Le « Document de cadrage sur la question constitutionnelle », nouvelle tentative frauduleuse du PHTK néo-duvaliériste de démantibuler la Constitution haïtienne de 1987

Robert Berrouët-Oriol

Rubrique

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En Haïti, le rituel apparemment erratique et déstructuré des tentatives de « réforme » constitutionnelle est devenu un sport à géométrie variable, une sorte de gaguère de haute fréquence où les paris sont lucratifs si l’on est du bon côté de l’Histoire… Ce festif rituel est financièrement rentable pour les politiciens de tout acabit comme pour les preux chevaliers, « experts » constitutionnalistes autoproclamés qui se bousculent d’une saison constitutionnelle à l’autre. Sous le ciel hâbleur d’Haïti, ce rituel est chronique, il a son clergé, ses réseaux, son catéchisme, ses projets pilotes et, surtout ses mentors empressés : quelques rares bailleurs de fonds de l’International dispensateurs discrets de « conseils avisés » et de généreuses enveloppes financières qui habituellement s’évaporent sans laisser de traces… Tous, ils entonnent en chœur le refrain élimé de la « réforme » constitutionnelle couplé à celui d’« élections »/seleksyon qui doivent être « libres et transparentes » car elles constituent, semble-t-il, la seule voie de la résolution des maux centenaires de la République d’Haïti…

 

Et voici que récemment les « conseils » avisés de quelques remarquables « experts » internationaux se sont mis à pleuvoir dru d’un ciel pourtant déjà orageux. Oyez plutôt : « (…) le sort du CPT [le Conseil présidentiel de transition] et l’architecture de gouvernance de transition dépendront de sa capacité à atteindre au moins une courte liste d’objectifs. Au-delà de la condition sine qua non de la sécurité au niveau des rues, cela comprend : une réforme constitutionnelle et un référendum ; des élections nationales ; et des politiques qui dynamisent l’économie et répondent à la crise humanitaire » (voir l’article de Georges Fauriol, « Quatre questions qui pourraient déterminer l’avenir d’Haïti », United Stetes Intitute of Peace, 21 novembre 2024).

 

Et voici que récemment l’ONU elle-même a récidivé et entonné à son tour le mantra fabuleux d’un petit catéchisme bien rodé, celui des recettes « démocratiques » qui sous d’autres cieux ont mobilisé tant de bataillons de myopes et d’unijambistes : ils attendent encore, mutiques, LE miracle de la démocratie salvatrice sans savoir que l’ONU ne loge plus à la Rue des Miracles… Qu’à cela ne tienne, la plus récente succursale de l’ONU en Haïti, le BINUH, a conservé pieusement dans ses dossiers poussiéreux LA recette par laquelle Haïti verra enfin en 2024, 2025, 2026, 2030 ou 2050, le bout du tunnel. La « brillante théorisation » de LA recette du BINUH doit être lue avec la meilleure attention car elle pourrait être à l’origine de l’attribution du Prix Nobel de l’analyse politique à l’ONU : nous la citons longuement car elle est fort éclairante et elle permettra de mieux comprendre et de mettre en perspective le nouvel épisode de la saga constitutionnelle récemment inaugurée en Haïti par le « Groupe de travail sur la Constitution » mis en place par le « Comité de pilotage de la Conférence nationale » en vertu du décret du 17 juillet 2024 et avec la surprenante ( ? ) bénédiction du CPT, le Conseil présidentiel de transition

 

La remarquable prose du BINUH s’énonce comme suit : « C’est dans ce contexte, aggravé par l’impact de la pandémie de la COVID-19, qu’a repris, avec une intensité renouvelée ces dernières semaines, la polémique autour de la durée du mandat des élus. Cette controverse trouve son origine, entre autres, dans les ambiguïtés d’une constitution qui, produit de son époque, peine à refléter la réalité et les besoins d’un pays qui a évolué au cours des trois dernières décennies. Elle reflète également l’absence d’un conseil constitutionnel, seul apte à arbitrer de tels débats ; une illustration parmi d’autres des nombreux dysfonctionnements institutionnels qui paralysent l’action de l’État et le fragilisent davantage, avec de lourdes conséquences sur tous les aspects de la gouvernance du pays.

(…)

« Si le BINUH n’a aucunement vocation à se substituer aux institutions nationales dans l’interprétation de la Constitution, il considère toutefois que, dans un régime démocratique, les élections représentent la seule voie d’alternance au pouvoir et que les mandats qui en découlent doivent être respectés par tous les acteurs de la société. L’organisation périodique d’élections libres, crédibles et transparentes, conformément aux échéances fixées par une constitution, garantissent le pluralisme politique et les libertés fondamentales consacrés dans les instruments internationaux ratifiées par Haïti. Leur tenue constitue un pilier essentiel de la démocratie et est indispensable à la désignation de dirigeants légitimes et représentatifs.

