Le "Mal martiniquais" ne date pas d'aujourd'hui  

Rubrique

     Au-delà de la crise dite de "la vie chère" en Martinique il est nécessaire de se référer à l'histoire et donc ne pas faire preuve d'amnésie.

     En fait, il faut remonter à l'abolition de l'esclavage (1848), quand les "nouveaux libres" ont progressivement accédé aux fonctions politiques, la majorité d'entre eux étant à l'époque des Mulâtres. On glose beaucoup sur "l'assimilation" que l'on attribue généralement à la Loi de 1946, rapportée à l'Assemblée nationale française par le député Aimé Césaire. Il est vrai que ladite loi portait le nom de "Loi de Départementalisation et d'Assimilation" mais cette revendication date en fait de la fin du 19è siècle. Elle fut à l'époque ignorée par les différents gouvernements français et la caste békée s'y était montrée hostile, y voyant une menace pour son omnipotence. Elle eut même quelques velléités d'autonomie, voire d'indépendance, mais elle n'a pas eu le courage de franchir le pas à l'instar de ses cousines des territoires hispanophones, anglophones et lusophones du continent américain. Nous en sommes venus à détester tellement cette caste à cause de sa mentalité "profiteuse" que nous nous refusons de considérer que ce fut une occasion ratée pour notre île d'accéder à la souveraineté.

   Car enfin, le libérateur du Vénézuéla-Colombie, Simon Bolivar était un Blanc créole. Dans sa lutte contre les Espagnols il demanda aux Noirs de s'y rallier, leur promettant l'abolition de l'esclavage, ce qu'il se garda bien de faire une fois l'indépendance conquise. Idem aux Etats-Unis avec George Washington. Au Pérou avec José de San Martin. Mais quand on réfléchit sur "le temps long" comme disent les historiens, on se rend compte que c'est ce qui, un siècle et demi plus tard, à permis au métis Hugo Chavez de devenir président du Venezuéla. A l'Afro-américain Barack Obama d'accéder à la Maison Blanche et avant lui, à l'Amérindien Evo Morales de devenir président du Pérou. Sinon dans la Caraïbe anglophone, les Blancs créoles ne se sont pas opposés à l'indépendance de Sainte-Lucie, Barbade, Trinidad, Saint-Vincent etc...

   Les premiers responsables par conséquent de ce que l'on peut appeler "le Mal martiniquais" sont les Békés.

   "Mal" que l'on peut définir comme l'impossibilité de concevoir que les Martiniquais puissent s'auto-gouverner un jour. Le deuxième responsable fut la classe mulâtre qui peu à peu évinça les Békés de toutes les fonctions politiques (maire, député, sénateur) et s'appuya sur l'assimilation pour les combattre. Devenus désormais "Tous Français" après l'abolition, la classe mulâtre mit sous sa coupe, électoralement parlant, la classe nègre comme on peut le voir dans le Saint-Pierre d'avant l'éruption de la Montagne Pelée. Ici, il convient de se rappeler d'une chose importante : autant l'expression "classe békée" désigne un groupe ethnique, autant la "classe mulâtre" ne l'était pas. On l'a oublié aujourd'hui mais autrefois, un proverbe déclarait qu"un Noir riche est un Mulâtre". Ladite "classe mulâtre" fut donc plus une réalité socio-économique, certes marquée par des préjugés de couleur ("Plus on est clair de peau, mieux ça vaut"). Contrairement à ce que l'on croit généralement, le peuple ne s'est jamais trompé à ce sujet d'où le fait qu'en créole, le terme "Milat" désigne tout à la fois un métis Noir/Blanc mais aussi une personne prétentieuse qu'elle que soit sa couleur : "Ou ni an manniè Milat an tjou'w !" (Tu es un sacré prétentieux !). Dans le roman Texaco de Ptrick ChamoiseauPrix Goncourt 1992, on en a un exemple hilarant lorsqu'un personnage, écoutant un discours électoral de Césaire, le Père de la Négritude, dans le français pompeux de ce dernier (exemple : "Les thuriféraires stipendiés du gouvernement"), décide de s'en aller en pestant contre ce..."Mulâtre". 

