La Martinique totalitaire n'est pas pour demain, elle est là !

Yves-Léopold Monthieux

   Après “la tentation totalitaire” évoquée en 2007 dans un article sur la négritude et La personnalisation du pouvoir est l’ennemie de la démocratie, publiée en juin 2015, Populisme et totalitarisme : les dangers de la démocratie, en juillet 2016, votre serviteur s’était fendu en septembre 2023 du Le totalitarisme : dissertation imaginaire. On est peut-être arrivé au bout d’un processus qui le conduit à écrire en ce mois de novembre 2024 La Martinique totalitaire n’est pas pour demain, elle est là.

   Incarné aujourd’hui par le président de la CTM, il date quasiment d’une vingtaine d’années. Précisons : celui que j’appelle président de la CTM n’est pas nominalement président de la CTM, mais l’existence du personnage est réelle. C’est l’une des nombreuses anomalies de l’institution. Il n’est pas seulement le président de l’Assemblée ou du Conseil exécutif, selon le fauteuil qu’il aura choisi, mais l’un et l’autre, dans un troisième fauteuil subliminal (le fauteuil) de chef de la majorité régnante dont l’autorité ne fait pas mystère. Celui qui conduit la liste à la victoire et qui a sur les membres de cette dernière un droit de vie ou de mort, peut choisir la fonction de président du conseil exécutif ; il n’en reste pas moins le chef de l’assemblée par le biais du président d’assemblée qu’il a choisi. Il peut être démissionné, mais c’est une fiction puisqu’il est le chef de la majorité, celui qui appuie sur le bouton. Ce serait se faire harakiri en entraînant avec lui les 8 membres de l’exécutif vers la sortie de la CTM. Mais le chef de la majorité peut aussi, autre curiosité, choisir d’être le président de l’Assemblée. Son pouvoir devient plus puissant encore, qui passe illico du président du conseil exécutif à celui de l’assemblée. En effet, c’est ce dernier, chef de la majorité, qui choisit le président du conseil exécutif, avec le pouvoir de le démettre. Ainsi donc, au soir de l’élection de la CTM, celui qui détient la majorité, + 11 élus supplémentaires, détient toutes les cartes en main et devient, de fait, le président XXL de la Collectivité territoriale de Martinique.

Le totalitarisme n’a pas attendu la CTM, il a longtemps rampé pour prendre vraiment des couleurs en 2004, à partir du discours d’investiture d’Alfred Marie-Jeanne pour son second mandat de président de région. La phrase " Je suis le Président", six fois prononcée, par cette anaphore le leader indépendantiste avait signifié avec force devant les caméras de télévision qu’il n’était plus l’élu d’une coalition, mais le seul maître à bord.

   En effet, la vie politique de la Martinique est le résultat d’un phénomène qui ne se retrouve pas ailleurs, en particulier dans les autres territoires d’outre-mer. Par rapport à la Guadeloupe, elle se distingue par trois caractéristiques essentielles. D’abord, la Martinique est le seul territoire géré depuis plus de quarante ans, exclusivement par des autonomistes ou/et des indépendantistes. Par ailleurs, la poursuite de l’assimilation par des anti-assimilationnistes et le maintien du système départemental malgré la suppression du département proprement dit, ne pouvaient que rendre muets les départementalistes et les assimilationnistes de droite, et désarçonner l’électeur. Celui-ci est capable de voter Marine Le Pen un jour et Jean-Luc Mélenchon le lendemain. En conséquence, une tromperie exquise défiant toute logique, qui laisse pantois tous les gouvernements. Last but no least, la mainmise sur la culture tout entière inspirée de la philosophie de rupture d’avec la France. Il est en effet impossible à celui qui écrit ses lignes de présenter ses ouvrages au public dans des lieux adéquats. Elle a conduit à la disparition de la droite assimilationniste qui était devenue inutile. C’est comme si l’on avait confié à Ronald Reagan la direction du communisme ou à Léonid Brejnev la conduite du capitalisme. Il en est né un monstre qui échappe à tout entendement.

   Résultats : des citoyens déconstruits dont on a fait des clients électoraux, des élus qui ne sont capables d’aucun projet pour la Martinique et que le statut de la CTM, fabriqué pour un homme, a rendus incolores et inodores, une Martinique qui prône, d’une part, l’autonomie toute, aux airs de “Ici on est chez nous” et, d’autre part, le manger comme à Paris au prix de Paris pour cause de continuité territoriale. En bref, un terreau propice à toutes les aventures dans lequel Rodrigue Petitot s’est engouffré comme un couteau dans du beurre. Car il n’est pas vrai que le RPPRAC soit à l’origine de ce désastre citoyen, il en est le résultat. Un résultat certes inattendu sous cette forme, mais inéluctable. Car le manque de confiance dans les élus, les citoyens déconstruits, les mauvais garçons sur les barricades et l’inclination pour le magico-religieux n’ont pas attendu, pour se manifester, la venue d’un messie qui, par ailleurs, pourrait apporter une réponse non moins totalitaire que l’actuel pouvoir.

 

   Fort-de-France, le 18 novembre 2024

   Yves-Léopold Monthieux

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