Thaïlande : No sex in the city

Patrick Chesneau

   La Police thaïlandaise, au terme d'une récente enquête incroyablement minutieuse, a conclu qu'il n'y avait pas l'once d'un début de prostitution à Pattaya, cette station balnéaire aux allures de capharnaüm, en accès direct aux eaux très chaudes du golfe du Siam, le tout à 2 heures 1/2 en voiture au sud de Bangkok. 

   Comme tout se tient, les fins limiers en tenue marron n'ont pas vu la moindre esquisse de trace prouvant l'existence de joyeuses péripatéticiennes. Ouf ! L'honneur est sauf. Et surtout quel soulagement pour tous ceux qui s'accrochent comme à une vieille lune aux oripeaux d'une morale publique déliquescente. De quoi requinquer le moral, à l'occasion flageolant, des rigoristes de tout poil en croisade contre la luxure de masse. Alors, quel est l'état des lieux ? Tout le monde (ou presque) s'accorde à dire que Pattaya est le plus grand bordel à ciel ouvert de la planète. Les experts assermentés de cette question épidermique estiment que 50 à 60.000 sémillantes jeunes femmes opèrent dans le seul quadrilatère Pattaya-Jomtien, là où règne la loi de l'offre et de la demande sur le marché des charmes tarifés. 

   A quoi reconnait-on ces sylphides siamoises, peau de soie, visage mutin orné d'une paire d'yeux en amande ? Sortilèges de l'Orient. Généralement, on les repère à ce qu'elles font le pied de grue en ondulant ostensiblement du bassin. Ou alors elles sont juchées sur des tabourets aussi allongés que des aiguilles à tricoter. Capables de déployer des trésors de patience infinie, alignées côte à côte et coude à coude, en devanture d'un estaminet aux couleurs criardes. Sono intempestive de rigueur.  Elles croisent les jambes façon essuie-glace ou bien s'arc-boutent, toute cambrure en exergue, au rebord d'une table de snooker. 

   Ustensile indispensable à leur entregent social, le téléphone...forcément dernier cri, invariablement vissé entre dix doigts outrageusement manucurés. Au-delà de la caricature, elles dégoulinent pourtant de sexe à pile (rechargeable). Sex-appeal disent les anglo-saxons. Instinctivement aguicheuses, elles excellent à héler le bidochon en goguette qui se prend, la mine enfarinée, pour un irrésistible aventurier.  " Hello darling... where you stay ? Go with you. Make you happy ". Comment résister à ces voix fruitées qui donnent au client piteusement anonyme l'illusion d'être le mâle le plus important dans le troupeau terrien. 

   Tout cela existe bel et bien. Repérable de si loin. 

   Alors quoi ? Nous aurait-on bourré le mou en nous rapportant par hectolitres entiers, des histoires de sexe débridé? Après avoir passé au peigne fin le moindre recoin de ce lupanar insensé, puis écumé la moindre ruelle chargée jusqu'à la gueule de soupirs repus, la maréchaussée du cru a décidé de nous déciller les yeux embués de rêves callipyges. Quant au constant débarquement par vagues successives de touristes mâles en quête de caresses appuyées et de râles extatiques, n'est-il pas grand temps qu'ils cessent de se fourvoyer ? Pour les instants-pamoison, prière d'aller voir ailleurs. 

   La Police locale dont la probité ne saurait être mise en doute a conclu que les dizaines de milliers de bar-girls, les hôtesses des centaines de salons de massages très moussants, les sirènes extraverties de boîtes de nuit, les acrobates aguicheuses de ping-pong shows, les animatrices enjouées de dizaines de karaokés et les free-lance qui arpentent l'esplanade du front de mer en dandinant du croupion ne peuvent en aucun cas être assimilées à des putes. Quel mot vulgaire !  Ce serait assurément de l'assimilation lexicale abusive. 

   Ceux qui prennent Walking street ou Soi Buakhao pour des lieux de perdition torrides... Tous les autres qui, eux, font le pari de rencontres exténuantes et, dans l'attente, retiennent leur souffle rauque en espérant un épilogue en galipettes, doivent-ils changer de sextant ? Cingler vers d'autres lagons mieux pourvus en sirènes ensorcelantes ? Dans son dernier relevé de mains courantes, la police est péremptoire. Attendus sans bavure. Contrairement à la légende, le sexe est une denrée rare dans ce que l'on décrit avec une malignité non dénuée de perversion comme le lieu géométrique de toutes les passions charnelles. Naturellement dévorantes. Les hommes en képis sont formels et attestent le cœur sur la main de la véracité sans fard de leur procès-verbal :  à Pattaya, il n'y a aucune ébauche de débauche... Juste pour être sûr, allez quand même vérifier par vous-même. Sait-on jamais...

 

Patrick Chesneau

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