À la découverte du Japon sur les traces de Lafcadio Hearn en juin 2025

Charles Scheel

Rubrique

Le parcours d'un comparatiste en littérature est souvent le résultat de rencontres imprévisibles. Natif de Lorraine et américaniste de formation, je n'aurai jamais imaginé que de faire la connaissance d'un écrivain antillais – en l'occurence Victor Jean-Louis Baghio'o – dans un cours d'italien pour débutants à l'Université de Bergamo en 1982, allait provoquer mon installation en Martinique trente ans plus tard. Ni que de croiser une Japonaise sur la passerelle pour piétons enjambant la rivière Madame dans le bourg de Schoelcher, en septembre 2024, allait m'envoyer en mission de recherche au Japon neuf mois plus tard.

Le même soir du vendredi 13 juin, je retrouvais celle que son guide martiniquais, Manuel Norvat, avait présentée brièvement alors que je les croisais à vélo sur la passerelle encombrée, comme une « collègue japonaise – elle travaille sur Lafcadio Hearn... », aux archives de la CTM où Hiroshi Matsui, enseignant chercheur à l'Université Kinjo Gakuin de Nagoya et traducteur d'oeuvres antillaises francophones en japonais, donnait une conférence intitulée « La Rue Cases-Nègres n'est-elle qu'un roman autobiographique ? ». Après la conférence, je faisais connaissance de la professeure de littérature francaise et francophone Toshié Nakajima, venue découvrir la Martinique et présenter, également aux ATM, le lundi suivant, la Bibliothèque de Lafcadio Hearn, conservée à l'Université de Toyama où elle enseigne.

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Entretemps, ayant saisi au vol le nom “Lafcadio Hearn” sur le pont, je me suis souvenu d'un petit volume intitulé Youma, d'un illustre inconnu, trouvé par hasard sur la table des nouveautés antillaises de la librairie Alexandre que je découvrais après avoir garé ma voiture de location – je venais de prendre mon poste au département d'anglais de l'UAG – dans un parking du centre de Fort-de-France affublé du même nom étrange : Lafcadio Hearn.

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Voilà que ce nom, découvert en septembre 2012, se rappelait à moi en septembre 2024 par le biais de la connexion Japon. Ayant sympathisé avec Toshié Nakajima pendant les derniers trois jours de sa visite en Martinique, et me trouvant en fin du projet René Maran que je coordonnais au sein de l'équipe Manuscrits francophones de l'ITEM-CNRS/ENS depuis septembre 2020, je me lançais avec passion dans une nouvelle recherche. Après tout, quel écrivain se prêtait mieux à une approche comparatiste, que le gréco-anglo-irlandais-américano-japonais Lafcadio Hearn, avec vingt volumes publiés en anglais à New York entre 1884 et 1904 – dont 12 concernent le Japon où il a vécu les quatorze dernières années de sa vie, mais dont deux sont basés en grande partie sur des contes et esquisses rédigés en cr”ole pendant son passage de 18 mois en Martinique entre 1887 et 1889 ?

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Si bien que, trois mois plus tard, je faisais une communication en visio-conférence sur le thème “Youma ou la révolte des esclaves de Martinique en 1848, contée par Lafcadio Hearn en 1888” à un colloque organisé par Toshié Nakajima à l'Université de Toyama en décembre 2024.

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Puis participais – en Martinique, en mars 2025, avec les professeurs Christelle Lozère et Erick Noël, ainsi que Louis Solo Martinel, traducteur français des Contes créoles II de Lafcadio Hearn – à un séminaire sur le thème « Lafcadio Hearn : de la Louisiane au Japon via la Martinique en 1887-1889 », dans le cadre du Master  « Histoire, civilisations et patrimoine », au campus de Schoelcher. Après ces prémisses, il ne restait plus qu'à faire le grand saut de Schoelcher à Toyama (en quatre vols, sur quarante heures...) pour une mission de quinze jours en juin 2025, soutenue notamment par le CRILLASH de l'UA, sur le thème : « Sources de la fascination de Lafcadio Hearn pour la créolité, en Louisiane et aux Antilles ».

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Grâce aux formidables qualités d'organisatrice de Toshié Nakajima, j'allais pouvoir visiter en un temps record, plusieurs lieux dans quatre villes d'un Japon dont j'avais longtemps rêvé, bien sûr, avant même de lire Lafcadio Hearn, et découvrir avec elle des documents originaux concernant plus particulièrement les textes créoles de cet écrivain si singulier. Mais ces volets de recherche universitaire de mon séjour s'inscrivaient dans le cadre concret d'un pays, d'une population et d'une culture d'autant plus étrangers que j'en ignorais entièrement la langue, l'écriture et les usages ! Sans l'assistance de ma précieuse guide et interprète, j'eusse été bien démuni, même si j'ai toujours connu un accueil aimable – fait de sourires et de courbettes – lors de mes quelques excursions solitaires aux alentours du campus de Toyama.

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En quinze jours, jai donc connu : neuf jours consacrés surtout à l'exploration de la Bibliothèque Lafcadio Hearn sur le campus de l'Université de Toyama ;  une initiation inattendue à la cérémonie du thé ; une conférence dans un amphi de lettres ; des excursions autour de Toyama (au bord de mer, notamment) ; un long voyage en voiture pour visiter le Musée d'art Ikeda à Urusa ; un colloque sur Lafcadio Hearn à Toyama, animé par une improvisation scénique du folklore japonais ; un long voyage en train via Kyoto pour visiter Matsué et y rencontrer Bon Koizumi lors d'une conférence au Musée Lafcadio Hearn ; le retour vers Tokyo via Nagoya (avec une conférence sur Zobel à l’Alliance française) ; une dernière nuit dans un hôtel déshumanisé de l'aéroport Hanéda avant de prendre l'avion pour Paris (14 heures de vol).

Durant cette mission, j'ai été frappé par les quelques impressions générales suivantes :

  • un environnement où règnent l'ordre, le calme et la propreté (pas de moteurs hurlants sur les routes ou les campus, entretenus avec des balais et non pas des débroussailleuses, par exemple)
  • un grand contraste entre des montagnes recouvertes de forêts denses et les zones urbanisées en plaine
  • l'omniprésence des rizières, jusqu'au centre des bourgades
  • la sophistication technique de nombreux équipements (notamment des cuvettes de toilette !)
  • le contraste entre la politesse rituelle des rapports sociaux officiels et l'indifférence générale entre les personnes dans tout contexte anonyme
  • le contraste entre la rapidité générale des services (de transports ou de restauration, par exemple) et l'extraordinaire lenteur d'un rite comme celui de la cérémonie du thé.

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