(…)

« Malgré ses effets néfastes sur l’ensemble de la vie nationale, la crise actuelle offre au pays une opportunité unique d’initier un cercle vertueux en rebâtissant des fondations solides et durables et en s’attaquant à l’un des nœuds gordiens qui entravent la marche en avant du pays. Une réforme constitutionnelle profonde permettrait de remédier aux défaillances du système de gouvernance actuel et de créer des conditions plus propices à la stabilité institutionnelle, à la bonne gouvernance, et au respect de l’État de droit ; trois caractéristiques plus que jamais indispensables à l’essor du pays. Alors que des interprétations différentes du dispositif constitutionnel alimentent le débat, la nécessité d’une réforme de la charte constitutionnelle fait l’objet d’un large consensus au sein de la société haïtienne. Il appartient donc aux différents acteurs de surmonter leurs différends afin de parvenir à un terrain d’entente permettant de la réaliser. Haïti a besoin que toutes ses forces vives soient fédérées pour le bien du pays et de sa population, et que les prochaines élections soient caractérisées par une participation active et responsable de tous. Les Nations Unies en Haïti renouvellent leur engagement pour la promotion de concertations consensuelles tendant à l’accomplissement d’un cadre constitutionnel rénové, partagé et fédérateur. Nous nous tenons prêts à appuyer les institutions nationales et les différents acteurs dans l’organisation d’élections crédibles, transparentes et inclusives, contribuant à un retour à la normalité institutionnelle dans un climat apaisé » (source : « La réforme constitutionnelle - Une opportunité pour relancer le pays », site du BINUH, le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti, 15 juin 2020).

 

C’est donc dans un tel environnement et sous le ciel anxieux d’Haïti que deux instances nationales se sont mises à la manœuvre pour écrire le nouveau chapitre de la corrida constitutionnelle haïtienne. Ces instances nationales sont la « Conférence nationale » et le « Groupe de travail sur la Constitution », qui acheminent depuis quelques jours à divers organismes de la société civile haïtienne un « Document de cadrage sur la question constitutionnelle ». La lettre de couverture accompagnant ce document mentionne explicitement l’objectif politique de la « Conférence nationale » et du « Groupe de travail sur la Constitution » : « Mis en place par le Comité de pilotage de la Conférence nationale, en vertu du décret du 17 juillet 2024, le Groupe de travail sur la Constitution (GTC) a pour mission de proposer une révision constitutionnelle qui tiendra compte de l’avis des forces vives du pays notamment les éducateurs et professeurs d’Université ». À la page 6 du « Document de cadrage sur la question constitutionnelle », il est précisé ce qui suit : « À la fin de la transition, l’ambition de cet effort est de remettre un grand livre comprenant une nouvelle Constitution, un ensemble de lois pour l’accompagner et une vision d’avenir pour Haïti ».

 

Vaste programme, on l’aura compris : en un temps record, la fière Haïti sera dotée d’« un grand livre comprenant une nouvelle Constitution [et] un ensemble de lois pour l’accompagner ». Par contre, rien n’indique, dans la lettre de couverture accompagnant le « Document de cadrage sur la question constitutionnelle », que les descendants des Pères de la Patrie recevront --en même temps que la majorité des locuteurs unilingues créolophones du pays--, de si exceptionnels documents rédigés dans leur langue maternelle et usuelle, le créole… Car les documents en provenance du Groupe de travail sur la Constitution sont rédigés uniquement en français et le service de traduction du Groupe de travail sur la Constitution semble avoir été placé en coma artificiel dans ses locaux situés Rue des Pas perdus, à l’angle du Boulevard des illusions… Qu’à cela ne tienne, le Groupe de travail sur la Constitution ne s’embarrasse pas des prescrits de la Constitution de 1987 qui pourtant est toujours en vigueur : il viole sans états d’âme les articles 5 et 40 de notre Charte fondamentale alors même qu’il prétend instituer un État de droit qui sera administré sous le régime d’« un ensemble de lois »…

 

L’on observe d’entrée de jeu que les promoteurs de cette énième corrida constitutionnelle semblent s’orienter vers deux directions différentes. D’une part, en référence au décret du 17 juillet 2024, il s’agirait selon la lettre de couverture de proposer une révision constitutionnelle et, d’autre part, il s’agirait de « remettre un grand livre comprenant une nouvelle Constitution ». L’on navigue ainsi entre deux visions différentes de la corrida constitutionnelle --mais dans la mesure où c’est le « Document de cadrage » et non la lettre de couverture qui tient lieu de document officiel, le véritable objectif de cette initiative consigné à la page 6 du « Document de cadrage » est bel et bien de « remettre un grand livre comprenant une nouvelle Constitution ». Nous verrons plus loin, dans le déroulé du présent article, que d’une simple révision constitutionnelle à l’élaboration d’une nouvelle « Constitution », se posent de brûlantes questions relatives à la légitimité constitutionnelle et politique aussi bien de la démarche annoncée que celle des personnes nommées pour la mettre en œuvre.

 

Ce « Document de cadrage » de 84 pages a été rédigé comme nous l’avons précédemment signalé uniquement en français, en violation de l’article 40 de la Constitution de 1987 qui fait obligation à l’État haïtien de diffuser tous ses documents dans les deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le créole et le français. Ce « Document de cadrage » est distribué par les soins empressés de l’ancien député de Pétion-Ville Jerry Tardieu, coordonnateur du « Groupe de travail sur la Constitution », et de Enex Jean-Charles, président du « Comité de pilotage de la Conférence nationale ». Nommé par décret portant la signature de Jocelerme Privert, Président provisoire à l’époque, Enex Jean-Charles a été Premier ministre d’Haïti du 28 mars 2016 au 21 mars 2017. Il y a lieu de signaler que le « Document de cadrage » comprend à la page 14 un copieux CV professionnel et politique de Enex Jean-Charles, mais c’est à d’autres sources documentaires qu’il faut puiser pour bien situer les ramifications des réseaux politiques du « poulain » de Jocelerme Privert qui est passé à l’Histoire comme étant le champion d’une catégorie de marathon politique exceptionnellement rare : cet ancien Président d’Haïti par intérim a été l’objet de sanctions imposées par le Canada et il a bénéficié d’un mandat d’inculpation émis par le juge Al Duniel Dimanche à son encontre (voir l’article « Jocelerme Privert minimise les sanctions du Canada et dénonce le caractère illégal du mandat d’inculpation émis à son encontre », Le Nouvelliste, 5 janvier 2024).