   En réalité, l'esprit mulâtre ou mulâtrisme est parfaitement dénoncé par Fanon dans Peaux noires, masque blanc même s'il n'emploie pas ce terme. Cet esprit s'est répandu dans toutes les couches de notre société au fil du temps, ce qui a eu pour effet de faire disparaître le groupe dit "Mulâtre" au plan socio-politique. Il suffit de se reporter aux journaux de Saint-Pierre dans la deuxième moitié du 19è siècle pour constater que trois classes étaient nettement différenciées__Les Blancs créoles, les Jaunes (sic) ou Mulâtres et les Noirs. On le voit dans l'ouvrage du Béké Souquet-Basiège, Le Préjugé de races aux Antilles françaises (1880). Aujourd'hui, cette tripartition n'existe plus et a été remplacée par la bipartition "Békés et Negs", ce derner terme recouvrant non plus seulement les Noirs mais tous les non-Blancs. On pourrait y voir un progrès sauf la masse noire s'est entre temps mulâtrisée. Un exemple ? Que n'a-t-on pas entendu lors de l'élection d'Emile Capgras en 1992 comme Président du Conseil Régional ! D'origine ouvrière et noir de peau, il fut littéralement massacré, dénigré, ridiculisé, cela non pas par les Békés (désormais muets politiquement), mais par les Negs. Quasiment tous les jours, ces deniers inventaient une blague imbécile sur Capgras :  

 

   . On entend un coup de feu das le bureau du Président de Région, on se précipite et on le voit avec un revolver fumant sur la tempe. Il n'est même pas blessé car la balle n'a rien rencontré dans son crâne.

 

   . Le président est à Nice dans un congrès des présidents de Région de France. Au moment où la réunion va commencer, il sort de sa chambre d'hôtel en chemise à manches courtes et sans cravate. Ses collègues "métropolitains" s'en  étonnent et froncent les sourcils. Il pointe alors du doigt une affichette sur le palier qui dit "No smoking". 

 

     Pire :  

 

   . Connaissez-vous le numéro d'immatriculation de la voiture du président de la Région ? Le voici : 7-1 ANE. Autrement dit "C'est un âne".

 

   Il y a eu près d'une centaine de plaisanteries immondes à son sujet et il aurait été nécessaire qu'un psychologue ou un sociologue en fasse un livre pour en décortiquer les mécanismes. Ce que l'on voit en tout cas c'est que la masse noire s'est mulâtrisée puisqu'on pouvait entendre ces "blagues" partout. Dans les taxis de place, au marché, à l'école, à l'hôpital etc...et pas seulement dans les salons bourgeois ! C'est cette mulâtrisation qui a fini par consolider définitivement le processus d'assimilation. Et depuis l'esclavage, les Noirs ayant été habitués à faire le "Compère Lapin" pour échapper à la férocité du système, ils ont continué dans la même voie après l'abolition, le compère-lapinisme s'accentuant décennie après décennie. Assimilationnisme + Compère-lapinisme ont abouti à la situation actuelle : un peuple qui veut vivre exactement comme les Français de l'Hexagone, qui veut avoir des Miss France, des gagnantes de Star Academy, des footballeurs dans l'équipe de France de foot etc... tout en détestant (plus ou moins cordialement) le "Métro". On veut être "Chez nous ici" et "Chez nous là-bas", dans l'Hexagone" !!! On veut avoir donc deux "Chez nous" si l'on comprend bien !!! Alors qu'en cette année 2025, on célèbre le 100è anniversaire de la naissance Frantz Fanon, il n'y a aucun doute que pareille attitude l'aurait indigné, révulsé même, lui qui avait écrit cette sentence terrible : "En Martinique, il y a plus de pantalons que d'hommes".

   Résumons : le "Mal martiniquais" a pour premier responsable la classe békée qui s'est refusée à jouer son rôle historique de bourgeoisie nationale ; pour deuxième responsable la classe mulâtre qui a été le promoteur et le défenseur farouche de l'assimilation ; pour troisième responsable la majorité noire qui s'est mulâtrisée au fil du temps. Cette dernière est évidemment la moins coupable des trois mais c'est tout de même elle qui a voté "NON" à 80% contre un tout petit début de commencement d'autonomie (Article 74) en 2010. C'est elle qui a donné 73.000 bulletins au parti raciste de Marine Le Pen à la dernière élections présidentielle etc... (pour nos lecteurs non-Martiniquais, les Békés ne sont que 3.500 personnes dont le tiers est constitué de mineurs qui ne votent donc pas).

   Mais le "Mal martiniquais" a aussi pour cause l'incurie des partis politiques dits "indépendantistes" qui pour des raisons électoralistes se sont toujours refusés à lutter contre le compère-lapinisme. Ils se sont contentés juste de combattre l'Etat français et les Békés comme si le vers n'était pas dans le fruit ! Aujourd'hui pourtant, d'aucuns réclament démagogiquement un "référendum sur l'indépendance" comme si le résultat n'était pas connu d'avance. D'autres soutiennent, ouvertement ou anbafey, le Mouvement des Aligneurs de Prix sur la Métropole, dans l'espoir que le Grand Soir finira par arriver, faisant semblant de ne pas voir que cette revendication est en fait le désir d'une CTI (Continuité Territoriale Intégrale). Soit l'exact inverse de l'indépendance... 

