LE PEN N’EST PAS A PLAINDRE MAIS LA JUSTICE RESTE A CRITIQUER

Raphaël Constant

Rubrique

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La polémique française suite à la condamnation des dirigeants du Rassemblement National a de quoi interpeller.

En effet, tout s’est concentré sur l’application immédiate d’inégibilité de Marie Le Pen comme si le reste importait peu.

A la limite, l’extrémiste de droit semblait être bien d’accord pour être condamnée, pour porter un bracelet électronique pendant deux ans et payer plusieurs centaines de milliers d’euros à titre d’amende.

Mais ne pas pouvoir aller aux élections posait le problème.

 

Cette manière de voir est intéressante car elle interroge sur le droit (le devoir) de l’autorité judiciaire (la Constitution Française ne parle pas de pouvoir judiciaire) à se mêler de choses politiques et encore plus de choses électorales.

Tout cela sent un peu l’hypocrisie.

 

L’institution judiciaire se mêle régulièrement de politique. C’est elle qui intervient concernant les listes électorales. En cas de fraude électorale, c’est elle qui est compétente. Ce sont aussi des juges, le plus souvent administratifs, qui sanctionnent aux lendemains des élections les résultats électoraux, le financement des campagnes électorales, etc...

Pour donner un exemple, EDMOND MARIETTE a été député car son mentor SAMOT avait été déclaré inéligible pour rejet de ses comptes de campagne.

 

L’inégibilité a toujours été une arme des tribunaux. Comme la privation des droits civiques et politiques.

 

Le fait nouveau depuis quelques années est qu’elle est devenue quasi automatique dans le cas de détournement de fonds publics (ce qui était le cas en l’espèce les dirigeants du RN étant poursuivi pour avoir détourné de leurs objets des frais pour payer les assistants de leurs députés européens).

C’’est donc le parlement, le politique qui a donné ce pouvoir aux juges.

 

C’est lui aussi qui a permis que cette inégibilité soit immédiatement exécutoire même en cas d’appel ou de pourvoi en cassation.  

 

Là encore, les juges n’ont rien inventé.

La décision condamnant LE PEN et ses complices a été prononcée dans le cadre légal.

Les juges ont fait une application stricte et sévère de la loi mais ils sont restés dans les clous. A cet égard, le jugement est motivé sur des dizaines de pages pour justifier sa sévérité

 

On peut sourire de voir cette extrême droite qui réclame que la justice soit impitoyable pour les petits délinquants (récemment encore, extrême droite, droite et macronistes ont voté un projet obligeant les juges à prononcer des incarcérations, même courtes) se plaindre que les juges ne soient pas laxistes à leur égard.

 

D’un autre coté, pour une critique de gauche, on ne peut reconnaitre des vertus à une institution où domine une idéologie réactionnaire et antiprogressiste.

L’institution judiciaire en France et surtout en Martinique n’est ni indépendante, ni équitable. Les juges sont dans leur quasi-totalité issus de la bourgeoisie française et leur regard sur les classes populaires va du mépris au paternalisme sinon de l’équité. Il est faux de dire qu’un patron soit jugé de la même façon qu’un immigré de la Seine Saint Denis.

 

En Martinique, les juges sont des fonctionnaires colons dont la mission est d’assurer l’ordre et la pérennité du système. On ne peut leur demander ni d’être révolutionnaire et encore moins pour la décolonisation.

A-t-on jamais vu un juge refuser d’appliquer le code noir du temps de l’esclavage ? Non.

 

Dans une société X (quel qu’elle soit, capitaliste, socialiste, etc...), le juge est fait pour défendre la société X.   

Pendant la seconde guerre mondiale, après le coup d’état de Pétain, la quasi-totalité des juges lui ont prêté serment.

 

Les juges qui ont condamné les dirigeants du Rassemblement National, comme ceux qui avaient condamné les dirigeants du MODEM ou SARKOZY et ses amis, sont dans l’air répressif du temps et ce sont les partis politiques qui ont réclamé cette politique.

Leur grille de lecture de la société correspond au sentiment dominant dans la société.

 

Dans cette affaire LE PEN, ce sont des centaines de milliers d’euros que le Front National puis le Rassemblement National ont détourné à leur profit. Dans une société normale, il est logique que cela soit sanctionné.

 

Il reste vrai que cette interdiction de se présenter intervient dans un contexte européen où il arrive que la justice intervienne pour empêcher des personnalités d’être élus ou d’être candidate. Le cas le plus emblématique est la Roumanie où le processus électoral a été arrêté pour empêcher l’élection d’un candidat dit pro-russe.

Si sur le fond, c’est la même démarche, il reste que la procédure contre le Rassemblement National durait depuis plusieurs années et qu’elle avait trainé car LE PEN ne voulait pas être gênée lors de l’élection de 2022. La situation n’est pas identique et la cause du procès n’est pas de la même nature. Dans le cas du Rassemblement National, il est indéniable qu’il y a eu un détournement de fond public au bénéfice d’un parti. Mme LE PEN n’est pas à se plaindre.

 

Mais, arrêtons les discours d’illusions, la justice est souvent instrumentalisée, au nom du respect de l’ordre public, pour réprimer les mouvements sociaux qui contestent la société actuelle. En France et ailleurs, la justice sert aussi à cela.

 

Le point qui reste quand même problématique, c’est l’application immédiate de l’inégibilité. Ou plus précisément, l’impossibilité de discuter cette immédiateté. Par exemple, si à l’issue d’un procès vous êtes incarcéré, vous pouvez faire appel parallèlement au procès lui-même avec un court délai de réponse pour la juridiction d’appel. Vous pouvez aussi faire une demande de mise en liberté. Vous avez donc le droit (certes théorique) de faire ré-examiner immédiatement votre statut de détenu.

 

Paradoxalement, vous ne pouvez le faire avec une inégibilité. Pour la remettre en cause, vous devez attendre que tout le dossier soit réexaminé par la Cour d’Appel.

 

Il serait de mauvaise foi de prétendre que cette inégibilité immédiate n’a pas d’effet. Ainsi, elle dissuade le RN de provoquer la dissolution de l’assemblée nationale car LE PEN ne pourrait même pas être candidate aux législatives. Bref, le paradoxe veuille que cela conforte le gouvernement BAYROU d’une absence de censure!

 

La réponse qui a été faite à cette question est encore pire que le mal. La Procureure Générale de Paris a annoncé que le dossier serait examiné avant l’élection présidentielle de 2027. Ce traitement de faveur va à l’encontre de toute la thèse qui prétend que LE PEN est un justiciable comme les autres. Pour un tel dossier, un appel, c’est un examen entre 2 et 3 ans. En voulant faire le dossier de Mme LE PEN passer avant, cela vise à calmer les choses. Mais c’est la démonstration d’un traitement inéquitable entre LE PEN et les autres justiciables.

 

Il ne manquerait plus que le Parquet Général annonce dans la foulée ne plus demander d’inégibilité pour la leader d’extrême droite. Cela devrait encore plus calmer les choses. Mais, imaginez, LE PEN candidate à la présidentielle avec un bracelet électronique et un juge définissant les heures où elle peut tenir ses meetings. On rirait. La déclaration de la Procureur Général n’est pas moins ridicule !

 

Cette affaire montre qu’il est illusoire de croire à une justice indépendante des réalités sociales et politique. Elle démontre même tout le contraire!

 

Le 06/04/2025

R. CONSTANT

Avocat et Militant

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