 

Quant à lui Jerry Tardieu est un vieux routier de l’éternelle et compulsive saga des tentatives de « réforme » et de « révision » de la Constitution de 1987. La presse, en Haïti et en dehors d’Haïti, s’est fait l’écho de cette éternelle et compulsive saga comme en témoigne un article du Nouvelliste daté du 8 janvier 2019, « Pour une nouvelle Constitution à travers des amendements », le député Jerry Tardieu assume ». En voici un extrait : « Présidant la commission à la Chambre des députés ayant déjà formulé et présenté une trentaine de propositions d’amendement de la Constitution adoptée depuis 1987 en Haïti, Jerry Tardieu évoque un travail ambitieux, requérant un changement de régime, du moins un système qui arrive à terme. Ce mardi, sur le plateau de l’émission « Haiti sa k ap kwit » sur Télé 20, l’élu de Pétion-Ville affirme que les commissaires cherchent une nouvelle Constitution à travers les amendements ».

 

Le « Document de cadrage sur la question constitutionnelle » comprend à la page 84 une « Postface » ayant l’allure d’une justification ante-mortem et d’une recherche de légitimité prénatale dont les auteurs du document ne semblent pas être porteurs : d’où la référence à feu Cary Hector qui, étant décédé, ne peut se prononcer sur l’éventuelle instrumentalisation de ses travaux par le PHTK néo-duvaliériste à des fins politiques. D’où la référence, également, à Claude Moïse, dont l’état de santé ces derniers temps pourrait lui valoir de ne pas pouvoir se prononcer sur l’éventuelle instrumentalisation de ses travaux par le PHTK néo-duvaliériste à des fins politiques… On l’aura compris, dans toutes les tentatives de « révision » ou « d’amendement » constitutionnel des douze dernières années, le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste était à la manœuvre, rejoignant ainsi les frauduleuses et inconstitutionnelles tentatives ayant précédé l’arrivée des autoproclamés « bandits légaux » au pouvoir en Haïti. Jerry Tardieu, le preux chevalier des épopées constitutionnelles, n’a-t-il pas affirmé que « les commissaires cherchent une nouvelle Constitution à travers les amendements » ?

 

Une compulsive quête de légitimité politique

 

Car se réclamer de Cary Hector et, surtout, de Claude Moïse dès l’ouverture de la nouvelle corrida constitutionnelle pose d’emblée la brûlante question de la légitimité politique des nouveaux chevaliers « réformateurs » ou, plus justement, « révisionnistes ». Par qui ont-ils été nommés ? Ceux qui les ont nommés étaient-ils eux-mêmes détenteurs d’une quelconque légitimité politique ? L’on observe que le pays haïtien a fini par « normaliser » sa gouvernance politique dans la plus totale inconstitutionnalité puisque le Parlement, dans un premier temps amputé par les « bandits légaux » du PHTK néo-duvaliériste, a été dans un second temps installé dans un régime de coma éternel, ce qui privé le Parlement de toute mission de contrôle de l’action gouvernementale tel que prévu par la Constitution de 1987. Cela pourrait sembler paradoxal mais il n’en est rien : les preux chevaliers qui « cherchent une nouvelle Constitution à travers les amendements » sont ceux-là même qui, dans leurs formations politiques respectives, n’ont pas appliqué la Constitution de 1987 ou l’ont violée à tour de bras.

 

La référence à Claude Moïse semble donc incontournable avec la nouvelle mouture de la corrida constitutionnelle baptisée « Document de cadrage sur la question constitutionnelle ». Le réputé site Web hébergé à l’Université du Québec à Chicoutimi, « La bibliothèque numérique francophone », mieux connue sous l’appellation « Les Classiques des sciences sociales », présente comme suit l’universitaire Claude Moïse auteur de l’ouvrage « Les trois âges du constitutionnalisme haïtien. Indépendance, occupation étrangère, démocratie : rupture et continuités » (Éditions Cidihca-France, 2020) : « Claude Moïse, historien et analyste politique. Membre d’honneur de la Société haïtienne d’histoire et de géographie, membre du comité scientifique de la Chaire Louis-Joseph-Janvier sur le constitutionnalisme en Haïti (Université Quisqueya). Claude Moïse a fait des constitutions haïtiennes le champ privilégié de son travail d’historien. On lui doit une active contribution aux débats sur la question constitutionnelle (1997, 2007, 2015) et aux travaux de commissions sur la réforme constitutionnelle (2007, 2009, 2017). De ses nombreuses publications on relève : « Constitutions et luttes de pouvoir en Haïti » ; T.1 « La faillite des classes dirigeantes, 1804-1915 », Montréal, CIDIHCA, 1988 ; T.2 « De l'occupation étrangère à la dictature macoute, 1915-1987 », Montréal, CIDIHCA, 1990 ; « Une Constitution dans la tourmente », Montréal, Les Éditions Images, 1994 ; « Le pouvoir législatif dans le système politique haïtien. Un aperçu historique », CIDIHCA, Montréal, 1999 ». (…) Enseignant à la retraite, ancien éditorialiste en chef du quotidien haïtien Le Matin (2004-2008), Claude Moïse a été représentant d’Haïti au Conseil exécutif de l’UNESCO (2009-2011) ». Claude Moïse est également l’auteur de
« Les trois âges du constitutionnalisme haïtien. Indépendance, occupation étrangère, démocratie : rupture et continuités » paru en 2020 aux Éditions du Cidihca-France ».

