Pourquoi une Sixième république ?

Yves-Léopold Monthieux

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“Le régime est arrivé à bout de souffle”, “la Vème République a atteint ses limites”, “on est arrivé au bout du système”, “vivement la Sixième République !” Du gran grek à l’ignorant de l’abécédaire politique semble se manifester le besoin de changer de république. Une grande partie de la classe politique française, parfois nostalgique de l’instabilité ministérielle de la IVème République, estime avoir épuisé les charmes de la constitution de 1958. Depuis le début de la crise politique qui secoue la France, le phénomène lancé par Jean-Luc Mélenchon s’est transformé en véritable ritournelle. En réalité, plus que la cinquième du nom, c’est la République qui pourrait être visée. Et peut-être la démocratie.

L’inexpérience constitutionnelle de la France

L’histoire des institutions, en France, est celle d’une insatisfaction permanente de la classe politique. De toutes les grandes démocraties, seule la France a connu cinq constitutions, ce qui avait permis au professeur Maurice Duverger de parler d’inexpérience constitutionnelle. Les Etats-Unis n’ont eu qu’une constitution. Elle remonte à près de trois siècles et a été modifiée depuis avec parcimonie. Tandis que la plus vieille démocratie du monde, l’Angleterre, n’en a jamais eu depuis la Magna Carta en 1215, qui consistait pour le roi à céder une partie de ses pouvoirs. Au reste, le vrai détonateur ne serait-il pas l’arrivée aux portes du pouvoir du Rassemblement national, devenu aujourd’hui le premier parti de France ? Les prémices de cette crise sont apparues dès que la classe politique française, en veine de vertu, a entrepris de faire barrage au Front national. L’introduction du scrutin proportionnel aux élections législatives de 1986 était mue par l’objectif inverse, se servir du Front national pour faire barrage à la droite. En permettant l’arrivée à l’Assemblée nationale d’une trentaine de députés d’extrême-droite, le président François Mitterrand avait réussi son coup, réduire l’ampleur de la victoire de la droite. Depuis, ce parti n’a pas cessé d’être un sujet d’opprobre pour tous et une aubaine pour les uns. Tout allait bien dans le microcosme politique tant que le Front national était objet, mais au lendemain de la présidentielle de 2007, il s’est mis à devenir sujet. Après avoir siphonné les voix de ses électeurs, Nicolas Sarkozy en a fait les frais en 2012. Le refus de Marine Le Pen de le soutenir au second tour valait quasiment invitation à voter pour François Hollande. Le successeur de François Mitterrand fut élu, qui n’en fit pas la fine bouche ni ne s’en boucha les narines.

Le Rassemblement national aux portes du pouvoir

Depuis l’élection de Jacques Chirac, tous les présidents de la République ont été élus grâce aux électeurs du RN. Soit que son candidat ait été présent au second tour, soit que ce celui-ci ait indiqué son choix (Sarkozy I) ou son non-choix (Sarkozy II). En toute hypothèse, il s’est agi de fermer la porte du pouvoir à ce diable de parti, tout en reconnaissant d’immenses vertus à ses innocents électeurs. Au second tour de l’élection présidentielle de 2022, le Tous contre le Front national avait conduit à l’ample victoire de Jacques Chirac. Un goût de cendres à la bouche, la gauche du moment avait juré de ne plus se laisser prendre à ce piège à consensus. Vingt-deux ans plus tard, en 2024, cette promesse de politiciens n’a pas longtemps résisté au risque d’une défaite mémorable aux élections législatives. Tous les partis de droite, du centre, de gauche et d’extrême-gauche se sont rassemblés en moins de huit jours, juste pour empêcher l’arrivée en force du Rassemblement national à l’Assemblée nationale. Le poids numérique que ce parti a obtenu malgré tout rend moins pertinent le qualificatif d’“extrême-droite”. Il indique que ce parti s’est échappé d’une longue période de diabolisation et vient de se voir décerner le label de premier parti de l’arc républicain. En face d’une nébuleuse de partis, de sous-partis et d’une nuée de chefaillons dissipés, le RN constitue désormais à lui seul l’un des trois groupes d’égale importance de l’Assemblée nationale qui rendent la France impossible à gouverner.

La Sixième république est-elle inéluctable ?

Des juristes estiment que la longévité d’une constitution est l’expression de sa légitimité par le peuple. En 2028, la Vème République aura rattrapé la IIIème pour sa longévité, 70 ans. La constitution de 1958 a montré l’étendue de ses ressources et sa capacité à faire face aux situations sociales et politiques les plus inattendues (OAS, Mai 1968, cohabitations...). Cochant également aux cases souplesse et adaptation, elle a intégré les périodes de cohabitation qui se sont révélées, en dépit de quelques écueils, des moments salutaires de respiration démocratique. L’expérience de la Vème paraissait avoir mis fin à la soif de changement, mais le nombre de modifications qui lui ont été apportées témoigne de la difficulté de la classe politique de tenir en place dans un cadre institutionnel. Sans doute, a-t-il fallu y apporter des ajustements, mais la classe politique a eu parfois la main lourde et fait preuve de manque de clairvoyance politique. Ainsi, la suppression du septennat qui a été décidée dans l’euphorie générale a déréglé le fonctionnement des institutions. Étant donné l’impossibilité biblique des élus de rattraper leurs erreurs, il est donc apparu le besoin de casser le thermomètre et d’orienter la France vers une Sixième république. Celle-ci viserait in fine à supprimer l’élection présidentielle au suffrage universel direct, le vote auquel les Français sont le plus attachés. On voit mal ces derniers renoncer par voie référendaire au choix de leur président, ou le congrès national, se constituer une majorité qualifiée pour y parvenir.

En définitive, les partis traditionnels et leurs élus ont subi un double échec. Ils n’auront pas su se débarrasser des Le Pen, pas plus qu’ils auront empêché l’abaissement de la France à peu près dans tous les domaines. Il est douteux qu’ils puissent y pourvoir sous l’empire d’une Sixième république, aussi géniale qu’elle soit, qui n’aurait pas encore trouvé son général de Gaulle.

Fort-de-France, le 1er septembre 2025

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