RANDO MARTINIQUE-ÉCOLOGIE : SUR LES TRACES PERDUES DE LA RUE CASES-NÈGRES

Louis Boutrin ("La Tribune des Antilles")

Indéniablement, cette randonnée dans les traces de l’Habitation Trénelle à Rivière Salée restera gravée dans les mémoires des 44 participants qui, courageusement, ont chaussé les baskets malgré une météo plutôt incertaine et dissuasive. Au bout d’un petit matin ensoleillé malgré les nombreuses averses de la veille, ils empruntèrent à travers champs les chemins de l’histoire du pays nôtre. À ce titre, chacun s’accorde pour apprécier l’inestimable témoignage de Ludovic Louri (Dody) qui, dans un élan de générosité et de transmission culturelle, a su partager ses souvenirs d’enfance au cœur même du domaine de l’usine Lapalun où il est venu au monde en 1946.

Marqué par ce lieu de labeur, de sueur et de sang où cohabitaient toutes les strates du système hiérarchisé de l’habitation, administrateur, commandeurs, économes, chefs d’équipes et ouvriers agricoles, permanents et saisonniers, Dody raconte avec une impressionnante précision historique les faits authentiques des années 48 à 74 du siècle dernier.

Rien ne lui a échappé durant cette mémorable rétrospective sur l’habitation. De la coupe de la canne jusqu’à l’usine pour la transformation en sucre, vinasse et rhum, de l’amarrage des premiers paquets de dix cannes jusqu’au transport par wagons le long des voies ferrées, du quotidien des ouvriers agricoles où se côtoyaient la douleur de ces exploités et l’opulence des maîtres sans oublier les scènes de vie où malgré la misère et des conditions abominables, la résilience, l’espoir, la tendresse et l’amour ont souvent triomphé et enfanté un brin d’humanité.

Perchée tout au sommet du Morne Boulevard qui domine les neuf habitations alimentant l’usine Lapalun, la maison de l’administrateur symbolise bien la puissance du maître qui, du haut de sa bâtisse, pouvait observer et contrôler les différentes activités agricoles et surtout celles et ceux qui se rapprochaient dangereusement de sa demeure. Abandonnée par les derniers propriétaires, cette belle villa d’antan mériterait bien une nouvelle vie à travers une restauration à l’identique valorisant ainsi sa vocation historique et touristique.

Quant aux incontournables voies ferrées qui jalonnent les traces de canne, elles furent l’objet d’une narration quasi-encyclopédique qui révèle, s’il en était besoin, la qualité de l’érudition de Dody dont la précision des connaissances et le talent forcent l’admiration et le respect.

Mais, la surprise voire la déception pour beaucoup demeure la visite de la fameuse Rue Cases-Nègres, lieu de naissance de l’illustre Joseph ZOBEL dont le roman éponyme publié en 1950 fut immortalisé au cinéma par le film d’Euzhan PALCY. En lieu et place des fameuses cases où M’man Tine tenta d’éviter à son petit fils José un destin misérable, sont édifiées de luxueuses villas avec piscines à débordement. On a du mal à redécouvrir ainsi les lieux où tout un pan de notre patrimoine historique a été quasiment rasé et ce, dans une indifférence généralisée. On a également du mal à concevoir qu’au cœur de cette activité industrielle cohabitait jadis près de 1.100 ouvriers au moment de la période de récoltes. Avec la mécanisation puis le déclin de l’industrie de la canne, à peine plus d’une vingtaine d’ouvriers agricoles suffit actuellement pour l’exploitation de ces centaines d’hectares de canne à sucre. Quant à l’usine Lapalun située à Petit Bourg, elle est tombée en ruine depuis sa fermeture en 1974 puis vendue à un particulier. La canne du domaine est aujourd’hui acheminée vers l’ultime usine à sucre, celle du Galion à Trinité.

Après ce plongeon rétrospectif dans l’histoire de l’Habitation Trénelle et une halte à l’ombre du jeune baobab, Charles W. SCHELL nous gratifia d’une lecture de « Midi », un conte/poème de Joseph ZOBEL publié par « Kay Mac-Zo » qui décrit le travail dans les champs de canne. Une courte parenthèse poétique aux pieds des vestiges de l’usine délabrée puis, c’est déjà le retour au réel pour rejoindre le parking du Stade de Trénelle. Plus qu’une demi-heure de marche après un passage au mitan d’un gué.

Au-delà de ce périple pédestre de 3h30 sous un soleil ardent, le témoignage de Dody est aussi une invitation à regarder sous un prisme différent une société martiniquaise qui porte en elle tous les stigmates d’une époque révolue mais, à bien des égards, pas si lointaine.

Louis Boutrin

 

 

PS : SAVE THE DATE - SONJÉ DAT LA

 

FORUM CITOYEN À RIVIÈRE SALÉE – Le 9 SEPTEMBRE 2022 à 18h30.

SUR LES CHEMINS D’ENFANCE DE JOSEPH ZOBEL

Regards croisés sur l’œuvre du poète Saléen

 

Intervenants :

  • Charles W. SCHEEL – Universitaire (U.A.) Auteur du Livre La Forge de Zobel (Scitep éditions)
  • Ludovic LOURI - Auteur du livre "Habitation Trénelle 1948-1974" (K’Éditions)

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    24/11/2024 - 08:31

    Il faut être un sacré farceur pour faire croire aux Martiniquais qu'un deuxième Cuba est possible Lire la suite

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    Albè , mon cher, peut-on mettre...

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    23/11/2024 - 23:38

    ...toute la "classe politique" (qui n’est d’ailleurs pas une "classe sociale") sur le même plan ? Lire la suite

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