 

La compulsive quête de légitimité politique des auteurs du « Document de cadrage sur la question constitutionnelle » s’étend jusqu’à la « Postface », qui se lit comme suit :

 

« La rédaction de la partie I de ce document de cadrage s’inspire en partie du Rapport Moise – Hector publié en 2009. Ce rapport est baptisé du nom de ses deux géniteurs, feu Cary Hector, politologue, et ancien directeur exécutif du Comité scientifique de la Chaire Louis Joseph Janvier sur le constitutionnalisme en Haïti, et Claude Moïse, historien, titulaire de ladite Chaire. La rédaction de la partie II du document reprend en partie les travaux de Me Rose-Berthe Augustin dans son document intitulé « Analyse et synthèse comparative de trois rapports d’État offrant des propositions pour amender ou changer la constitution haïtienne ». [Rose-Berthe Augustin] est avocate, inscrite au Barreau de Port-au-Prince, conseillère de l’Ordre ». Ce que ne révèle pas cette « Postface » est à chercher dans les convulsions claniques ayant marqué le règne des autoproclamés « bandits légaux » du PHTK néo-duvaliériste et dans ce qui est déjà perçu en Haïti, à savoir les douteuses accointances politiques de l’actuel CPT (le Conseil présidentiel de transition) avec plusieurs des « intellectuels serviles » de l’ère PHTKiste, en particulier Louis Naud Pierre, le principal rédacteur et propagandiste de la « Constitution » néo-duvaliériste de Jovenel Moïse en 2021. La presse en Haïti a bien noté la « bromance » qui semble avoir débuté entre les « coquins requins » du PHTK (ce néologisme est emprunté d’un brillant intellectuel haïtien) et le CPT : « Le Conseil présidentiel de transition (CPT) s’est entretenu ce mardi 25 juin 2024 avec l'ancien député Jerry Tardieu et le professeur Louis Naud Pierre. Conférence nationale et réforme constitutionnelle ont été au cœur de cette rencontre. La Conférence nationale et la réforme constitutionnelle font partie des cinq chantiers des nouvelles autorités du pays. C’est en ce sens qu’une rencontre a été organisée entre le Conseil présidentiel de transition représenté par Smith Augustin, l’ex député Jerry Tardieu ainsi que le professeur Louis Naud Pierre. Selon un communiqué officiel de la présidence, les axes de discussion concernaient la consultation sur la mise en place du comité de pilotage, un comité qui sera chargé de superviser l'ensemble du processus de réforme constitutionnelle, assurant une représentation équilibrée de toutes les parties prenantes. Aussi, les étapes devant mener à une nouvelle constitution. Dans cette partie des échanges, « les intervenants ont discuté des différentes phases nécessaires, allant de la consolidation des travaux déjà effectués à la consultation populaire après la rédaction finale d’une nouvelle constitution en passant par des ateliers de travail et des débats nationaux. Cette réunion marque un pas important vers la relance du dossier de la réforme constitutionnelle et de la conférence nationale comme un projet national qui se veut inclusif et participatif répondant ainsi  aux besoins et aux attentes du peuple haïtien », précise le communiqué de presse » (voir l’article « Conférence nationale et réforme constitutionnelle au cœur d’une rencontre entre le conseil présidentiel, Jerry Tardieu et Louis Naud Pierre », Gazette Haiti News, 25 juin 2024). 

 

La compulsive quête de légitimité politique des auteurs du « Document de cadrage sur la question constitutionnelle » est engluée dans la plus totale inconstitutionnalité : l’on observe qu’elle rejoint, en une sorte de valse des myopes et des unijambistes, celle de l’actuel CPT (le Conseil présidentiel de transition) qui, lui non plus, n’est détenteur d’aucune légitimité politique issue d’élections démocratiques. Dans cette partie de poker menteur, la population haïtienne, abandonnée par le pouvoir exécutif et soumise à la terreur des gangs, continue de faire les frais de la plus macabre « nuit vorace » qui n’est pas sans rappeler la mitraille mortifère de Fort-Dimanche campée avec grand art par la cinéaste montréalaise d’origine haïtienne Maryse Legagneur dans son magnifique long métrage « Le dernier repas ».

 

Il faut prendre toute la mesure que les membres du Conseil présidentiel de transition ont juré de respecter et de faire respecter la Constitution de 1987 alors même qu’ils visent cette Constitution dans tous leurs actes. Aussi, le fait d'engager un processus de révision ou de changement constitutionnel sans respecter le titre XIII de la Constitution de 1987 est un parjure, une violation de leur serment. L'article 21 de la Constitution de 1987 considère comme un acte de « haute trahison » la violation de la Constitution par ceux chargés de la faire respecter. La « haute trahison » est punie de travaux forcés à perpétuité sans commutation de peine (article 21.1 de la Constitution de 1987).  Le processus de révision constitutionnelle tel qu’annoncé dans le « Document de cadrage sur la question constitutionnelle » est donc vicié et irrégulier. De plus, il est illégitime et non démocratique, car le texte que l'on veut faire approuver, par referendum ou autrement, ne sera pas élaboré par des représentants élus du peuple dans une Assemblée constituante, mais par des personnes nommées par un pouvoir illégitime non issu d'élections. De plus, ces pseudos constituants, nommés par un pouvoir illégitime, ne disposent d'aucune véritable expertise dans le domaine constitutionnel. Nous sommes donc en présence d'un processus irrégulier, illégitime et d'un déficit d'expertise dans le domaine constitutionnel. 

