complexes et enchevêtrés entre l’espace de la Caraïbe et l’Amazonie. Nous menions de conserve un travail intersyndical et international, écrivions des articles et construisions des ponts avec des organisations des autres pays. Mais, au fur et à mesure, l’idée d´un lieu littéraire qui prendrait en compte ces dynamiques s’est imposé à mon esprit. Penser une relation décoloniale à nos espaces s’accompagne obligatoirement d’une pensée de la langue, de l’art, de la littérature qui s’ouvre au-delà du fait frontalier de la nation pour embrasser toute nos histoires et toutes les traversées.
Le 6 juin 2020, j’écris le texte fondateur de la Revue, Trois Bougies Noires, au village amérindien de Kuwano, près de Kourou, que l’on peut lire comme texte manifeste de notre premier ouvrage collectif, L’Anthologie de la Revue Oyapock, publié aux éditions Atlantiques déchaînés.
Nous sommes partis sur l’idée d’une revue littéraire qui publierait tous les genres : romans, théâtre, nouvelles, poésie, lettres et dans toutes les langues de l’espace, selon les auteurs et les traducteurs envisageables. Ainsi trouve t-on sur notre site des textes en anglais, en portugais du brésil, en créole martiniquais, en créole guyanais et en créole haïtien. Le temps et les rencontres, les publications ont au fur et à mesure façonné notre identité de poètes. Même si nous avons écrit un recueil de nouvelles à quatre, Cent fracas sur un murmure, moi, Daniel Pujol, 4JRolph et Émile Boutelier.
LN : Quels sont les genres et thématiques centraux que vous abordez dans Oyapock ?
La Revue a commencé en fonctionnant par thèmes collectivement choisis lors de nos réunions mensuelles. Un grand repas- débat- plaisanterie durant lequel nous lisons nos textes, présentons nos projets et concevons nos activités à venir. Ainsi avons nous écrit sur la ville, le corps, l’exil, la nostalgie, la guerre… La Revue est le reflet de nos réalités et des tensions qui habitent notre espace. A la fois auteurs de Guyane et du monde, les membres du collectif sont de jeunes gens, la plupart étudiants à l’université. La migration, donnée structurelle de la société guyanaise contemporaine, est au centre de notre écriture. En cela, on pourrait presque définir la Revue Oyapock comme glissantienne, non d’idéologie consciente, mais de fait ; car la traversée de l’espace et le rapport à l’espace définissent notre identité d’écriture. Le méandre, le labyrinthe, la sente. Autant d’éléments éparses dans nos écrits mais qui sont des communications internes entre nos univers. On retrouve cette intégration du méandre dans les nouvelles d’Émile Boutelier et de Daniel Pujol. Le labyrinthe dans La tragédie des chiens errants de 4JRolph. Et la question de l’écriture comme sente forestière est centrale dans ce que j’écris. Ce lieu complexe, ensevelissant, tourné sur lui même c’est, tour à tour, la forêt, la ville, le bidonville.
LN : La revue a-t-elle joué un rôle dans l’émergence de nouvelles voix littéraires en Guyane ou dans la Caraïbe ? Pouvez-vous nous parler de certaines contributions marquantes que vous avez publiées et qui vous ont particulièrement touchée ?
Avec seulement quatre ans d’existence, il est encore difficile de juger la place de la Revue Oyapock au sein de la littérature de son espace local et de son espace élargi. Cependant, on voit déjà des voix s’affirmer et émerger.
Je songe en premier lieu à mon ami de longue date Daniel Pujol, poète et romancier qui nous a rejoint aux premières heures de la Revue. Son travail poétique, nourri de l’ objectivisme mais traversé d’un lyrisme infini, me semble non seulement profond et original, mais aussi assis sur une vision généreuse et complexe de notre monde contemporain. La lecture de son œuvre a beaucoup contribué à la complexification de la mienne. Il publie d’ailleurs son recueil Je suis un ara en avril 2025, aux éditions Atlantiques déchaînés. Son roman Alicia est une fresque truculente et baroque dont nous avons publié de beaux extraits.
Bien évidemment, je songe également à mon frère de plume 4J Rolph, poète, romancier et nouvelliste. Notre rencontre a changé nos vies respectives car c’est son regard littéraire qui m’a porté ces dernières années. D’une certaine manière il a attrapé avec lui l’âme haïtienne de la culture en Guyane et me l’a montrée. C’est grâce à lui que j’ai compris comment nous pouvions habiter notre espace d’une manière différente et vivante, combien la poésie était toujours au cœur du monde . Avec Cœur Miroir Fragile, Prix Amaranthe 2023, son écriture s’est densifiée et la structure du livre, un triptyque, est au cœur même de la signification du recueil. Cette question de la relation profonde entre la structure du livre poétique et le poème , le texte de page, est vraiment de plus en plus au centre de nos discussions. Son prochain livre, Nulle douleur ne saura égorger nos mains, s’annonce comme un faisceau de mots pour dire douleur et beauté du monde.
LN : La mention spéciale que vous avez reçue du Prix Balisaille en 2023 a-t-elle marqué un tournant dans votre carrière littéraire ?
