Tahar Ouettar, romancier algérien arabophone

E. GO

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Tahar Ouettar (الطاهر وطار, 1936-2010), écrivain et intellectuel algérien majeur de la seconde moitié du XXᵉ siècle, est considéré comme l’un des pionniers du roman algérien d’expression arabe. Issu d’une famille modeste de l’est algérien (Souk Ahras), il s’est formé à la fois dans les médersas traditionnelles et dans les cercles nationalistes de l’époque coloniale. Journaliste, militant culturel et fondateur d’associations littéraires, il s’est toujours situé dans un engagement profond : donner à la langue arabe une légitimité moderne en Algérie, et faire du roman un lieu de mémoire, de débat et de critique sociale.

Parmi ses œuvres les plus marquantes, « Les Martyrs reviennent cette semaine » (Al-Chuhada Yaoudoun Hâdhâ al-Usbû‘, 1974) occupe une place particulière. Écrite dans les premières années de l’Indépendance, cette œuvre interroge avec audace le rapport ambigu de la société algérienne aux martyrs de la guerre de libération.

L’histoire du roman.

Le récit part d’une rumeur, anodine en apparence mais lourde de signification : un homme annonce qu’il a reçu une lettre d’un proche tombé en martyr, l’informant que les martyrs reviendront au village cette semaine.

Cette nouvelle se répand comme une traînée de poudre, plongeant les habitants dans une panique sourde. Car si, pendant la guerre, la mémoire des martyrs fut glorifiée, leur absence fut aussi une opportunité : certains ont hérité de leurs biens, d’autres ont profité de leur silence éternel pour se hisser à des positions de pouvoir, des opportunistes  ont bâti leur légitimité sur le sacrifice des morts. Ainsi, personne ne veut réellement de ce retour : ni le fidèle, ni le traître, ni le militant sincère, ni l’arriviste, ni le proche, ni l’étranger. Tous craignent le regard des martyrs, miroir implacable qui dévoile les lâchetés et les compromissions de l’après-Indépendance.

La portée philosophique et symbolique.

Le roman, par cette parabole glaçante, met en lumière une vérité dérangeante :

Les morts sont plus utiles que les vivants, à condition qu’ils ne reviennent jamais.

Tahar Ouettar formule alors une sentence amère :

Les martyrs ne doivent jamais songer à revenir.

Tout mort tombé pour une cause doit garder les yeux clos, et ne jamais chercher à savoir comment vivent ceux pour qui il s’est sacrifié. C'est là une critique frontale de la société algérienne post-indépendance, où les promesses révolutionnaires se sont vite dissoutes dans les jeux de pouvoir, les luttes d’intérêts et les trahisons silencieuses.

Réception et influence

À sa parution, « Les Martyrs reviennent cette semaine » a été lu comme une œuvre de rupture. Elle a marqué la littérature algérienne en posant une question taboue : qu’avons-nous fait du sacrifice des martyrs ? Ele a provoqué des débats dans les cercles intellectuels et politiques. Elle a ouvert la voie à une littérature de désenchantement, qui ne se contentait plus d’héroïser la guerre, mais en interrogeait l’héritage moral. Cette œuvre a également inspiré d’autres écrivains algériens, parmi lesquels Ahlam Mosteghanemi, dont les textes reprennent souvent ce dialogue entre mémoire et oubli, entre l’héroïsme et les trahisons du quotidien.

En somme, le roman de Tahar Ouettar reste une méditation universelle :

Que deviennent les idéaux une fois la victoire acquise ?

Que valent les sacrifices quand le présent les dénature ?

Les martyrs sont-ils réellement honorés, ou simplement instrumentalisés ?

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    Monsieur le rédacteur, quand je lis le "Cahier..."

    Frédéric C.

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    ...-et je ne suis pas le seul dans le cas-, ce n’est pas forcément "dans le silence de [mon] espr Lire la suite