Contre canons et baillons

Guy FLANDRINA

Il fut un temps où, en France, chaque citoyen, républicain et humaniste, pouvait, librement, user de son droit à s’exprimer ou à manifester en faveur d’une Palestine libre et d’un État Palestinien.

En 2023/24, cette liberté d’expression démocratique semble avoir été verrouillée par le lobby sioniste qui, manifestement, a neutralisé la liberté de penser de l’Exécutif du « Pays des Droits Humains ». Lequel a cadenassé la liberté de manifester et d’agir de tout citoyen en faveur du peuple palestinien.

En outre, nombre de médias se font les relais des discours et images de Tsahal ; ne se distanciant même pas de sa propagande.

La seule évocation du nom du Hamas équivaut à forniquer avec Satan dans un confessionnal ; toute la bien-pensance officielle s’en émeut.

Aimé Césaire évoquait un « génocide par substitution », pour la disparition d’un peuple par une population de remplacement.

Elles sont peu nombreuses les voix à s’élever aujourd’hui pour dénoncer les crimes commis envers les Palestiniens par l’État sioniste et ses partisans.

D’emblée, il convient de ne pas confondre :

-D’une part, les agissements d’une extrême-droite sioniste dont la politique coloniale et expansionniste exclut le peuple palestinien de toute ressource de son propre pays et foule aux pieds tous ses droits fondamentaux.

-D’autre part, les juifs qui se tiennent, courageusement, aux côtés des Palestiniens ; ceux-là n’ignorant pas qu’aucun peuple ne peut être libre s’il en opprime un autre.

Toutes les vies se valent ! Oui le Hamas a causé, le 07 octobre 2023, la mort de 1.200 Israéliens, qui plus est des civils. Mais cela peut-il justifier l’assassinat de près de 30.000 palestiniens, pour la plupart des civils -dont des femmes et des enfants-, bombardés sans relâche ? Affamés sans répit ? Blessés -pas ou mal soignés- et traumatisés à vie ?

Les dirigeants Américains et Français ont trouvé des éléments de langage, communs, rendant acceptable, pour la plupart de leurs ressortissants, la guerre menée par Tsahal contre les Palestiniens de la bande de Gaza et justifiant leur soutien à l’État sioniste.

Les Américains, affirmant que les « actes terroristes du 07 octobre rappellent, douloureusement, ceux du 11 septembre 2001 », commis chez eux.

Les Français, soutenant « que les actes terroristes du Hamas ravivent, affreusement, le souvenir des crimes du Bataclan », perpétrés à Paris le 07 novembre 2015.

 

De Gaulle… terroriste ?

Ne convient-il pas tout de même de rappeler :

-que les Palestiniens se battent contre des forces d’occupation qui les a relégués dans une portion réduite de leur pays.

-que les colonies d’implantation n’arrêtent pas leur expansion avec, notamment, un gouvernement d’extrême-droite à la manœuvre.

Quel français, né avant la deuxième guerre mondiale, n’a gardé en mémoire les attentats perpétrés par les FFL (les Forces Françaises Libres) pour libérer la France de l’occupation nazie ?

Certes les Résistants s’en prenaient aux seuls militaires allemands appartenant à une « armée d’occupation ». Alors qu’en Palestine, Tsahal et les civils Israéliens sont, tous deux, des occupants.

Si les allemands, militaires et civils, avaient envahi le territoire Français dirait-on du Général de Gaulle qu’il a été un « terroriste » ? Parce qu’alors ses actions auraient été similaires.

 

L’histoire à témoin

Le 2 novembre 1917, la déclaration Balfour officialise le soutien du gouvernement britannique à l’établissement d’un « foyer national pour le peuple juif » en Palestine.   

De 1936 à 1939, les Arabes contestent le mandat britannique. Ils s’opposent à l’instauration d’un « foyer national juif » en « terre musulmane ».

Après la Deuxième Guerre mondiale, tandis que les mouvements de décolonisation émergent ça et là, la Shoah a sensibilisé l’opinion internationale au discours sioniste de « La terre Promise ».

En 1947, le monde assiste à de nouvelles et massives immigrations juives en Palestine. Il s’ensuit des affrontements entre Juifs et Arabes. Les Britanniques tentent alors d’instaurer des quotas pour juguler la violence. Rien n’y fait !

 

Coalition des puissants

L’Organisation des Nations-Unies en est à ses balbutiements. Le Royaume-Uni l’interpelle. L'ONU propose alors, le 29 novembre 1947, de partager la Palestine en deux. C’est le début d'une guerre (sans fin, diront certains) entre Arabes et Juifs.

La ville de Jérusalem, est revendiquée par les deux parties. L’ONU propose qu’elle soit une zone internationale. L’idée est acceptée par la majorité des organisations sionistes mais rejetée par les Arabes. Les sionistes ne respecteront pas le plan de partage de l’ONU ; comme d’ailleurs la plupart de ses résolutions par la suite…

Les soviétiques, qui s’opposaient aux britanniques et avaient une position pro-arabe, reconnaissent le droit des juifs à l'autodétermination et suggèrent, au cas où la solution d'un État unifié serait impraticable, d'avoir recours à la partition. David Ben Gourion proclame l’indépendance d’Israël, le 14 mai 1948.

