Si j’ai choisi, en plein mois du créole et de ses dictées coutumières, d’écrire les quelques mots qui suivent en français, c’est tout bonnement afin que personne ne vienne dire que ne maîtrisant pas la lecture du créole, elle n’a pas pu les lire. Je voudrais surtout, et lecteurs vous l’aurez déjà compris, que nous portions une attention toute particulière aux langues en général qui nous donnent les possibilités de nous exprimer et de nous faire comprendre.
Le matin du mercredi 23 octobre 2024, vers 7 heures 30, j’ai eu en effet la très désagréable stupeur d’entendre la personne interrogée à l’antenne d’une radio, répondre : « ….. pou alé frapé a lapot-li. Elle s’exprimait en créole, « son » créole très approximatif. Elle disait comme elle peut avec ses mots, victime comme bien d’autres, depuis quelque temps, de ce modèle de créole que nous forgeons à notre guise et surtout à la va comme je te pousse.
Déjà que l’on n’entend guère plus, « dapré mwen » (équivalent français : selon-moi) mais bien « man ka pansé que », cette locutrice au lieu d’employer les mots requis : « pou alé kwenyen lapot-li » et utiliser la forme directe attendue ici sans la proposition « a », a aussi remplacé le mot créole kwenyen (venant cependant du mot français cogner) par le verbe frapper qui de préférence se dit kwenyen. S’il ne s’agit pas pour moi de chercher à bloquer l’expression de quiconque, il nous faut néanmoins savoir reconnaitre que la faute créole existe comme dans toutes les langues. En conséquence, si l’évolution consiste à reprendre le vocabulaire et les structures de la langue française pour les transporter en créole, cette « évolution » conduit tout droit à une dissolution, messagère d’une disparition.
En français on dit : un arbre, on ne dit pas un piébwa. Si je dis en français : un piébwa couvert de fleurs il y a faute de français et on le fera poliment remarquer. Cependant si je dis : an arb kouvè de flè, ce propos sera accepté sans aucune remarque. Tout comme on acceptera : man wè ou oché tet-la, (je vous ai vu hocher de la tête) pour « man wè’w soukwé tet-ou. »
L’expression : ou doubout bò pot-la pour dire tu es debout à côté de la porte prête à confusion. S’agit-il de la porte ou du pot on ne sait pas trop. En créole martiniquais la porte se dit lapot-la. En outre en parlant de l’apparence physique d’un individu en disant : « le phénotype qui est un mot technique, même dans un discours français, il n’est pas certain que l’on comprenne tous ce mot, a fortiori si on le plaque dans une phrase créole. FAIRE COMPRENDRE ce que l’on dit est essentiel, aussi y a-t-il nécessité de créer des mots nouveaux qui ne doivent pas être des copies faciles, des reprises de mots français.
Ce constat doit nous aider à ne pas baisser les bras devant la dissolution quotidienne du créole due parfois à une déconsidération, mais surtout à sa constante proximité d’avec la langue française. Le créole doit pratiquement devenir aussi une affaire de militants. On ne peut en effet considérer le pays politiquement sans prendre en compte l’état de sa langue.
Qui acceptera et sans grincer des dents que l’on lui sorte en français : Venait il venait passer sur le chemin, il a pris courir pour venir prendre dans mes pieds et il m’a dit comme ça : dévire là dans le chemin il a fait. Traduction créole « Vini i té ka vini pou pasé asou chimen-an, i pran kouri pou vini pri an pié-mwen é i di mwen konsa : déviré la adan chimen-an i fè a. » Qui ne pensera pas que la personne qui aurait ainsi parlé français ne serait allée à l’école qu’en février et seulement aux jours fériés des années bissextiles ? Qui laissera venir transposer ainsi du créole dans la langue de Molière (aussi celle des martiniquais) et ce faisant la ternir ? PERSONNE.
Alors pourquoi ne pense-t-on pas, là aussi que le français évolue avec l’interpénétration des mots, expressions et structures créoles en son sein et les accepter pareillement ? D’ailleurs cette langue ne s’est jamais laissée faire, et à coup de jetons, de bâtons et autres punitions, nous l’avons si bien corrigée, assimilée et intégrée qu’aujourd’hui le grand remplacement linguistique n’est plus en marche, il est réel, avec notre propre approbation sous le fameux prétexte d’une évolution de l’une des deux langues seulement. Ce qui permet que l’on ne cherche même pas à apercevoir la dissolution cependant aveuglante de l’autre.