 

La Constitution de 1987 dans les filets d’une ample « industrie de l’arnaque de la révision constitutionnelle »

 

En vertu du principe de la hiérarchie des lois, la Constitution haïtienne de 1987 se trouve au sommet de l’édifice juridique haïtien et toute loi, tout traité, toute convention internationale, tout document officiel de la République d’Haïti –y compris le « Document de cadrage sur la question constitutionnelle »--, doit s’y soumettre. À défaut d’appliquer les prescrits de la Constitution haïtienne de 1987, les différents régimes politiques qui ont gouverné le pays de 1987 à 2024 n’ont eu de cesse de diaboliser notre Charte fondamentale. Des politiciens de toutes allégeances, « experts » autoproclamés en Droit constitutionnel, ont rendu la première Constitution véritablement démocratique d’Haïti depuis l’Indépendance de 1804, responsable de tous les maux du pays et ils lui ont cousu l’étiquette infamante de « mère de tous les maux de la Patrie ». Le site de la Digithèque MJP passe en revue ce que certains observateurs dénomment l’« instabilité de l’ordre constitutionnel haïtien ». Ainsi, « L'ordre constitutionnel haïtien est remarquablement instable. Les Haïtiens ont su rédiger et appliquer, souvent brièvement, 23 constitutions, soit plus que les Français : 1801, 1805, 1806, 1807, 1811, 1816, 1843, 1846, 1849, 1867, 1874, 1879, 1888, 1889, 1918, 1932, 1935, 1946, 1950, 1957, 1964, 1983, 1987. Ils ont aussi connu une monarchie (1811), deux empires (1805 et 1849) et ils ne comptent pas leurs républiques. Toutefois, il convient de remarquer que la plupart des articles sont recopiés d'une Constitution à l'autre, le changement de Constitution, généralement opéré par la violence, s'apparente ainsi, le plus souvent à une révision de la Constitution précédente » (voir le site Web « Digithèque de
matériaux juridiques et politiques
 
», Université de Perpignan).

 

L’alléguée « instabilité de l’ordre constitutionnel haïtien » n’est en aucun cas une fatalité, elle ne provient pas, il faut le souligner, des textes constitutionnels en eux-mêmes : elle est générée par la volonté des différents régimes et pouvoirs politiques de ne pas les appliquer, de les appliquer « à la carte » en les instrumentalisant et, surtout, en les contournant et en les neutralisant par toutes sortes de manœuvres dilatoires et de marchandages mafieux. Au fil des ans, les politiciens haïtiens de toutes allégeances ont ainsi « normalisé » un dispositif langagier –la « fabrique du consentement politique »--, populiste dans certains contextes ou à prétention « savante » dans d’autres contextes pour accréditer l’idée de la prétendue « inefficacité » ou de la pseudo « inapplicabilité » de la Constitution de 1987. Instiller l’idée et faire croire à la population que la Constitution de 1987 est « inefficace » et « inapplicable » c’est réitérer sa mise en coma chronique en attendant qu’une salvatrice « réforme » ou un miraculeux « amendement » vienne absoudre tous les… « péchés constitutionnels » que comprend la Charte fondamentale de 1987. Il est à cet égard symptomatique que le dispositif langagier –la « fabrique du consentement politique »--, soit le même d’une tentative de « réforme » constitutionnelle à l’autre : les diverses entreprises de « révision » constitutionnelle ou d’« amendement » constitutionnel, au fil des ans, comportent toutes le même ADN : il s’agit de procéder à la neutralisation politique de la Constitution de 1987 puis d’œuvrer à la remplacer par un texte constitutionnel de nature hyperprésidentialiste porteur d’un « projet de société » très éloigné des valeurs républicaines qui cimentent la Constitution de 1987 et garantissent la plénitude des droits citoyens. L’on observe, ainsi, que la plus récente corrida d’« amendement » constitutionnel durant la présidence du populiste René Préval a été le lieu d’intenses manœuvres politiciennes et de trafics en tous genres, et qu’elle a abouti au final à une ample partie de poker menteur au début de la présidence du clown misogyne Michel Martelly, le caïd-en-chef du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste. Cela a valu le « vote »… inconstitutionnel d’une soi-disant « Constitution amendée », de sorte que dans le paysage juridique et constitutionnel actuel il subsiste deux textes constitutionnels : celui de 1987 voté dans les deux langues officielles du pays et sa copie trafiquée votée dans une seule langue officielle, la dénommée « Constitution amendée »…

La corrida de la « réforme » constitutionnelle a connu d’autres épisodes tout aussi tortueux et obscurs. Ainsi, « Le texte [constitutionnel] en vue d’une réforme de la Constitution haïtienne, soutenue par le premier ministre [Ariel Henry], a été publié mercredi à l’heure où le pays reste plongé dans une crise politique profonde suite à l’assassinat, le 7 juillet [2021], du président Jovenel Moïse. (…) Le document prévoit la suppression du poste de premier ministre au profit de la création d’un vice-président, élu en même temps que le président dans un suffrage à un seul tour. Cette disposition permettrait à Haïti d’éviter la paralysie de l’action gouvernementale : à chaque changement de cabinet, l’approbation de la politique générale du premier ministre par le pouvoir législatif a toujours été l’objet de longues tractations avec les députés et sénateurs. (…) Plébiscité par le président assassiné, Jovenel Moïse, un référendum est prévu à l’agenda électoral pour le 7 novembre mais dès 2020 la procédure avait soulevé des critiques, car elle était accusée de ne pas respecter les dispositions de l’actuelle Constitution. Rédigé en 1987, après la chute de la dictature des Duvalier, le texte en vigueur déclare que « toute consultation populaire tenant à modifier la Constitution par voie de référendum est formellement interdite » (voir l’article « Haïti. Le pays se dirige vers une réforme de sa constitution », La Presse, Montréal, 8 septembre 2021).

