Législatives : l'effondrement du Gran Sanblé et du PPM

   Ils ont été les deux grands partis ou plus exactement les deux plus grandes coalitions de partis de la Martinique au cours des vingt dernières années. 

   Ils se sont partagés le pouvoir à tour de rôle et continuent d'ailleurs à le partager au sein de l'Assemblée de Martinique. Mais pour combien de temps encore ? Car ces élections législatives ont été pour chacun d'eux un véritable coup de massue. Si le PPM est K.O debout puisque l'un de ses candidats, celui de la circonscription de Fort-de-France, est sorti en tête au premier tour, c'est de très peu. A peine deux mille et quelques voix le séparent de la candidate sortie deuxième et lorsqu'on additionne le score de cette dernière avec celui d'autres candidats opposés au PPM, on se rend compte que ce dernier a de gros, de très gros soucis à se faire. Comment expliquer ce qui s'apparente à une déroute ? Les raisons sont multiples : d'abord, l'usure du pouvoir puisque ce parti détient Fort-de-France depuis... 1958 ; ensuite, le délabrement de la "ville-capitale" comme aiment à la surnommer le parti de Césaire : fermetures de commerces, petite délinquance, désertification du centre-ville à partir de 17h, diminution conséquente de la population etc... Sans parler des déboires judiciaires de ses principaux dirigeants !

   Mais il y a une raison plus profonde à cette Bérézina : le virage "nationaliste" soudainement pris par le leader du parti au cours des trois-quatre dernières années : adoption du drapeau Rouge-Vert-Noir, création d'un hymne national martiniquais, co-officialisation du créole, débaptisation d'expressions coloniales (les "50 pas géométriques" sont remplacés par Bod Lanmè Matinik) etc...Alors même que le PPM mettait enfin concrètement en oeuvre son mot d'ordre d'autonomie, cela pour la première fois de son histoire, il suscitait des frondes en son sein, frondes caractérisées par des lettres ouvertes de militants lui demandant si son leader cherchait à "mener la Martinique vers l'indépendance". Les masses césairistes aussi étaient quelque peu désorientées, elles qui vénéraient et votaient massivement pour "Le Nègre Fondamental", pour Ti neg-nou an, et aucunement pour une quelconque autonomie. On l'a bien vu en 1981 lorsqu'elles avaient voté contre François Mitterand lors de l'élection présidentielle. Ou encore en 2010, lorsqu'elles votèrent à 80% contre ce tout petit début d'autonomie qu'aurait pu être l'Article 74. 

   Tant que le PPM était autonomiste en parole, il avait la faveur de l'électorat. A partir du moment où il a cru pouvoir concrétiser cette idée, il s'est tiré une balle dans les pieds.

   C'est que la candidate sortie deuxième à ces législatives dans la circonscription de Fort-de-France est la responsable locale du Parti socialiste lequel n'a jamais été très chaud pour une autonomie de la Martinique et encore moins pour l'indépendance. Si elle parvient à se faire élire au second tour grâce aux voix de l'extrême-gauche hostile au PPM, ce qui est fort probable, nous serons encore plus intégrés au système français et européen. En effet, sa ki bo pou zwa (l'Hexagone) à savoir le Nouveau Front Populaire ne l'est pas forcément pou kanna (la Martinique). Cette victoire annoncée sera en fait celle de l'assimilationnisme de gauche. Jean-Luc Mélencon n'aime-t-il pas, en effet, rappeler que "La France a le 2è espace maritime du monde grâce à ses Outremers" ? ​Plus simplement dit : 350.000 Martiniquais vont se diluer inexorablement dans 350 millions d'Européens.

   Le PPM-Letchimy a fait l'erreur de croire que les Foyalais étaient des autonomistes.

 

2

 

   S'il est donc K.O debout, l'autre grande coalition de partis menée par le MIM (Mouvement Indépendantiste Martiniquais) à savoir le Gran Sanblé Pou Matinik a subi carrément un Knock-down. Son candidat sur Fort-de-France, qui en est à sa 7è candidature, est sorti pour la première fois 3è du scrutin et est éliminé de la course, chose qui ne s'était jamais produite auparavant. Il s'agit tout simplement d'un séisme politique. De toute évidence, il n'a pas obtenu le soutien attendu (et habituel) de plusieurs partis de la coalition Gran Sanblé ! Quant au candidat de ce dernier dans la circonscription du Centre-Atlantique, il a subi une véritable raclée puisqu'il est devancé de.... 10.000 voix par le député sortant. 

   Comme pour le PPM, il convient de s'interroger sur cette Bérézina.Comment le Gran Sanblé triomphant de 2015 a-t-il pu s'effilocher comme peau de chagrin ? 