En fait, le vieux continent a fait, pendant des siècles, une guerre larvée aux juifs. Il trouvait là une opportunité de s’en « défaire », tout en constituant une « enclave alliée » dans le monde arabe. Ici encore, Israël a profité, pour son émergence, de la bienveillante complicité des USA et aussi de l’appui politique, militaire et démographique de l’URSS.

Par ailleurs, aurait-t-on oublié que D. Ben Gourion organisait grèves et sabotages, tout en renforçant la Haganah (la plus importante organisation sioniste en Palestine, entre 1920 et 1948) par une politique d'achats d'armes en Europe, notamment en France et en Tchécoslovaquie ?

Bien évidemment, les armées des pays arabes, proches du point de vue culturel et cultuel des Palestiniens, entrent en guerre contre le nouvel État. Si dans un premier temps elles marquent des points, l’armée israélienne emporte la victoire, en janvier 1949.

La ligue arabe crée, le 30 mai 1964, l'Organisation pour la Libération de la Palestine (OLP).  Trois ans plus tard, lors de la guerre des Six Jours, Israël s'empare de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. C'est la quasi-totalité de la Palestine qui est désormais occupée par l'État juif.

Solution finale

C’était là un vieux dessein de David Ben Gourion et de l'Organisation sioniste mondiale qui, en 1942, au congrès sioniste de Biltmore (New York), entendaient œuvrer pour la domination d’un État juif sur toute la Palestine sous mandat, impliquant le départ des Britanniques.

Selon Benny Morris*, l'un des plus influents représentants du post-sionisme, D. Ben Gourion a imposé l'expulsion des Arabes palestiniens lors de la guerre d’indépendance. Cet historien Israélien affirme : « Ben Gourion voulait clairement que le moins d'Arabes possible demeurent dans l'État juif. Il espérait les voir partir. Il l'a dit à ses collègues et assistants dans des réunions (…) Mais aucune politique d'expulsion n'a jamais été énoncée, et Ben Gourion s'est toujours abstenu d'émettre des ordres d'expulsion clairs ou écrits ; il préférait que ses généraux « comprennent » ce qu'il souhaitait les voir faire. Il entendait éviter d'être rabaissé dans l'histoire au rang de « grand expulseur » et ne voulait pas que le gouvernement israélien soit impliqué dans une politique moralement discutable ».

Voilà donc le projet de Ben Gourion en passe d’être réalisé, par le gouvernement d’extrême droite de Benyamin Netanyahou, avec la complicité des puissants -étatiques et privés- et le silence coupable de nombre d’intellectuels et de politiques.

Cette situation a été jugée inacceptable par le directeur du bureau des droits de l’homme des Nations Unies, Craig Mokhiber. Il a démissionné, le 30 octobre 2023, refusant l’inaction de la communauté internationale face aux massacres de Gaza et l'impuissance de l'ONU à obtenir un cessez-le-feu.

Dans sa lettre de démission, ce fonctionnaire en poste à l'ONU, depuis 1992, écrit : « La situation actuelle en Palestine est un cas d'école de génocide en cours. Le projet colonial européen, axé sur l’ethno-nationalisme en Palestine, entre maintenant dans sa phase terminale, conduisant à l’accélération de la destruction des dernières traces de la vie palestinienne autochtone en Palestine ».

C’est cela qu’a bien compris également l’Afrique du Sud qui a déposé une plainte devant la Cour de Justice de la Haye -la plus haute juridiction de l'ONU- contre l'État hébreu pour "génocide". L'Afrique du Sud avait saisi cette juridiction en urgence, arguant qu'Israël violait la Convention des Nations unies sur le génocide, signée en 1948 à la suite de l'Holocauste.

Le 26 janvier 2024, la décision est tombée. Sans ordonner de cessez-le-feu à Israël, ladite Cour demande à Israël de "prévenir et punir" toute incitation génocidaire.

Doit-on, pour plaire aux puissants, rester silencieux et inactif face à la « solution finale » qui menace les Palestiniens ?

Peut-on rester muet au regard de l’indifférence qui gagne du terrain, au fur et à mesure que Gaza s’estompe des feux de l’actualité ? 

Les peuples qui ont subi le colonialisme, l’esclavage et ceux qui en ont été les auteurs, devraient méditer cette phrase de Denis Diderot : « Ce pays est à toi ! Et pourquoi ? Parce que tu y as mis le pied ? Si un Tahitien débarquait un jour sur vos côtes, et qu’il gravât sur une de vos pierres ou sur l’écorce d’un de vos arbres : ce pays appartient aux habitants de Tahiti, qu’en penserais-tu ? »

Guy FLANDRINA

Paris, le 05/02/24

 

*Benny Lorris, The birth of the Palestinian refugee problem revisited, Cambridge University Press, 2003.

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