Le dispositif langagier –la « fabrique du consentement politique » destiné à accréditer l’idée de la prétendue « inefficacité » ou de la pseudo « inapplicabilité » de la Constitution de 1987--, joue le rôle de « préparateur de terrain » et de domestication des esprits dans le « Document de cadrage sur la question constitutionnelle ». Nous reviendrons brièvement là-dessus dans le déroulé du présent article. Pour l’heure il s’agit surtout pour les nouveaux promoteurs d’une énième tentative de « réforme » constitutionnelle, en une sorte de « mache prese  », de profiter de l’actuelle balkanisation du pouvoir d’État pour faire aboutir le projet toujours en embuscade, celui du parachutage d’une nouvelle « Constitution » porteuse de garanties d’impunité pour les « caïds à cravate » de l’écosystème du PHTK qui ont écumé les caisses de l’État et fait fortune dans des trafics en tous genres, y compris le commerce de la drogue et des armes à feu auxquels ont été mêlés de grosses pointures du PHTK néo-duvaliériste et le secteur mafieux de la bourgeoisie compradore traditionnelle. NOTE – La lettre de couverture signée par Jerry Tardieu et Jean Enex Charles précise, « au bénéfice de l’urgence », que les destinataires du « Document de cadrage sur la question constitutionnelle » doivent impérativement « fournir les recommandations » des institutions sollicitées « avant le 22 décembre 2024 », alors même que ces institutions n’ont reçu ce document qu’au début du mois de décembre 2024… Cela donne une idée de la « qualité » et de l’étendue des « échanges » préconisés par le « Groupe de travail sur la Constitution » : l’art du « babouket » duvaliériste sous couvert d’échanges « transparents et démocratiques »… Autrement dit, donner l’illusion aux institutions sollicitées qu’elles sont écoutées alors même que la « fabrique du consentement politique » a déjà mis en route l’habituel et vieux scénario des politiciens traditionnels : à marche forcée, tenter de parachuter la nouvelle « Constitution » d’inspiration duvaliériste avec, en son centre, l’« hyperprésidentialisme » et les garanties d’impunité pour les « ayants droit » du cartel politico-mafieux du PHTK.

 

Au chapitre du commerce de la drogue et des armes à feu ainsi qu’au rayon du financement des gangs armés plus ou moins liés au PHTK néo-duvaliériste, il est utile de rappeler que l’ancien Premier ministre d’Haïti Laurent Lamothe –lui aussi fervent promoteur de LA réforme » constitutionnelle »--, a été lourdement sanctionné par le Canada : « L'ancien premier ministre haïtien Laurent Lamothe, se disant « victime » d'être injustement sanctionné par le Canada qui le juge complice des gangs en Haïti, accuse Ottawa de se baser sur « des recherches Google » et de s'être « mal renseigné » avant de le cibler. (…) M. Lamothe affirme avoir été, durant son mandat de premier ministre, de 2012 à 2014, le cauchemar des bandes criminelles et avoir conservé la même posture après. Celui qui a été membre du gouvernement de l'ancien président Michel Martelly, aussi sanctionné par le Canada, estime qu'Haïti ne faisait face ni à des problèmes d'essor des bandes criminelles ni à de l'insécurité durant son implication politique. Selon lui, tous les chefs de gangs étaient en prison » (« Un ex-Premier ministre haïtien sanctionné dit qu’Ottawa s’est « mal renseigné », Radio-Canada, 9 mars 2023).

 

L’observation attentive des faits fournit pourtant un tout autre éclairage.

 

Un premier exemple : il ne faut pas perdre de vue que la morte-née « Constitution » de Jovenel Moïse d’inspiration duvaliériste et principalement rédigée par l’un des « intellectuels serviles » du PHTK néo-duvaliériste, Louis Naud Pierre, comportait en son centre le retour de l’hyper-présidentialisme adossé à une déperdition du pouvoir de contrôle de l’action gouvernementale par le Parlement. Les meilleurs analystes au pays ont fustigé un tel retour programmé du tontonmacoutisme à la direction du pouvoir exécutif et démontré que ce n’est pas le texte constitutionnel de 1987 qui, en soi, était générateur de crise politique mais plutôt le fait qu’il s’opposait aux manœuvres des clans politiques en lutte pour l’hégémonie du pouvoir d’État.