À l’heure où le créole, après être entré enfin par la grande porte de l’école, est de plus en plus présent dans les ouvrages — pas seulement pour décorer les livres grâce à quelques bons mots folkloriques agrémentant la qualité narrative de l’auteur. e, ni non plus uniquement pour orner de quelques lettres, la page de couverture — à l’heure où il y a des ouvrages en créole qui d’ailleurs sont bien vendus, à l’heure où cette langue est considérée dans des émissions sérieuses, à l’heure où l’on traque les mots oubliés pour les ramener à nous, (procédé que j’approuve) on continue cependant de les ignorer quand même et d’ailleurs on remplace les mots actuels par des mots français probablement plus nobles, plus beaux, peut-être, aux yeux de certains locuteurs, ou tout simplement tant de fois entendus sur les radios, hélas modèles de beaucoup d’entre-nous. C’est ainsi que le mot créole an piébwa est déjà pour certains « an arb », « an zékal zé » (une coquille) est devenue « an kokiy de zé », an zen (issu d’ailleurs du normand) se dit aujourd’hui « an zanmson » ; sans que cela ne dérange même pas ceux qui recherchent les mots mawot (oubliés) et qui me fait me demander à quoi bon les chercher si on n’incite pas à les réinvestir ?
Sans pour cela prétendre être, non plus, le gendarme de circonstance, ne nous faudrait-il pas aussi tenir compte, de la considération effective que nous avons pour nous, pour notre langue, et pour l’image renvoyée, lorsque pour un certain nombre de locuteur la langue créole est toujours enturbannée de jurons des plus salaces, décorant chaque mot où en on laisse croire qu’elle est, beaucoup plus que les autres, une langue injurieuse ? Celui qui se respecte, respecte aussi son langage, sa personne comme son propre drapeau.
Mais me direz-vous — en ne faisant référence qu’au tapage médiatique du concert de dictée actuellement réalisée dans presque toutes les communes, et toujours sans réellement voir ou vouloir remarquer, le grand remplacement linguistique qui s’opère, sans entrevoir non plus la bonne application de la décalcomanie omniprésente, sans discerner la dilution totale du créole qui devient de plus en plus du français abâtardi, ni le manque de respect vis-à-vis de notre moyen d’expression — la langue créole évolue ma très chère, ce à quoi je demanderai toujours pourquoi cette grande indulgence, vis-à-vis du créole ne va que dans un seul sens et à quoi je répondrai volontiers : sa ki pa bon pou zwa pa bon pies ba kanna nonpli. (Ce qui ne convient pas à l’oie est tout aussi néfaste au canard).
Térèz Léotin
ce sera très drôle! Lire la suite
...vous vous bouchez les yeux quand il s'agit d'identifier les VRAIS responsables de la situation Lire la suite
Les propos de Crusol sont gravissimes .C'est néanmoins une analyse originale qui mérite qu'on s'y Lire la suite
Rien de plus facile que de modifier la constitution. Lire la suite
En droit français actuel PERSONNE ,même pas Macron ne peut "octroyer" l'indépendance à un territo Lire la suite
Commentaires
Et l'accent on en fait quoi?
Nuit noire
30/10/2024 - 20:06
J'ai été atterré durant cette semaine du créole ...j'ai entendu la dictée du dimanche matin sur Martinique Première dite avec des hésitations qui ont gâché la sensibilité qu'on devait y trouver :dommage ;et surtout prononcée avec un accent qui n'avait rien de créole.L'accent ,je suis désolé est important voire fondamental dans l'identité d'une langue.Cet accent qui est catastrophique depuis que Martinique Première annonce ses programmes ou fait ses pubs dans cette langue.Les phrases sont prononcées par des gens qui semblent nés du côté de Gennevilliers...résultat déplorable :personne ne peut se reconnaitre dans ce pseudo-créole.
ON EST PASSE DE...
Albè
31/10/2024 - 09:13
...l'Assimitationnisme d'antan au Négropo-Assimilationnisme d'aujourd'hui, donc ce nouvel accent est tout à fait normal. Nos anciens disaient "farin-Fouans" alors que nos "révoltés" actuels disent "farine-Frrrrrance". En luttant pour que son prix soit identique des deux côtés de l'Atlantique !
Albè, est-ce qu’à votre avis, ces révoltés...
Frédéric C.
01/11/2024 - 16:37
...iraient jusqu'à demander : "Garrrrrrçon, un vè de bièr!", OU alors multiplieraient-ils les "r" toupatou? On peut s’attendre à tout, par exemple quand on voit le leader autoproclamé du "Peuple" poser dans un "selfie" sympa et connivant avec le palais responsable du FN-RN de Guadeloupe, Rudy Tholassy... Et sur FB, dans des échanges WhatsApp, il y a des gens pour dire : "Pourquoi pas ?". Pff!