Le discours "bat-san-menyen" du Président du Bénin, Patrice Talon, à la CTM (Collectivité Territoriale de Martinique" (2è partie)

   Comme indiqué dans la 1è partie de cet article, l'expression créole "bat-sans-menyen" signifie "infliger une correction sans frapper". 

   Sans doute que telle n'était pas l'intention du président du Bénin mais c'est le ressenti que chacun a pu éprouver à l'écouter des discours successifs de S. Letchimy (président de la CTM) et P. Talon (président du Bénin) l'autre soir au siège de la CTM à Plateau Roy. Nous n'allons pas revenir sur l'inélégance d'un discours martiniquais prononcé sans conviction par quelqu'un qui n'avait pour seule excuse que l'embarras qui semblait l'étreindre. C'est qu'il y a des règles de bienséance diplomatique à respecter, surtout quand on veut développer ce que la majorité qui dirige la CTM appelle "la diplomatie territoriale". 

   La diplomatie, qui existe depuis que le monde est monde, consiste en grande partie à faire semblant ou en tout cas à s'efforcer de faire semblant. 

   Analysons donc le discours du président Talon en précisant d'entrée de jeu qu'il reconnaîtra la participation des Africains à la Traite esclavagiste, chose que refusent d'admettre nos noiristes locaux plus royalistes que le roi : 

 

   .Bat-san-menyen 1 : 

 

    "C'est un immense plaisir que je vis aujourd'hui en cette terre si belle de la Martinique. Je suis arrivé par un chemin atypique. C'est l'Art qui m'a conduit en Martinique aujourd'hui."

     Décryptage : ce n'est ni une instance politique martiniquaise ni l'Etat français qui m'ont invité. C'est fort courtoisement dit mais c'est dit ! 

 

    . Bat-san-menyen 2 :  

 

       "Ce n'est pas la volonté, l'envie de venir dans la Caraïbe, ici en Martinique, qui m'a manqué depuis des années, mais c'est le courage de venir d'affronter une part de mon histoire et de moi-même qui m'a retenu si longtemps ! 

       Décryptage : connaissant le rôle joué par mes ancêtres dans la déportation des vôtres jusqu'aux Antilles, j'ai toujours été gêné aux entournures de venir chez vous. Là, le "bat-san-menyen" est adressé à ce qu'il faudra bien un jour finir par appeler les "négationnistes noiristes", tous ceux qui refusent de reconnaître que si la Traite des Noirs a pu durer si longtemps (près de 3 siècles), c'est parce qu'il y a eu de fortes complicités locales. 

 

    Bat-san-menyen 3 : 

      "Je voudrais ici, devant vous, dire, merci monsieur Hayot, pour m'avoir permis de vaincre cette appréhension de venir sur cette terre où ont été déportés, humiliés, animalisés des millions d'Africains...Un Martiniquais est venu à Cotonou découvrir les trésors anciens et contemporains et à la fin de son séjour, alors que je rencontrais un groupe de collectionneurs, il me dit :  "Monsieur le Président du Bénin, j'ai appris que des oeuvres feront le tour du monde, iront partout dans le monde, au Maroc, en France, mais pas dans la Caraïbe. Je pense, monsieur le Président, qu'il faut réparer cela... J'ai été ému par ces propos et j'ai donné acte immédiatement de mon engagement à oeuvrer à cela."

     Décryptage : Patrice Talon remercie d'abord, au tout début de son discours Bernard Hayot et ne le fera s'agissant de Serge Letchimy que bien après. Il est impossible au vu du nombre d'Antillais qui occupent des postes au Bénin, y compris à la présidence de ce pays, et également au vu du nombre de Béninois istallés en Martinique que P. Talon n'ait pas été au courant de la polémique qui a éclaté suite à l'annonce de l'exposition d'artistes béninois à l'Habitation Clément. Il ne s'est donc pas retrouvé piégé comme l'a été S. Letchimy et c'est en toute connaissance de cause qu'il fait fi de ladite polémique ! On peut penser ce qu'on veut de lui, rappeler que ses ancêtres firent partie des trafiquants d'esclaves, qu'il n'est qu'un "Béké noir", un autocrate etc...etc..., il n'en demeure pas moins que ce faisant, il a fait preuve de courage. C'est Hayot qui l'a invité et pas la CTM ! Point à la ligne. C'est triste pour nous, Martiniquais descendants de personnes ayant été réduites en esclavage, mais cela reflète notre inconséquence, nous qui, en dépit de nos discours noiristes, n'avons, par exemple, jamais été gênés par le fait que le Bénin et d'autres pays africains nous envoient des prêtres catholiques et que la religion de nos ancêtres, le vodoun, ne soit aucunement représentée chez nous alors que nous avons une cinquantaine d'églises, de temples protestants, une dizaine de temples hindous, une synagogue et une mosquée. Ne nous a jamais non plus gêné le fait qu'il ne soit pas possible d'apprendre la moindre langue africaine à la Martinique. Nous n'avons donc qu'à nous en prendre à nous-mêmes au lieu de toujours pointer du doigt les Békés blancs et les Békés noirs. 

 

   Bat-san-menyen 4 :  

   "Il s'est engagé à donner le meilleur de lui-même pour recevoir et honorer les oeuvres des artistes béninois...Elles sont venues ici en Martinique et je les ai suivies. Ma venue parmi vous est un pélerinage... L'art ouvre les portes, conduit à tout et vous amène là où il faut. Et je saisis l'occasion pour proposer l'établissement d'un pont, d'un véritable pont, entre la Caraïbe et l'Afrique, entre la Martinique et le Bénin...Il y a tant à faire en matière de développement économique entre nos deux pays...Nous avons programmé d'ouvrir une liaison aérienne entre le Bénin et la Martinique."

