Le combat contre le chlordécone ne doit pas être accaparé

   La dernière manifestation organisée dans les rues de Fort-de-France pour protester contre le non-lieu dans le scandale du chlordécone prononcé par la justice française (l'affaire a été délocalisée sans raison__comme d'habitude !__au Tribunal de Paris) n'a pas été un succès. C'est le moins qu'on puisse dire !

   A peine 700 manifestants alors que plus d'une trentaine de mouvements politiques, de syndicats, d'associations etc...avait signé l'appel à manifester. Or, chacun se souvient qu'il y a un an et demi, près de 4.000 personnes avaient défilé dans les rues de Foyal. Que s'est-il passé ? Invoquer le mauvais temps et la pluie revient à faire l'autruche. A se payer de mots. Car la manifestation de la semaine d'après en faveur de la Palestine n'a recueilli, elle, qu'environ 200 participants alors que là encore, l'appel à manifester avait été signé par un grand nombre d'organisations. Quand on enlève, les 130 manifestants de la communauté arabo-palestinienne, il n'est resté qu'une poignée de dirigeants d'organisations politiques martiniquaises. Est-ce la faute de la pluie ? Du désintérêt du peuple martiniquais pour la Palestine ? De la traditionnelle méfiance de celui-ci envers les "Syriens" ? Aucunement ! Là encore, le croire revient à s'enfoncer la tête dans le sable. 

   La vérité__bien cruelle !__est que depuis quelque temps la plupart des luttes importantes se sont vues comme préemptées par des gens qui se croient encore dans les années 70 et qui surtout cherchent à regonfler par tous les moyens leurs petites organisations, ces dernières n'étant désormais plus composées que de septuagénaires qui ont été incapables d'assurer leur relève. Cette dernière s'est d'ailleurs faite spontanément, en-dehors desdites organisations, notamment la mouvance "Rouge-Vert-Noir", avec, certes un énorme courage (destruction des statues coloniales qui trônaient impertubablement et scandaleusement aux quatre coins de la ville d'Aimé Césaire), mais cela de manière un peu anarchique, mêlant discours rastafariste, noiriste etc...sans que l'idée de la nécessaire accession de la Martinique à la souveraineté soit clairement formulée et mise au premier plan. Depuis, ces jeunes ont disparu du paysage et de toute façon, il était peu probable, étant donné certains excès auxquels ils se sont livrés, que leur discours eut la moindre chance de convaincre la majorité des Martiniquais. 

   Car la question, la seule vraie question qui importe désormais, vu l'impasse dans laquelle se retrouve désormais la Martinique suite, notamment, à la perte de visibilité du principal mouvement indépendantiste à cause du retrait forcé pour raisons de santé de son leader charismatique, est celle-ci : comment convaincre le maximum de Martiniquais de la nécessité d'un changement ? Changement forcément progressif. Notre statut, hérité de 1946 et de la loi de Départementaisation/Assimilation, est en état de mort cérébrale même s'il a connu quelques liftings au cours des dernières décennies (décentralisation, assemblée unique etc.). Tous les Martiniquais, y compris les plus assimilationnistes, en conviennent mais au fond d'eux-mêmes, ils craignent encore plus le changement. La raison de cette peur est compréhensible : nos partis politiques, de tous bords, quand ils ont détenu le pouvoir local n'ont absolument rien fait pour faire bouger les choses d'un seul millimètre. Tel est autonomiste depuis presque trois-quarts de siècle mais lorsqu'une toute petite opportunité de desserer le carcan "colonial" se présente, comme l'Article 74, il se défile et appelle à voter contre. Tel autre brandit vaillamment le mot "Indépendance" mais se réfugie derrière un slogan douteux ("Nous proposons, le peuple dispose") qui lui permet de gérer sans état d'âme le système en place. Tel autre se proclame souverainiste mais ses leaders soit font risette aux préfets lors de manifestations officielles ou dansent la mazurka avec des sous-préfètes, pourtant "représentants de l'Etat colonial" dans le jargon nationalo-indépendantiste soit passent leur temps à sortir des âneries du style "Je suis anti-viol mais pas anti-sexe", "J'ai ausi des ancêtres gaulois" ou la dernière en date "Il ne faut plus nous appeler des Ultramarins mais des Transocéaniens". 

   Nul étonnement donc à ce que les Martiniquais ne se déplacent guère pour aller voter. Nos chers députés, par exemple, qui paradent à l'Assemblée nationale et dans les médias, ne sont élus que par à peine 25% du corps électoral. Comment sortir de cette impasse et en finir avec ces manifestations maigrelettes qui ne rassemblent que des responsables de groupuscules trop âgés et enfermés dans un discours crypto-gauchiste datant du siècle dernier et par conséquent devenu complètement obsolète ?

   C'est la seule vraie question à se poser. 

