Traduction réussie de l’ « Espace d’un cillement » de J.S.Alexis en créole « Nan yon bat je »

Renel Exentus

Le 25 mars 2023, deuxième journée du festival afro-urbain à la Maison d’Haïti à Montréal, a été marqué en soirée par la prestation des artistes de grands calibres, dont Wesli et Sherlee Skay. Leur production a mis en évidence un répertoire de rythmes et de mélodies éclectiques où des tonalités vodou sont agencées à celles du jazz, soul, hip-hop et afrobeat. Cette symphonie musicale a été introduite  par un autre événement majeur. Il s’agit de la première vente signature de la traduction en  créole du célèbre roman de Jacques Stephen Alexis : « L’espace d’un cillement ». Sous le titre de « Nan yon bat je », l’ouvrage est traduit par la linguiste et didacticienne Edenne Roc. Il ne s’agit pas d’un coup d’essai puisque  cinq ans auparavant, elle a rendu Compère Général Soleil disponible en créole haïtien. Après avoir donné un second souffle au premier roman de J.S. Alexis, « Nan yon bat je » confirme une fois de plus son professionnalisme dans le domaine de la traduction.

Paru sur un fond d’azur, la couverture de l’ouvrage est illustrée par une peinture de Gladys Saint-Victor qui met en symbiose l’énergie féminine avec les forces de la nature. D’entrée de jeu, le mariage de couleurs vives y témoigne de la prégnance de la prose d’Alexis traduite en créole haïtien. « Nan yon bat je » se compose de 250 pages. Le texte a été édité en novembre 2022 aux États-Unis par la maison d’édition « Educa-Vision ». Préfacé par la militante féministe Chantal Ismé, l’ouvrage est un pari gagné par l’auteure de rendre accessible en créole la pensée d’Alexis. Comme il est indiqué dans la préface, la traduction d’une œuvre littéraire ne constitue pas une entreprise simple dans la mesure où elle nécessite une triple dimension : lexicale, sémantique et esthétique. Cela sous-entend que cette activité répond à des niveaux différenciés de travail qui sont intimement liés les uns aux autres. Loin d’être progressif et linéaire, elle nécessite un cheminement régressif au cours duquel la traductrice évalue constamment dans quelle mesure les correspondances lexicales choisies ne s’éloignent pas trop de la portée sémantique et esthétique de l’œuvre d’origine. Ce défi se pose avec une plus grande acuité lorsque l’exercice se développe dans un univers sociolinguistique marqué par une situation diglossique.

Par ailleurs, la jeunesse de la langue amplifie la difficulté de l’exercice. En effet, le créole est encore une langue en pleine croissance sur le plan de la création littéraire et scientifique. Son potentiel est, certes, important mais la production en créole a encore beaucoup d’obstacles de différents ordres à surmonter. L’obstacle le plus important se trouve au niveau des choix des politiques publiques ne contribuant pas au developpement institutionnel du créole. En effet, le sentier de la traduction des textes en créole se limite en général à des initiatives individuelles. Il en est de même du domaine de la conception et de la production de manuels pour l’enseignement-apprentissage du créole dans le système éducatif. L’apport de l’État y est à la limite symbolique. Ce n’est pas un hasard de constater que la population haïtienne est créolophone à cent pour cent (100%) alors que les textes produits ou traduits en créole ne connaissent pas de succès de librairie. 

La parution de « Nan yon bat je » participe de cet effort d’encourager non seulement la création en créole mais également de rendre accessible aux lecteurs créolophones des œuvres importantes du patrimoine littéraire haïtien. Comme dans le cas de son « Konpè jeneral solèy », Edenne Roc a gagné le pari de rendre disponible en créole à la fois le récit, la pensée et la poésie d’Alexis.

Cet effort a été vivement salué par tous ceux et toutes celles qui ont fait le déplacement à l’occasion de la vente-signature de l’ouvrage « Nan yon bat je » dans la salle de spectacle de la Maison d’Haïti le 25 mars 2023. Avec enthousiasme, l’auteure a signé plusieurs dizaines d’ouvrages et a pris des photos de souvenir avec ses lecteurs et lectrices. 

Renel Exentus, doctorant en études urbaines à l’INRS

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