Martinique : les géomètres du futur ambigu

Patrick Chesneau

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  Serge Letchimy et le 22 mai. D'année en année, évocation de tous les fondamentaux politiques et culturels, caractéristiques de la pensée autonomiste. 

   " Oui, nous sommes Français, Européens, mais nous sommes aussi Martiniquais et Caribéens " aime à dire le président du Conseil Éxécutif de la Collectivité Territoriale de Martinique. Dans ce jeu de poupées russes, on emboîte pour satisfaire tout le monde. La cuvée 2023 avait encore Trénelle pour décor. Les convaincus d'office ont eu droit à un " discours puissant et clair " selon Jean José Alpha, acteur de premier plan de la scène culturelle martiniquaise depuis des lustres. Il s'en fait l'écho sur les réseaux dits sociaux. Faut-il lui emboîter le pas sur le registre de la louange et de l'appréciation laudative ?

   Drapeau rouge vert noir, hymne Ansanm aux vertus galvanisatrices, culture atavique transmise de mornes en ravines dans l'enfilade des siècles, le créole, jailli d'un passé douloureux, érigé au statut de langue officielle (au côté d'une langue d'emprunt imposée par la domination et l'asservissement, le français, qui a de plus en plus de mal à traverser l'Atlantique), l'exercice du droit à l'initiative locale.  Au total, une culture insécable et, doit-on ajouter, inaliénable. Ce sont là les principaux fragments symboliques qui devraient jalonner le chemin menant à l'émancipation, pleine, entière et définitive.

   En poussant le raisonnement, la démarche conduit en théorie à la conquête de la souveraineté. C'est une logique, une cohérence. Encore faudrait-il l'énoncer clairement. De façon explicite. Ce qui est rarement, sinon jamais, le cas. Pas plus cette fois-ci que toutes les fois précédentes. Ce qui est clair n'apparait certainement pas limpide à l'observateur vétilleux. Ti Sonson, politologue d'essence péléenne en ce sens qu'il est coutumier d'analyses fulgurantes, doit lui aussi se contenter de supputations. Wopapa !!! Maintenant quelle perspective ? On en reste au périmètre culturel ? Au risque du simple folklore ? Quel débouché sur le plan politique et institutionnel ? Pourquoi ne pas inclure l'indépendance dans le "package" régulièrement égrenée en direction des foules ?  C'est naturellement en filigrane mais personne ne le dit haut et fort en s'assurant qu'il n'y ait aucune ambiguïté dans le propos. Cette hypothèse de la séparation d'avec la France n'est jamais définitivement exclue. C'est au choix une menace ou un espoir qu'on laisse planer. 

   Certes, on vitupère d'abondance contre l'état colonial mais on ajoute séance tenante que la souveraineté en grand format n'est pas à l'ordre du jour...sans toutefois récuser à aucun moment cette option encore jugée trop radicale par une fraction non négligeable des citoyens natifs natals de l'île aux leurres. Un jour peut-être...Qui verra saura. Cela s'appelle entretenir le flou. Par opportunisme ? Par propension à la dissimulation, forme de " taqiyah tropicale " ? Par tactique ? Comme pour se ménager les bonnes grâces de l'avenir car il n'est pas exclu que la société martiniquaise, en tant qu'entité, se révèle un jour plus résolue que la plupart de ses supposément grands dirigeants, à s'inventer un destin endogène. Les leaders autonomistes se gardent bien d'afficher leurs intentions stratégiques (donc à très long terme) réelles. L'invocation rituelle d'Aimé Césaire sert très commodément de sauf-conduit pour un futur sans cap, non balisé, aux contours toujours aussi mal définis après des décades de tentatives d'élucidation du malaise bò kay. L'indépendance sera-t'elle à portée de main et de bulletin avant que ne soient lancées les premières esquisses d'une nouvelle colonisation. Galactique cette fois. Celle de la planète Mars par une poignée d'incorrigibles Terriens expansionnistes.

   L'indépendance est-elle un rêve peau chagrin, un fantasme qui s'amenuise au fur et à mesure que les Martiniquais sont de plus en plus des Français à part entière et de moins en moins des Français entièrement à part ?  L'égalité par l'intégration est-elle un piège léthal ? La continuité territoriale est-elle le parfait antidote à toute velléité d'exister par soi-même ? Va savoir.... En toile de fond, les palinodies et double postures brouillent les pistes.

   Pourtant, l'indépendance, c'est ce mot nodal qui hante l'imaginaire antillais. On en rêve la nuit. Mais on compose avec les contingences le jour. Les contraintes et les vicissitudes de la vie ordinaire. Hiatus béant. Résultat, on ne cesse d'y revenir...Quels scénarios sont actuellement disponibles dans les prises de position publiques ? Faut-il y penser toujours, suggérer souvent mais avouer de vive-voix jamais ?  On pourrait même en venir à penser que les symboles maniés à longueur de discours sont au mieux des hochets pour divertir le peuple et le détourner de l'essentiel, c'est à dire la quête patiente, inlassable d'un avenir en tant que construction collective hors de la sphère d'influence de l'état central.

   Doit-on comprendre qu'il vaut mieux, par confort intellectuel, tourner autour du pot, ratiociner, éluder, multiplier les atermoiements sémantiques agrémentés de quelques énigmes idéologiques ?  Faut-il transiter par un échéancier ? En passer par un agenda ponctué d'étapes ? Fixer une ligne d'horizon ? Définir une échéance impérative à long terme ? Ou temporiser ?  User de formules dilatoires ? Peut-on retarder indéfiniment la marche inexorable de l'histoire?

 

Patrick Chesneau

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