Culture : le Kreyol International Film Festival, une volonté de sauver la langue créole

Le Kreyol International Film Festival (KIFF) est un événement consacré à la célébration et à la promotion du cinéma créolophone. Alexia de Saint-John’s, fondatrice du festival, souligne l’importance de soutenir les productions locales pour bâtir une véritable industrie cinématographique dans les territoires créolophones. Elle appelle à une mobilisation collective pour que le festival devienne une référence mondiale, tout en insistant sur la nécessité d’une meilleure formation et du financement adéquat pour permettre aux réalisateurs de participer pleinement à l’événement. Pour soutenir cette initiative et garantir son avenir, l’équipe du festival a lancé une cagnotte afin de financer la communication, la location de salles et d’autres aspects cruciaux de l’organisation. Cette année, le festival se déroulera entre le 26 et 30 septembre.

Antilla : Le KIFF ne se limite pas à un simple festival de cinéma. Pouvez-vous nous expliquer quel est l’engagement principal de votre organisation et comment il se traduit au-delà des projections de films ?

Alexia de Saint-John’s : Le KIFF ne se limite pas à être un simple festival de cinéma. En réalité, notre engagement principal va bien au-delà des projections de films. Nous avons imaginé et développé un concept que nous appelons “Kreyollywood”. Ce concept est vaste et représente une véritable mission de sauvegarde et de valorisation du patrimoine culturel créole, notamment à travers le cinéma. Le Kiff est une première pierre pour la mise en œuvre de ce concept.

Le cinéma est pour nous le meilleur moyen de mettre en lumière la langue créole, qui est en perdition. Nous voulons sauver cette langue et la rétablir dans son authenticité, car nous constatons que beaucoup de personnes parlent un créole francisé, une sorte de ‘français créolisé’. Notre objectif est de créer une prise de conscience autour de l’importance de la langue créole, et cela passe aussi par la lutte contre la rupture générationnelle qui fait que de nombreux jeunes ne parlent plus ou ne comprennent plus le créole.

Vous lancez un appel à la “communauté créole” qui semble central dans la mission du KIFF. Qu’attendez-vous de cette mobilisation et comment espérez-vous qu’elle contribue à la réussite de vos projets ?

Quand nous avons lancé ce festival, il était évident que nous ne pouvions pas compter sur des subventions, car c’était une première en France. On nous disait : “Faites-le d’abord, on vous aidera ensuite”. C’est pour cela que nous avons lancé un appel à bénévolat. Nous avons reçu exactement 254 candidatures, et seulement 20 % d’entre elles étaient issues de ce que j’appelle les “Afro-descendants”. Cela montre bien que nous savions dès le départ que nous allions devoir tout faire sans aide financière. Même la mairie de Paris a refusé de nous soutenir pour des raisons que nous comprenons, car il s’agissait d’un projet inédit.

Ce qui est frappant, c’est que malgré notre appel à la “communauté créole”, nous ressentons qu’il y a encore des efforts à faire pour renforcer la solidarité. Par exemple, d’autres communautés, comme les Chinois ou les Juifs, ont une forte solidarité et réussissent à mobiliser des fonds en un temps record pour leurs projets. Mais chez nous, cette solidarité n’existe pas. Cela se reflète dans nos appels à dons, qui n’ont pas reçu beaucoup de soutien de la part de ceux que nous cherchons à rassembler. C’est un enjeu crucial pour la réussite de notre projet. Notre démarche vise aussi à faire réfléchir sur cette absence de solidarité et sur la nécessité de se mobiliser pour préserver et promouvoir notre patrimoine culturel.

La réalisation de vos projets, notamment les débats et ateliers autour de l’espace créolophone, demande des ressources importantes. Comment parvenez-vous à concrétiser ces initiatives malgré les défis financiers et organisationnels ?

Cela repose principalement sur l’énergie, mais cela ne suffit pas toujours. Nous avons besoin de public pour concrétiser nos idées, car sans audience, même les meilleures initiatives restent vaines. Notre association fonctionne de manière totalement indépendante, sans le soutien de grands médias ou d’organisations. Par conséquent, nous dépendons de dons, de mécénat et de bénévoles pour couvrir des coûts essentiels, comme la location des salles de cinéma.