   Car, en face, chez les assimilationnistes et dans le groupe béké, on ne reste pas les bras croisés. La Droite a été quasiment effacée de notre paysage politique mais paradoxalement son remplacement par des autonomistes, puis des indépendantistes, n'a conduit à aucun changement significatif. L'ayant compris, elle tente habilement de redresser la tête et cela par des moyens divers et variés tel ce sondage effectué dernièrement au sujet de la co-officialisation du créole et du français d'une part et du chlordécone, de l'autre. A la question de savoir si la co-officialisation présente de l'intérêt pour eux, seul... 1% (un pour cent) des sondés a/aurait répondu "OUI". A la question de savoir si le chlordécone est une question importante pour la Martinique, seuls...7% ont/auraient répondu "OUI". Ce sondage, qui a couté 60.000 (soixante-mille) euros, n'a pu être réalisé qu'à la demande soit d'assimilationnistes fortunés soit de Békés. Ses résulats ont été triomphalement présentés dans les médias, notamment sur une page entière du quotidien local sans que cela provoque la moindre réaction ! Résultats émanant pourtant d'un sondage fortement biaisé...

   Car enfin, c'est vraiment prendre les Martiniquais pour des imbéciles, que de brandir un prétendu sondage qui démontrerait qu'ils n'ont quasiment aucun intérêt pour certaine des principales problématiques de leur pays. Ils sont dans le noir, ils sont désemparés, ils ne voient aucune lueur pointer à l'horizon, voilà la vraie raison ! Alors revient inévitable la même question : QUE FAIRE ? Pour MARTINIQUE-ECOLOGIE la réponse est nette et claire : privilégier l'intérêt supérieur de la Martinique chaque fois que cela s'avère nécessaire en mettant de côté les guéguerres politiciennes et ne pas chercher à préempter tel ou tel question importante dans l'objectif (non avoué) de regonfler son groupuscule. Des exemples ? Des membres de MARTINIQUE-ECOLOGIE ont été, depuis quatre décennies à la pointe du combat pour la revalorisation du créole, pourtant ils ne considèrent pas que c'est "leur chose" et ils ne vont pas s'opposer à la résolution de l'Assemblée de Martinique en faveur de la co-officialisation du créole et du français juste parce qu'elle émane du PPM. Ni déclarer que c'est un geste électoraliste car personne ne peut croire qu'on peut gagner des voix en défendant une langue que malheureusement, la majorité des Martiniquais, assimilationnisme oblige, a encore du mal à considérer comme une vraie langue. Or, cette valorisation de notre langue va dans le sens de l'intérêt supérieur de la Martinique et des Martiniquais. Tant pis pour les autres partis qui lorqu'ils ont été au pouvoir à l'ex-Conseil régional, puis à la CTM n'ont strictement rien fait pour faire avancer la cause du créole ! De même, des membres de MARTINIQUE-ECOLOGIE ont été parmi les précurseurs du combat contre le chlordécone, ils ont écrit des livres sur le sujet, ils ont organisé une conférence de presse (en 2007) en pleine Assemblée nationale à laquelle ont assisté les principaux médias hexagonaux pour dénoncer l'usage de ce pesticide, ils ont porté plainte en justice contre l'Etat pour "mise en danger de la vie d'autrui et empoisonnement" etc..., pourtant ils n'ont jamais considéré que l'affaire du chlordécone est "leur chose". C'est l'affaire de tous les Martiniquais exactement comme pour le créole ! On pourrait prendre bien d'autres exemples...

   Sortir par conséquent de l'esprit sectaire et groupusculaire, évacuer le discours des années 70 du siècle dernier et un certain gauchisme, nécessaires à l'époque mais complètement dépassés depuis la Chute du Mur de Berlin et l'effondrement de l'Union Soviétique, depuis la Mondialisation, l'Internet, le dérèglement climatique, la crise migratoire, le remplacemenent progressif et sournois du prolétariat par le "précariat" etc...Bref, repenser le monde en tenant compte de ces événements considérables au lieu de s'enferrer dans un discours qui s'est momifié au fil du temps et qui ne parle plus du tout à notre jeunesse. Car chacun se souvient que dans ces années 70-80, quasiment tous nos partis politiques, grands ou petits, disposaient d'organisations de jeunesse extrêmement actives. Or, toutes ont disparu aujourd'hui ? POURQUOI ? 

   Conclusion : il faut d'abord viser l'INTERET SUPERIEUR DE LA MARTINIQUE pour chacun de nos problèmes importants. Et la question de l'évolution institutionnelle est également l'une des plus importantes, sinon la plus importante, et s'esclaffer parce qu'E. Macron a récemment déclaré que ladite évolution ne concernerait, en janvier prochain, que la Kanaky (Nouvelle-Calédonie) est tout simplement lamentable. Cela revient en fait à rire de soi-même, voire à se mépriser. Car que proposent les détracteurs de l'évolution institutionnelle pour sortir de l'impasse dans laquelle nous nous trouvons ?

   RIEN !...