Dans son dernier essai, l’historienne franco-tunisienne Sophie Bessis analyse et dévoile les mécanismes de la notion de « civilisation judéo-chrétienne », inventée de toutes pièces et instrumentalisée de toutes parts.
RFI : Le terme « civilisation judéo-chrétienne » est apparu dans le langage courant au début des années 1980. Comment en est-on arrivé là ?
Sophie Bessis : C'est un concours de circonstances dû à certains éléments de contexte, dont le fait que le religieux, à partir de la fin des années 1970 et du début des années 1980, prend une place de plus en plus importante dans le discours public. Il y a là un paradoxe : d'un côté, de plus en plus, on fait de la laïcité un rempart contre toutes les « barbaries » venant d'ailleurs, et de l'autre, on se définit par deux vocables religieux : judéo-chrétien. Ce recours de plus en plus important au religieux à partir du début des années 1980 est dû aussi à la fin de ce grand messianisme laïque qu'a été le communisme. Et puis, petit à petit, dans la mesure où elle a servi à des rhétoriques politiques qui convenaient à tout le monde, cette expression a connu le triomphe que l'on sait dans le langage courant.
Pourquoi vouloir ainsi effacer toute trace d’islam en Europe ?
L'objectif est de renvoyer l'islam à une altérité totale. L'islam, c'est aujourd'hui le danger, c'est la barbarie. D'ailleurs, les dirigeants israéliens qui ont repris cette rhétorique du judéo-chrétien ne cessent de proclamer qu'ils sont le dernier rempart de la civilisation face à la barbarie musulmane. Voilà le discours que l'on entend et qui est dramatiquement entériné par une majorité des classes politiques occidentales.
Dans votre ouvrage, vous pointez les risques de la double allégeance qu’encourent les juifs en France. Une allégeance à la France, bien sûr, mais aussi à Israël, qu’une partie de la classe politique suggère à travers son soutien à l’État hébreu. Les juifs français sont-ils ainsi assignés à une double identité malgré eux ?
Cette double assignation est grave, me semble-t-il. J'en cite des exemples dans mon ouvrage, en particulier le fait que le président Macron ait invité Benyamin Netanyahu à la commémoration de la rafle du Vél’d'Hiv en 2017, qui est un événement purement français. Avec cette invitation, Monsieur Macron a, en les assignant à une double allégeance, dénié aux Français juifs - je préfère employer le terme de Français juifs à celui de juifs français dans la mesure où l'appartenance supposée à une confession vient après l'appartenance à la nationalité - leur qualité de Français à part entière. C'est la raison pour laquelle je crains ce philosémitisme exubérant que l'on constate aujourd'hui, car il me semble être un miroir du vieil antisémitisme d'antan, dans la mesure où il reprend l'idée que « les juifs ne sont pas tout à fait comme tout le monde ».
Pourriez-vous préciser cette notion d' « exceptionnalité juive » ?
Pour beaucoup de monde, les juifs ne sont pas « comme les autres » et n'ont pas droit à une indifférence salvatrice. Ce n'est pas moi qui nomme l'exceptionnalité juive, ce sont les comportements des classes politiques occidentales qui démontrent que pour elles le juif - j'emploie volontairement le singulier pour qualifier un archétype - est quelqu'un qui n'est pas un citoyen ordinaire, soit parce qu'on ne l'aime pas assez, soit parce qu'on l'aime trop.
Par ce terme de « civilisation judéo-chrétienne », Israël devient, dès lors, l’avant-poste de la civilisation occidentale, dites-vous.
Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Monsieur Netanyahu et tous les dirigeants israéliens qui le disent, ainsi qu’une partie importante de l'extrême droite occidentale. Le dernier homme politique en date à l'avoir dit était Monsieur Bardella, qui déclarait en gros : Israël est un pays occidental, donc il faut le défendre. Dans mon essai, je n'invente rien. J'écris simplement : voilà ce que disent les gens et voilà à quoi cela sert.
La culpabilité de l’Occident a ainsi laissé la place à un philosémitisme, exacerbé depuis le 7 octobre 2023, qui aujourd’hui permet à Israël de mener une guerre sanglante dans la bande de Gaza, écrivez-vous. Cette situation ne risque-t-elle pas d’exacerber les tensions en Occident entre les juifs, vus comme « défenseurs de notre civilisation », et les musulmans associés à des terroristes par Israël ?
Malheureusement, tout le monde instrumentalise cela. Israël prétend à tort, et j'insiste sur le terme « à tort », représenter tous les juifs du monde en proclamant être « l'État du peuple juif ». C'est un grand danger pour les juifs, dans la mesure où, si Israël représente tous les juifs du monde, alors ils seraient comptables des crimes contre l'humanité commis aujourd'hui par cet État contre la population palestinienne. La rhétorique israélienne actuelle représente un incontestable danger pour les juifs.
Par ailleurs, les entrepreneurs politiques de l'aire salafiste affirment que les juifs assassinent des musulmans en Palestine. C'est faux car c'est l'armée d'un État gouverné par une extrême droite colonisatrice qui assassine les Palestiniens, qui ne sont pas tous musulmans. Ces instrumentalisations croisées sont dangereuses pour la coexistence des minorités musulmane et juive dans un pays comme la France. Les entrepreneurs identitaires de toutes les religions, de toutes les appartenances politiques, jouent avec le feu aujourd'hui.
Dans votre ouvrage, vous entendez vouloir déconstruire ce terme de « civilisation judéo-chrétienne » que vous jugez être une « vérité alternative ». Comment mettre un terme, selon vous, à son emploi ?
Je ne pense pas que cette expression disparaîtra du langage public dans les années à venir, dans la mesure où elle est tellement utile à tellement de monde... Elle sert à tant de choses, aussi bien à occulter les siècles d'antisémitisme européen qu'à rejeter l'islam dans une totale altérité considérée comme dangereuse, qu'à faire d'Israël une part d'Occident dressée au cœur d'un monde ennemi qui serait le monde arabo-musulman. Je crains donc que cette expression n'ait encore de beaux jours devant elle.
La Civilisation judéo-chrétienne : anatomie d’une imposture, aux éditions Les Liens qui libèrent
Sophie Bessis, ici en 2023.© Éric Bataillon/RFI
Depuis qq temps un mot inonde l’espace médiatique mquais : suprémacisme et sa pseudo-variante sup Lire la suite
Vous êtes un vrai Charlot ! Lire la suite
Citez moi un seul.mot de mon commentaire précédent correspondant à une " obsession anti-arabe".En Lire la suite
Pour passer le plus clair de votre temps à déverser vos âneries et vos obsessions anti-arabes dan Lire la suite
Marrant de mettre sur le même plan la colonisation et l'immigration..Ca prouve donc bien que l'im Lire la suite