Oui, tout à fait. Tout d’abord parce que c’est à la suite de cette mention spéciale que j’ai pu publier mon premier recueil individuel, préfacé qui plus est par Raphaël Confiant, en co- édition avec Le Merle moqueur et Atlantiques déchaînés. Puis, quelques semaines après le prix, en juillet 2023, j’ai été invitée à deux des plus grands festivals de poésie du continent : le Festival International de poésie de Medellín, fondé par Fernando Randon ; el le festival International de Caracas, organisé par Freddy Nanez. Ce fut une occasion unique et merveilleuse de découvrir les publics colombiens et vénézuéliens, mais également les poètes du monde entier, certains avec lesquels je travaille d’ailleurs toujours, comme Keshab Sigdel du Népal, Hanan Awwad de Palestine ou Achour Fenni, d’Algérie.
Au retour de cette extraordinaire expérience, nos énergies de travail, les perspectives ouvertes pour la revue ont été démultipliées. Notre livre collectif, publié en novembre 2023, nous a tous lancés dans une cascade d’écriture et d’activités culturelles. Cette fureur de vivre ne nous a pas quittés depuis.
LN : Quel effet cela a-t-il eu sur votre perception de votre travail et sur votre relation à la communauté littéraire ?
Le prix a été un révélateur, comme dans un processus chimique. Il a ôté toutes mes précautions et mes hésitations quant à la pertinence littéraire de ma poésie. Il a affirmé la cohérence de la dynamique littéraire que nous étions en train de construire car il est aussi une entrée en tant que pair dans la communauté littéraire caribéenne. Je ne m’en suis rendue véritablement compte qu’à la lecture de l’incroyable préface de Raphaël Confiant pour Par le Regard de ces autres mal nés. Je n’avais jamais envisagé une telle reconnaissance au préalable.
L’année suivante, en 2024, lorsque j’ai été invitée en tant que lauréate à la troisième édition de Mai Poésie en Martinique, tout est devenu réel et formidable : la rencontre et l’échange avec des auteurs et artistes dont j’admirais le travail, la lecture de mes poèmes à la maison d’Édouard Glissant, la lecture et la diffusion de mon livre face à des publics de toute l’île…
Depuis, les choses se sont approfondies puisque je suis en relation avec les poètes de Guyane, les poètes caribéens, des poètes en France et des poètes de continents différents. Nous avons monté un festival de poésie en Guyane, dont la première et modeste édition a été un succès. Si nous avons beaucoup reçu, nous désirons pouvoir offrir aux auteurs des opportunités aussi belles que celles que nous avons rencontré.
LN : Le Prix Balisaille dans le contexte littéraire caribéen?
Le Prix Balisaille est, je pense, né de la volonté de replacer la poésie au centre de notre littérature francophone et créolophone. En tant que prix international il affirme une ouverture, nécessaire aujourd’hui, aux différentes expressions du monde. En tant que prix de poésie, il nous rappelle à quel point ce genre est fondateur et nourricier encore de nos littératures. Léon Gontran Damas et Élie Stephenson en Guyane. Saint John Perse en Guadeloupe. Césaire et Monchoachi en Martinique. Davertige, Franketienne et Castera en Haiti. La volonté de Balisaille, plus que pertinente, est de remettre la poésie sur le devant de la scène littéraire et dans la vie de la Martinique. Avec un jury prestigieux et international, des prix qui éclairent de nouvelles mines ou saluent le travail d’auteurs confirmés, Balisaille s’est imposé en peu de temps comme le rendez-vous des poètes et le lieu où les nouveaux noms se dévoilent. Je trouve que le travail de Faubert Bolivar est de première importance, et que ses efforts pour créer un festival de qualité internationale fonctionnent. La poésie vit, à Balisaille, dans un espace héritier et moteur. Le présent nourrit du passé nous apporte l’avenir.
LN :Est-ce qu'il y a des œuvres inédites, des collaborations ou des événements littéraires qui marqueront les prochaines étapes de votre carrière ?
Mon prochain recueil Panoptica Americana sera publié en mai, toujours en co-édtion entre Atlantiques déchaînés et Le Merle moqueur. Il s’agit d’un ouvrage de poésie polyphonique sur le continent américain. Je finalise actuellement la traduction d’un recueil du poète népalais Keshab Sigdel, intitulé Embargo et autres poèmes. Je travaille avec la poétesse franco-tunisienne Arwa Ben Dhia sur plusieurs projets : une traduction à quatre mains de la poétesse palestinienne Hanan Awwad, un livre collectif sur l’exil (importante participation des auteurs et autrices de la Revue Oyapock), et un autre livre de poésie collectif, cette fois-ci avec les éditions Milot. Par ailleurs, le poète kabyle Amar Benhamouche, m’a proposé de préfacer son recueil de haikus.
En ce début d’année, nous sommes également en train de monter la deuxième édition de notre festival de poésie à Cayenne, qui aura certainement lieu en octobre 2025.
Propos recueillis par Godson MOULITE
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