    Le président béninois en remet une couche sur Bernard Hayot et le désir de ce dernier de voir les oeuvres béninoises exposées en Martinique. Silence glacial dans l'agora ! Puis, applaudissements nourris lorsqu'il annonce la création d'une ligne aérienne entre les deux pays. Dès lors, professionnels libéraux roulant en Porshe Cayenne, fonctionnaires à 40%, élus (es) grassement rémunérés etc...pourront donc faire du "tourisme mémoriel" au Bénin ! Cela leur donnera le sentiment d'être "vraiment Nègres" et cela apportera des devises au Bénin. Opération gagnante-gagnante qui n'inquiétera nullement Maman-La-France ni Papa-l'Europe, parents dont, nous, Martiniquais, nous ne voulons surtout pas nous séparer. Inconséquence quand tu nous tiens...

 

   Bat-san-menyen 5 :  

 

     "Le meilleur moyen d'amener les autres à reconnaitre les torts qu'ils nous ont causés est d'abord de reconnaître notre propre part de responsabilité. Pour avoir vendu, livré en échange de pacotille, certains de ses enfants les plus valides à d'autres peuples en quête de main d'oeuvre gratuite, l'Afrique s'est vidée de son sang, de sa force de travail, a manqué de protéger sa progéniture, voire a péché contre elle. Nous qui avons qui avons succédé aux générations coupables de cette faiblesse, j'allais dire de cette bassesse, nous, de l'Afrique d'aujourd'hui, de part et d'autre de l'Atlantique, nous devons oeuvrer en faveur de nous-mêmes  à la réparation morale, mentale, voire matérielle, du  préjudice subi par notre détermination à sortir de la pauvreté consécutive à l'horreur de la Traite des Noirs."

   Décryptage : le président béninois en remet une couche sur la part de responsabilité de l'Afrique dans la Traite des Noirs. Il emploie même le mot terrible de "vendu" qui choquera nos Martiniquais qui se croient plus Africains que les Africains mais P. Talon sait de quoi il parle : ses ancêtres, sa famille ancestrale plus exactement, firent partie des négociants de "bois d'ébène" et il l'assume ! 

 

   Bat-san-menyen 6 :  

    

     " L'Etat du Bénin depuis quelque temps promeut l'investissement étranger au Bénin en participant au financement des investissements étrangers et en mettant en place des mécanismes pour dérisquer les investissements de ceux qui viennent sur la pointe des pieds. Pour leur permettre de découvrir qu'investir au Bénin est une vraie opportunité de se faire de la richesse. Et je me ferais un plaisir de voir quelques Martiniquais venir au Bénin pour tenter quelque chose au Bénin avec le co-financement de l'Etat béninois." 

 

    Décryptage : 

      Applaudissements nourris à nouveau de l'assistance, au sein de laquelle certains (es) se sont déguisés (es) an Africains (es), qui ne se rend même pas compte que les seuls entrepreneurs qui auront la capacité financière d'investir au Bénin seront les...Békés et personne d'autre. Le groupe GBH (Bernard Hayot) n'a d'ailleurs pas attendu la venue en Martinique du président Talon pour le faire : il est présent en Côte d'Ivoire, au Maroc etc...En fait, corrigeons ce qui vient d'être dit et écartons la langue de bois : les seuls investisseurs susceptibles de répondre à l'appel de P. Talon seront sans doute les Békés. Car il y a bel et bien du fric non-Béké en Martinique ("La Galléria" par exemple n'appartient pas à un Béké) mais personne, aucun activiste, révolutionnaire ou afrocentriste ne demande des comptes à ceux qui le possèdent puisqu'ils sont des "Non-Blancs". Au fait, avant Hayot, l'Habitation Clément était la propriété d'un Mulâtre appelé... Clément.     

 

    Il y aurait au moins cinq autres "bat-san-menyen" à analyser dans le discours du président béninois, mais nous préférons laisser nos lecteurs les découvrir eux-mêmes. Après tout, le taux d'illétrisme n'est que de 13% en Martinique alors qu'il est de 65% au Bénin. 

    Nous avons donc parfaitement les moyens intellectuels de comprendre tout ce que P. Talon nous dit en filigrane (/diplomatiquement) et de réaliser que nous sommes des inconséquents à tous les niveaux. Car critiquer Talon et Hayot, c'est bien. Savoir nous critiquer nous-mêmes, ce serait mieux !...      

Commentaires

Souveraineté

dre

13/01/2024 - 15:29

Chacun est responsable de vos interprétations sur son discours
Mais les departements francais antillais ne manifestant pas un desir clair de s'emanciper de cet etat et de determiner eux memes quels seront leur defis et enjeux futurs ( toujours aligné sur les interets occidentaux qui ne nous concernent pas ), le president du Benin a t-il eu tort ?
Un peu d'empathie, quelle est l'interet pour un pays souverain de traiter a egal avec des peuple resté de leur volonté sour le carquant neo colonialiste ?
En mon humble popinion, cest un premier pas qui a ete fait, et les Antilles françaises en ont de nombreux a faire avant de pouvoir prétendre être traité d'égal a égal avec des pays souverains.
L'auto determination serait deja une etape, mais nos responsables politiques ont apparemment d'autre priorités..

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