 

3

 

   Là encore les raisons sont multiples mais on peut souligner d'abord le fait que cette coalition s'appuyait surtout sur le formidable charisme de son leader, affectueusement surnommé Chaben par le peuple. L'âge venant et les problèmes de santé aussi, il n'a pas su, pas pu ou pas voulu préparer sa succession, passer la main. Cela a provoqué une cassure au sein du MIM et la création d'un nouveau parti dirigé par des quinquagénaires. Les septuagénaires et octogénaires devenaient alors hors jeu. Une deuxième raison tient à un fait exactement semblable à celle qui a miné le PPM : de même que les électeurs du Parti de Césaire n'étaient et ne son nullement des autonomistes, ceux du parti de Chaben n'étaient et ne sont nullement des indépendantistes. La meilleure peuve en est que si aux élections législatives, ils votaient toujours pour lui, aux élections municipales, ils continuaient à voter pour leur maire de...droite, de gauche ou non-inscrit. C'est ce qui explique pourquoi un parti aussi puissant que le MIM n'a jamais réussi à conquérir qu'une seule et unique mairie, celle de Rivière-Pilote, sur les 34 que compte la Martinique, commune qu'il a d'ailleurs perdu de 8 petites voix à cause de guéguerres intestines. 

   Autre raison : l'aveuglement et l'arrogance d'apparatchiks qui ont fait toute leur carrière à l'ombre de Chaben, véritables staliniens au petit pied qui considéraient les cinq autres partis de la coalition Gran Sanblé comme de simples supplétifs. Ces personnes ne toléraient pas la moindre divergence émanant des autres partis sur telle ou telle question et ceux qui osaient entendre un son différent, même légèrement différent, se voyaient aussitôt rappelés à l'ordre (sur la radio RLDM le plus souvent), voire marginalisés désormais ou même diabolisés. Ces staliniens tropicaux sont les grands responsables de l'éclatement progressif du Gran Sanblé après la pourtant formidable victoire de cette coalition aux élections territoriales de 2015 : le Gran Sanblé avait, en effet, distancé le PPM et alliés (coalition dite EPMN) de... 15.000 voix. Or, aux élections suivantes, le PPM et alliés n'avait battu le Gran Sanblé que de... 3.742 petites voix. Ces staliniens, dont certains n'étaient pas tous du MIM mais aussi d'autres partis de la coalition Gran Sanblé, sont parmi les principaux responsables de sa déconfiture actuelle.

   Mais la troisième raison est que tout comme le PPM d'avant l'ère Letchimy qui n'avait jamais tenté de mettre en oeuvre l'autonomie, le MIM, lui, n'a jamais rien fait pour faire avancer l'idée d'indépendance d'un millimètre. Cela a ouvert un boulevard, l'actuel boulevard, à des faux indépendantistes qui se camouflent sous l'étiquette de "souverainistes" et qui ont le vent en poupe puisqu'en 2022, ils avaient réussi à faire élire 3 députés et qu'ils sont à nouveau en position de réitérer cet exploit en 2024. Ces véritables tanbou a 2 bonda, "souverainistes" lorsqu'ils sont en Martinique et parfaits assimilationnistes lorsqu'ils siègent à l'Assemblée nationale française, actent en fait la disparition définitive de l'idée d'indépendance. Membres du Nouveau Front Populaire, ils sont des Mélenchonistes tropicaux qui n'ont comme seul souci que de se faire réélire. 

   En conclusion de tout cela, les idées d'autonomie et d'indépendance sont mortes et enterrées. La Martinique se transformera en Hawaï comme Edouard Glissant l'avait pressenti dès... 1981 dans son ouvrage capital Le Discours antillais dont il est douteux qu'il ait été lu par nos politiques.

Connexion utilisateur

Commentaires récents

  • Jean Crusol : "Première tentative d'un gang du narcotrafic de s'imposer dans le paysage politique et social de la Martinique"

    Albè , mon cher, peut-on mettre...

    Frédéric C.

    23/11/2024 - 23:38

    ...toute la "classe politique" (qui n’est d’ailleurs pas une "classe sociale") sur le même plan ? Lire la suite

  • Kréyolad 1052: Polo chanté

    Jid, sa vré! Sé lè on mizisiyen ka mò...

    Frédéric C.

    23/11/2024 - 20:10

    ...ou ka trouvé tout diks-li, òben yo ka viré enprimé tou sa i fè-a vitman présé! Lire la suite

  • "Local", "Traditionnel", "Typique", "D'Antan" "Territoire" et autres euphémismes

    Il y a pire que ça...

    Frédéric C.

    23/11/2024 - 15:38

    ...À une époque pas si lointaine, l’adjectif qualificatif "national" était fréquemment utilisé po Lire la suite

  • La religion chrétienne serait-elle une religion afro-caribéenne ?

    Avec des ritournelles de vie chère ...

    Veyative

    21/11/2024 - 05:55

    ce sera très drôle! Lire la suite

  • Jean Crusol : "Première tentative d'un gang du narcotrafic de s'imposer dans le paysage politique et social de la Martinique"

    VOUS ACCUSEZ LES MANIFESTANTS MAIS...

    Albè

    20/11/2024 - 10:47

    ...vous vous bouchez les yeux quand il s'agit d'identifier les VRAIS responsables de la situation Lire la suite