Moun pé di sa yo lé : nou ka woulé kontel dekdek toubannman

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       Traduction : les gens peuvent dire ce qu'ils veulent, nous roulons comme des fous.

       Il y a un excellent moyen de s'en rendre compte et que personne n'a jamais évoqué. Il s'agit pourtant de quelque chose de fort simple : marcher ou faire son jogging sur les trottoirs d'un quartier de n'importe quelle commune de quelque importance ou ville des Antilles. Pas dans celles qui n'ont que 1.500 ou 2.000 habitants évidemment  ! Quand vous vous trouvez à bord d'une voiture vous ne pouvez pas vraiment vous en rendre compte sauf si un dingue dépasse la vitesse autorisée et roule, par exemple, à 140km/h. Marchez donc sur les trottoirs et si jamais vous n'êtes pas effrayé, c'est que vous vous êtes habitué à la dinguerie ambiante ! 

     A pied donc, sur le trottoir de n'importe quel quartier d'une agglomération de quelque importance, vous ne pouvez pas ne pas en être effrayé : là où il faudrait rouler à 40kms/h, on roule à...70 !!! Il suffirait d'un virage un peu glissant, d'une embardée à cause d'un chien qui traverse la route ou d'une simple distraction du conducteur pour qu'une catastrophe se produise. Fort heureusement, cela se arrive assez rarement et c'est sur les routes, plus ou moins droites, reliant les différentes communes entre elles que les plus gros accidents se produisent. Sauf que__et là on en revient à notre remarque de départ__celui ou celle qui est habitué (e) à rouler à 70kms dans les quartiers des agglomérations roulera à 130 ou 140 en dehors des agglomérations. 

   Autre expérience à faire : véhiculez un Canadien, un Etasunien et parfois même un Européen ! Vous verrez aussitôt son regard inquiet, sa parole qui devient rare et son dos qui s'enfonce progressivement dans son siège. Pourtant ces personnes disposent de vraies autoroutes dans leurs pays où l'on peut appuyer sur le champignon sans trop de risque de s'envoyer dans le décor. Oui, nous roulons beaucoup trop vite. Comme des dingues, parfois ! Certains ont beau jeu d'invoquer l'état des routes des Antilles mais cela relève encore de notre hypocrisie, notre refus de regarder la réalité en face. Pire : il y a des crétins qui s'amusent nuitamment à incendier les radars au motif que ces derniers seraient "colonialistes" ou serviraient à soutirer de l'argent aux automobilistes.

   Il n'y a, jusqu'à preuve du contraire, qu'un seul sociologue ou anthropologue à avoir étudié notre dinguerie automobilistique. Il s'appelle Francis AFFERGAN et a publié un livre dont le titre est Anthropologie à la Martinique en 1983. On trouve dans ce dernier tout un chapitre sur la question. Il y développe un concept inédit : l'auto-domination. C'est-à-dire le fait pour nous autres Antillais non seulement de subir une domination coloniale mais aussi de l'accepter et même d'y contribuer nous-mêmes. Mais ce qu'il y a de plus intéressant dans son analyse c'est qu'il classe beaucoup d'accidents de la route parmi les...suicides. En effet, l'auto-domination a un corollaire : l'auto-destruction. Selon F. Affergan, ces "suicides" sont à rapporter au désarroi identitaire, à l'inégalité sociale criante et à l'impuissance politique des Martiniquais. Son analyse n'est pas alambiquée du tout, surtout si on lit en parallèle l'ouvrage du sociologue québécois, Roland Massé, également consacré à la Martinique : Malaise créole, publié en 2008. 

   Nous autres, Antillais, n'avons pas conscience de ces phénomènes...inconscients que sont l'auto-domination et l'auto-destruction mais force est de reconnaitre qu'ils existent bel et bien et que notre manière de conduire une voiture en fait, hélas, partie.

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