Pour fidéliser notre public, nous avons mis en place des rendez-vous trimestriels, en plus de notre festival annuel. Cela permet de maintenir notre visibilité tout au long de l’année. L’un de nos prochains événements est une conférence à l’Assemblée nationale avec des experts de différents horizons. Cependant, attirer du public à ces événements reste un défi, surtout sans budget pour des campagnes de promotion massive. Nous misons donc sur les réseaux sociaux et des articles de presse pour attirer l’attention.

L’année dernière, un article a considérablement boosté notre visibilité sur les réseaux sociaux, passant de quinze à trois cents abonnés en peu de temps. Cela montre l’importance d’une bonne communication. Nous avons également besoin d’avant-premières et de films inédits pour attirer plus de spectateurs. En fin de compte, plus nous aurons de public, plus il sera facile de remplir les salles et de réussir nos projets.

La cagnotte lancée pour soutenir le KIFF 2024 est un élément clé pour la tenue de cette édition. Pouvez-vous nous détailler à quoi servira concrètement cet argent et pourquoi il est essentiel pour l’avenir du festival ?

La cagnotte lancée pour soutenir le KIFF 2024 est cruciale pour assurer le succès de cette édition. Nous avons fixé un objectif de 50 000 euros, répartis principalement sur deux postes clés : la communication et les récompenses.

Premièrement, une bonne communication est indispensable pour attirer le public. Par exemple, l’affichage dans le métro pour une semaine coûte environ 2 500 euros, donc deux semaines représentent déjà 5 000 euros. Nous avons aussi besoin de financer des annonces sponsorisées sur les réseaux sociaux, qui peuvent coûter environ 10 euros par jour pour une visibilité continue.

Deuxièmement, les récompenses pour les films sélectionnés ont aussi un coût significatif. L’année dernière, nous avons dépensé près de 2 000 euros pour les prix. Ces éléments sont essentiels pour motiver les participants et rehausser le prestige du festival.

Enfin, il y a les frais liés à la location des salles et à la production de photos et vidéos de qualité professionnelle, ce qui représente également un investissement important. Sans cette cagnotte, il serait difficile de maintenir la qualité et la visibilité du Kiff, et donc de garantir son avenir.

Quelles sont vos attentes vis-à-vis des contributeurs et des spectateurs de cette édition 2024, et comment peuvent-ils s’impliquer plus activement dans la promotion du cinéma créole ?

Tout d’abord, le soutien du public est essentiel. Sans public, il n’y a ni films ni festival. Nous comptons donc sur un bouche-à-oreille efficace pour attirer un maximum de monde. Lors du lancement, la salle était presque pleine, même sans gros budget de communication, ce qui montre l’importance de l’engagement du public.

Ensuite, nous attendons des contributeurs qu’ils partagent notre vision à long terme. Le Kiff n’est pas seulement un festival pour célébrer entre nous, mais pour devenir, à terme, une référence mondiale, à l’image de festivals comme celui de Cannes. Nous voulons que les films que nous sélectionnons puissent être reconnus à l’international, voire être nominés aux Oscars. Pour cela, il faut que tous, spectateurs comme contributeurs, s’engagent activement.

Enfin, un des points clés pour l’avenir est de permettre aux réalisateurs de venir échanger avec le public. Nous encourageons les productions à inclure dans leur budget les frais de déplacement et d’hébergement pour les réalisateurs, afin qu’ils puissent participer au festival, car notre association n’a pas les moyens de financer ces coûts. Cette participation est cruciale pour enrichir le dialogue autour des films créoles et faire rayonner notre culture à l’international.

Êtes-vous optimiste pour l’avenir du cinéma créole et pour combattre les obstacles futurs ?

Alexia de Saint-John’s, fondatrice du KIFF

Je le suis, mais cet optimisme doit être soutenu par des actions concrètes. Il est temps d’arrêter d’investir des millions dans des productions extérieures qui ne nous représentent pas, et de développer une véritable industrie locale. Nous devons former des talents sur place, y compris pour le doublage en créole, car c’est une langue puissante et pleine de potentiel. L’avenir se dessine maintenant, mais il dépend de la participation active de tous les créolophones. Il est crucial que les productions budgétisent la venue des réalisateurs pour le KIFF, afin de donner à notre festival la place qu’il mérite.

Propos recueillis par Thibaut Charles

Pour soutenir la cagnotte du KIFF, rendez-vous à cette adresse : https://www.helloasso.com/associations/les-ponts-de-l-espoir-hope-bridges/collectes/soutenez-kreyollywood

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