Centenaire de la naissance de Frantz Fanon : "l'esprit-mendiant arrogant" contre "l'esprit-micro-état"

      L'année 2025 s'achève sans que la pensée de Frantz Fanon ait véritablement irrigué les esprits à la Martinique.

      Certes, il y a eu moult rencontres, colloques, conférences, expositions etc. autour de l'auteur des "Damnés de la terre" mais peut-on vraiment dire que son message est passé ? Non pas chez le plus grand nombre qui est accaparé par les difficultés de l'existence mais chez les décideurs ou les leaders d'opinion. Car c'est vers ces politiciens, intellectuels, artistes, journalistes, avocats, activistes etc...qu'il convient de se tourner pour savoir si "l'Esprit-Fanon" les a amenés à se remettre en question et à modifier quelque peu à la fois leur vision de la réalité et leurs pratiques.

      Hélas, NON !

      Car, dans territoire qui se veut, en tout cas qui se proclame, une nation et un pays tout à la fois règne dans les élites ce qu'on peut appeler "l'esprit-mendiant arrogant" pour reprendre une expression d'Aimé Césaire. Cela consiste en quoi ? En ceci : prendre appui sur ces deux leitmotivs que sont "la continuité territoriale" et "la solidarité nationale". Comme si elles étaient acquises de droit, d'une part, et de toute éternité (ad vitam aeternam) de l'autre ! Alors bien sûr, les indépendantistes ne l'énonceront pas aussi crûment mais quand ils arrivent au pouvoir, leur pratique est identique à celle des Assimilationnistes et des Autonomistes. A la limite que ces deux dernières catégories s'imaginent que la France sera toujours aux côtés de la Martinique jusqu'au Jugement dernier, cela ne prête pas à conséquence. Juste à sourire ! Mais que des auto-proclamés "indépendantistes" en fassent de même est pour le moins préoccupant.  

      Tous sont de vieux partis politiques dépassés ! clameront les partisans du Mouvement de l'Alignement des Prix sur la Métropole sans se rendre compte que leurs revendications s'inscrivent exactement, parfaitement, dans le cadre, le même cadre d'esprit-mendiant que les Assimilationnistes-Autonomistes-Indépendantistes. "On veut avoir les mêmes prix qu'en Métropole !", "On veut être traités comme des Français à part entière !", "on veut un préfet noir", "On veut l'autonomie totale" etc..., tous ces slogans évitent soigneusement de poser la seule question qui vaille à savoir celle de la pleine et entière souveraineté de la Martinique, cela quel que soit le prix à payer. Dans un premier temps évidemment ! Car comme disait Mao "On ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs". Oui, franchir cette étape sera dure, difficile mais les quelques 140 pays non-européens qui siègent à l'ONU ont dû la franchir, notamment nos voisins immédiats (Sainte-Lucie, Dominique, Grenade, Saint-Vincent etc.). Pourquoi la Martinique serait-elle la seule à en être incapable ?

    Et c'est là que nous en venons à "l'Esprit-micro-état" vers lequel cette année de communion autour de l'oeuvre de Frantz Fanon aurait dû nous avoir conduit. 

   Cela consiste, en toute humilité, à se tourner vers les pays indépendants similaires à nous par la taille, le système économique, voire même la culture. Juste voir comment ils font ! Comment ils se débrouillent ! Le lexique habituel les classifie comme étant de "micro-états", ce qui n'a rien d'insultant en soi puisque si l'on en juge, par exemple, par les classements des pays africains par le PIB, les citoyens des minuscules Ile Maurice et Seychelles, pays dépourvus de ressources minières, s'en sortent nettement mieux que des pays comme la République Démocratique du Congo, le Bostwana ou le Gabon qui en regorgent.  Or, Barbade a beau célébrer le 30è, le 35è, le 40è, voire le 50è anniversaire de son indépendance, aucun parti dit "indépendantiste" n'envoie de délégation aux cérémonies. Pareil pour les autres îles qui nous entourent ! Cela démontre qu'ils n'ont jamais cherché à établir des liens avec les différents partis au pouvoir dans celles-ci. Pourtant, on aurait bien aimé savoir comment la Première Ministre de Barbade (ou le Président des Seychelles) parvient à payer chaque mois ses enseignants, infirmiers, policiers, magistrats, cadres administratifs, douaniers, diplomates etc... ? Comment ils remboursent les prêts contractés par leurs pays auprès du FMI ou de la Banque mondiale ?  Comment font-ils sans Maman l'Angleterre ni Papa l'Europe ni Tonton Etats-Unis ? Car s'ils n'y parvenaient pas cela se saurait. Des révoltes éclateraient à intervalles réguliers. Des boat-people les fuiraient en masse...