 

Un second exemple : alors même que la Constitution de 1987 prévoit la mise sur pied du Conseil électoral permanent, les clans politiques en lutte pour l’hégémonie du pouvoir d’État ont manœuvré de 1987 à 2024 pour qu’il ne soit pas érigé. Un Conseil électoral provisoire est plus facilement instrumentalisable et manipulable, il peut donner lieu à toutes sortes de marchandages mafieux et être le temple de trafics en tous genres, y compris le blanchiment d’argent et le détournement des fonds alloués par la vertueuse coopération internationale déversant ses millions de dollars au nom d’un tout oeucuménique « appui au processus électoral ». Il y a lieu, à ce chapitre, de revoir entre autres le dossier de l’appui du Canada consigné sur le site officiel du gouvernement du Canada. Ce dossier s’intitule « Profil de projet — Appui à la transition électorale - Appui au processus électoral Haïti ». Il est ainsi résumé :

 

Numéro de projet

CA-3-A034212002

Contribution maximale

15 500 000 $

Profil du partenaire

PNUD - Programme des Nations Unies pour le développement - Haïti (41114)

Dates de début et de fin

2010-09-08 - 2017-09-19

Statut du projet

Fermé

Ministère responsable

Affaires mondiales Canada

Centre de responsabilité / programme 

NGM Amériques

 

Le « Document de cadrage sur la question constitutionnelle » dispose-t-il d’une légitimité constitutionnelle pour solliciter des « avis », des « recommandations » et, surtout, la « participation » des institutions de la société civile à son action ?

Le cadre constitutionnel actuel –la Constitution de 1987--, prévoit que seul le Parlement a le pouvoir légal d’initier et d’adopter des amendements constitutionnels

Pour poursuivre la réflexion analytique contenue dans le présent article et fournir des balises sûres à la brève analyse critique du « Document de cadrage sur la question constitutionnelle », il est utile de (re)lire un texte fort éclairant paru le 7 décembre 2024 sur le site Rezonòdwès. Ce texte n’est pas signé, ce qui veut dire qu’il constitue la position éditoriale de Rezonòdwès. Il s’intitule « L’ex-parlementaire Jerry Tardieu s’adresse à la Chambre de commerce haïtiano-américaine au sujet de la nouvelle Constitution haïtienne violant impunément l’article 284 » [de la Constitution de 1987]. L’éclairage analytique contenu dans ce remarquable éditorial de Rezonòdwès confirme le caractère illégal et inconstitutionnel de la démarche initiée par les auteurs du « Document de cadrage sur la question constitutionnelle » ainsi que l’absence de légitimité du projet de parachutage d’une nouvelle « Constitution » doublé de l’absence de légitimité des « missionnaires » PHTKistes regroupés dans le « Comité de pilotage de la Conférence nationale et dans le « Groupe de travail sur la Constitution ». Il y a lieu de rappeler que le Conseil présidentiel de transition --qui a officiellement adoubé la démarche du « Comité de pilotage de la Conférence nationale et du « Groupe de travail sur la Constitution »--, souffre lui aussi d’une totale absence de légitimité constitutionnelle au même titre que les « missionnaires » PHTKistes. Voici les trois premiers paragraphes de l’éditorial de Rezonòdwès : 

 

« La Constitution haïtienne de 1987 prévoit des procédures précises pour l’amendement de la Constitution, en conférant exclusivement aux parlementaires en exercice le pouvoir d’initier et de mener à bien ce processus. Selon l’article 282 de la Constitution, l’amendement doit être proposé par l’une des deux chambres du Parlement et adopté à la majorité des deux tiers de chaque chambre. L’article 284 stipule que l’amendement ainsi adopté doit être ratifié par la législature suivante, également à la majorité des deux tiers de chaque Chambre. Ces dispositions visent à garantir que toute modification de la Charte fondamentale soit le résultat d’un consensus parlementaire, reflétant la volonté du peuple à travers ses représentants élus.

« Dans ce contexte, la formation du Groupe de travail sur la Constitution (GTC), coordonné par l’ancien parlementaire Jerry Tardieu, remet en question sa légitimité constitutionnelle. Bien que la mission du GTC soit de proposer une révision de la Constitution en consultant divers secteurs de la société civile, le cadre constitutionnel actuel prévoit que seul le Parlement a le pouvoir légal d’initier et d’adopter des amendements constitutionnels.

« De plus, la Constitution de 1987 interdit explicitement l’organisation de référendums sur des questions constitutionnelles. L’article 284.3 stipule que « toute consultation populaire visant à modifier la Constitution par voie de référendum est formellement interdite ». Le projet du GTC de soumettre ses propositions de révision à un référendum contredit directement cette disposition constitutionnelle ».

Le présent article examine brièvement les éventuelles préconisations du « Document de cadrage sur la question constitutionnelle » sur les registres suivants : (1) le droit à l’éducation conformément à l’article 32 de la Constitution de 1987 ; (2) l’impératif d’une politique linguistique éducative conformément aux articles 5, 32 et 40 de la Constitution de 1987 ; (3) l’impératif d’une politique nationale encadrant l’élaboration d’outils didactique en vue de l’aménagement du créole, aux côtés du français, dans le système éducatif national.

PREMIÈRE REMARQUE – Placée au sommet de l’édifice juridique d’Haïti, la Constitution de 1987 ne prévoit aucun régime d’exception permettant par exemple, pour des raisons dites exceptionnelles, de poser des actes exceptionnels ou de gouverner l’État haïtien à coup de mesures dites exceptionnelles.

DEUXIÈME REMARQUE – En lien avec la première remarque, sont totalement inconstitutionnels et illégaux : le Décret du 17 juillet 2024 (publié dans Le Moniteur numéro 36, 19 juillet 2024), le « Comité de pilotage de la Conférence nationale », la « Conférence nationale », le « Groupe de travail sur la Constitution » et le « Document de cadrage sur la question constitutionnelle ».

TROISIÈME REMARQUE - Dénués de mandat électif, dénués de légitimité politique et de légitimité constitutionnelle, Jerry Tardieu et Enex Jean-Charles occupent illégalement et inconstitutionnellement des fonctions politiques elles-mêmes illégales : leurs « travaux » et leurs éventuelles futures « recommandations » dans le dossier de la « réforme » ou de la « révision » constitutionnelle seront donc nulles et non avenues.