   QUE FAIRE ? pour reprendre la fameuse question de Lénine. 

   Difficile d'y répondre. Car les cartes sont désormais brouillées par la faute de nous tous. Par les Békés avec leur "Tous créoles", chose qu'ils auraient dû avoir proclamé en 1848 et non 1 siècle et demi plus tard. Par la classe moyenne, toutes "races" confondues, accrochée qu'elle est aux avantages du système départementalo-régionalo-territorial et aux 40%. Par la majorité de la population accrochée elle aussi à des avantages certes bien moindres (Allocations familiales, allocation-chômage, allocation adulte handicapé, RSA etc...) dont elle sait qu'ils n'existent pas dans les îles indépendantes qui nous entourent. 

   En fait, seuls les 27% de Martiniquais qui vivent sous le seuil de pauvreté n'ont AUCUNE RESPONSABILITE dans l'impasse actuelle. 

   Comme les 73% ne savent pas ce qu'il faut faire, comme ils veulent le beurre et l'argent du beurre, comme ils aiment pleurer misère dans un pays où il y a 320.000 voitures pour 340.000 habitants et où on peut payer un billet d'entrée à 200 euros pour assister à un concert de rappeur au stade Pierre Aliker, eh bien, l'issue fatale est prévisible !

   Edouard Glissant l'avait prophétisé en 1981 dans son ouvrage magistral, Le Discours antillais : nous finirons comme Hawaï. Et rions un peu : Barack Obama étant né à Hawaï, pourquoi un Martiniquais ne pourrait-il pas devenir un jour président de...la France ? 

   Peut-être est-ce ce dont rêvent (secrètement ou inconsciemment) certains...

Commentaires

Milat ka jwé jwèl séré

Daniel

26/01/2025 - 18:30

I bèl men man ke pèd 2mn anlè ti moman-tala "Aujourd'hui, cette tripartition n'existe plus et a été remplacée par la bipartition "Békés et Negs"".
Milat yo toujou la.
Nèg sé lé 27% maléré + yonn-de ankò apéprè.
Milat sé sa ki an mitan, "sésilonlakyépoul"... ("sésilonlatjépoul")

"Mal"-nou, Nég, jòdi, pétèt, sé kontèl simyé nou kabéché oséryé, fè kò nou èk lèspri-nou mal, goumen BA linité (Amical CABRAL), nou kay tousèl, nou pa jen dakò...
Anni gadé, RPPRAC ka mété douvandouvan, Steeve MOREAU, simye itilizé, bakyé (batjé) abò PALIMA ki sé an opozisyon ki ja ni an bèl fòs pakoté Foyal.
Ka sanm yo ka jwé mennm jé. Si sa vré, anni fè yonn.
Mal an ti peyi kon ta nou-an, sé lè'w ka konté nonm asosyasyon (politik oben pa politik) ka goumen ba Nèg.

Connexion utilisateur

Commentaires récents

  • "Génération 2.0", vraiment ?

    Discrédit ....pffff !!!

    Nuit noire

    27/01/2025 - 12:18

    Ce qui peut discréditer ce site, ce ne sont pas des questions ou des observations qu'on peut appr Lire la suite

  • "Génération 2.0", vraiment ?

    COMPARATIVEMENT...

    Albè

    26/01/2025 - 20:03

    aux 1,4 milliards d'habitants que compte la Chine. Lire la suite

  • Le "Mal martiniquais" ne date pas d'aujourd'hui  

    Milat ka jwé jwèl séré

    Daniel

    26/01/2025 - 18:30

    I bèl men man ke pèd 2mn anlè ti moman-tala "Aujourd'hui, cette tripartition n'existe plus et a é Lire la suite

  • "Génération 2.0", vraiment ?

    TOUT RIQUIQUI

    Nuit noire

    26/01/2025 - 11:44

    Les USA ont un marché intérieur "riquiqui " de 350 millions d'habitants....J'aime bien.

    Lire la suite
  • "Génération 2.0", vraiment ?

    Bèl do

    Daniel

    26/01/2025 - 10:42

    Pa bliyé, lajénès jòdi sé yich lajénès yè.
    Lire la suite