                                                               CAMPAGNE ELECTORALE

   Rien n'exemplifie mieux "l'esprit-mendiant arrogant" que l'actuelle campagne électorale pour les prochaines municipales. Tous (/toutes) les candidats (es) nous répètent en boucle qu'ils vont "développer" leur commune sans qu'on sache si ce que ces messieurs-dames appellent ainsi consiste à donner des autorisations pour la construction de zones commerciales lesquelles, qu'on le veuille ou non, ne servent, hormis une poignée d'emplois, qu'à aggraver la dépendance économique de la Martinique. A Fort-de-France, la chose est même caricaturale quand on voit des partis promettre d'améliorer l'existence des défavorisés à grands renforts de slogans tonitruants. Or, il n'est pas besoin d'être un expert en urbanisme pour se rendre compte que les grosses cités-HLM qui ont été construites presque partout à la périphérie de la capitale ont été une erreur monumentale dans la mesure où il n'y avait et il n'y a toujours pas le moindre tissu économique autour desdites cités qui auraient pu absorber une partie conséquente de la main d'oeuvre. "Améliorer l'existence des maléré" proclament certains. OK ! Mais avec quoi ? Quels moyens ? Avec les maigres deniers de la municipalité ? En allant chercher des fonds hexagonaux ou européens ? Or, non seulement, une mairie n'est pas une annexe de Pôle-Emploi mais en outre, même en obtenant ces fonds, cela ne résoudrait pas le problème de...fond lequel est celui-ci : l'aménagement ou plus exactement le réaménagement du territoire martiniquais. En effet, alors que le Nord se vide de sa population, celle de la conurbation Schoelcher/FDF/Lamentin ne cesse de s'amplifier. La conséquence est brutale : la Préfecture a été contrainte l'an passé à régulariser 400 travailleurs haïtiens employés dans les bananeraies du Nord et elle n'empêche pas le recrutement de travailleurs venus du...Costa-Rica. Si ça se trouve, on aura bientôt des gens du Sri-Lanka !

    Seul un Pouvoir martiniquais, fut-il limité comme le fameux PNL (Pouvoir Normatif Local) qu'a avalisé dernièrement le Congrès mais surtout un vrai Pouvoir Martiniquais indépendant serait en mesure de corriger ces anomalies. "L'Esprit-mendiant arrogant" ne peut rien, absolument rien, y faire ! Impossible ainsi de lutter contre la désertification du Nord-Atlantique qui est pourtant la partie la plus agricole de la Martinique et, dans le même temps, de lutter contre la densification de la région Schoelcher/FDF/Lamentin. Certes, FDF n'a plus qu'environ 75.000 habitants là où, à la fin du siècle dernier elle en comptait 90.000. Mais dans les deux cas, c'est trop ! Beaucoup trop. On comprend alors pourquoi une partie de la jeunesse désoeuvrée se laisse happer par le commerce de produits illicites puisqu'il n'y a aucune perspective d'emploi à l'horizon. Quel que soit le parti qui évincera le PPM de la mairie de Foyal il sera confronté au même problème : comment gérer une ville où il n'y a presque plus d'activités économiques viables ? L'exemple du Centre Commercial Perrinon, pourtant idéalement placé mais en grande difficulté désormais, en est un exemple presque caricatural. 

     Sinon d'aucun diront que nous avons omis une troisième forme d'"esprit" à savoir "l'esprit-neg mawon". En Martinique, il a pris deux formes : l'esprit-neg mawon rasta ou crypto-rasta qui, aussi respectable soit-il, n'a aucunement les moyens d'ébranler le système en place ; l'esprit-marronage institutionnel forgé par certains politiciens qui se sont imaginé pouvoir ruser avec le système ou en tout cas le contourner, ce qui relève soit de l'outrecuidance soit du foutage de gueule. 

   "L'esprit-Fanon" n'a rien à voir ni avec l'esprit-mendiant arrogant ni avec l'esprit-neg-mawon.

   Dans notre cas martiniquais, très différent de celui de l'Algérie de l'époque de l'auteur des Damnés de la terre, qui dit "Esprit-Fanon" dit "Esprit-micro-état".