QUATRIÈME REMARQUE - Des éléments d’information relatifs au CV de Jerry Tardieu sont consignés dans le « Document de cadrage sur la question constitutionnelle » cité plus haut. À la page 12 de ce document, Jerry Tardieu se dit détenteur d’une licence en gestion de l’« Université européenne de Bruxelles » : cette présumée licence, dont la date d’obtention n’est pas précisée, aurait-elle été obtenue en présentiel ou en ligne ? Et si oui, en quelle année ? Au terme d’une rigoureuse recherche documentaire, nous n’avons trouvé nulle trace d’une institution belge dénommée « Université européenne de Bruxelles » : l’ex député de Pétion-Ville se serait-il trompé sur la dénomination de l’institution ? Une institution universitaire belge porte une dénomination plus ou moins proche de celle mentionnée par Jerry Tardieu, il se pourrait donc qu’il se soit trompé. Fondé en 1963 au sein de l'Université libre de Bruxelles (ULB), l’Institut d'études européennes (IEE), est l'un des plus anciens instituts de recherche et d'enseignement sur la construction européenne. Les recherches supplémentaires que nous avons menées auprès du ministère belge de l’Éducation attestent toutefois que l’« Université européenne de Bruxelles » n’existe pas… S’agit-il d’un bluff, d’une fausse information volontairement introduite dans le CV de l’ex député de Pétion-Ville ? Jerry Tardieu serait-il un affabulateur doublé d’un fraudeur lorsqu’il invente de toutes pièces une institution universitaire belge qui n’a jamais existé ? Sur le registre de l’éthique politique, ces questions ne sont pas anodines et elles doivent être posées et il appartient à Jerry Tardieu d’y répondre et de démontrer qu’il n’a commis aucune fraude intellectuelle et académique… Cela permettra à l’avenir de répondre adéquatement à la question de savoir si Jerry Tardieu est crédible sur le plan politique…

 

Heurts et malheurs de la nouvelle corrida constitutionnelle : le « dispositif du consentement politique » au cœur du « Document de cadrage sur la question constitutionnelle » 

 

Le « Document de cadrage sur la question constitutionnelle » comprend à la page 4 un chapitre intitulé « En guise d’introduction : le mot du coordonnateur du GTC », Jerry Tardieu, coordonnateur du Groupe de travail sur la Constitution. Il précise ce qui suit :

 

« C’est ainsi que j’ai engagé des discussions avec les responsables de la Faculté de Droit et des sciences économiques (FDSE) de l’Université d’État d’Haïti (UEH) et la Conférence des recteurs, présidents d’universités et dirigeants d’institutions d’enseignement supérieur haïtiennes (CORPUHA). Je me réjouis que ces deux entités aient accepté d’intégrer le Groupe de travail sur la Constitution et y sont représentées au plus haut niveau respectivement par le doyen de la FDSE Me Eugène Pierre-Louis et le professeur Jean-Robert Charles. L’implication directe et active des universités publiques et privées dans les travaux sur la révision constitutionnelle est importante pour le pays à ce tournant décisif de son histoire ». Le coordonnateur du Groupe de travail sur la Constitution, Jerry Tardieu, fournit d’utiles informations sur sa composition : « Parallèlement à l’Université, l’Ordre des avocats de Port-au-Prince est également représenté dans le Groupe de travail sur la Constitution à travers son bâtonnier Me Patrick Pierre-Louis qui apporte son expertise exceptionnelle et sa connaissance du droit constitutionnel. À ces personnalités viennent s’adjoindre d’autres experts, Enex Jean-Charles qui a été Secrétaire exécutif de la Commission présidentielle ayant travaillé sur le dossier de la constitution en 2009 ; Dr Louis Naud Pierre Louis qui a été successivement Secrétaire exécutif des États généraux sectoriels de la nation (EGSN) et du Comité consultatif indépendant (CCI) ayant travaillé sur le projet de nouvelle constitution en 2020 ; Joseph Guerdy Lissade, avocat du Barreau de Port-au-Prince et vice- président de la Société haïtienne d’histoire, de géographie et de géologie ; Me Norah Amilcar Jean-François est professeure de Droit à l’UEH, maître de conférences à l’École de la magistrature et fondatrice du chapitre haïtien de l’Association Internationale des femmes juges ; Kerlande Mibel , est une des figures les plus respectées de la diaspora haïtienne notamment pour son engagement citoyen en faveur de son alma mater, son leadership communautaire ; Claude Moïse qui sera le consultant senior du GTC dont l’ éclairage sur la question constitutionnelle sera précieux ». NOTE – Le coordonnateur du Groupe de travail, Jerry Tardieu, mentionne au seuil du « Document de cadrage » des « travaux sur la révision constitutionnelle » : comme nous l’avons souligné au début du présent article, selon la lettre de couverture accompagnant le « Document de cadrage », il s’agira de « proposer une révision constitutionnelle » et, d’autre part, de « remettre un grand livre comprenant une nouvelle Constitution ».

 

Le coordonnateur du Groupe de travail sur la Constitution, Jerry Tardieu, toujours dans son propos introductif, dresse les perspectives politiques et « constitutionnelles » placées au cœur du mandat défini dans le « Document de cadrage sur la question constitutionnelle » : « L’âpreté de la transition doit nous rappeler la brûlante nécessité de repenser MAINTENANT et ENSEMBLE le cadre de la gouvernance du pays, de clarifier les problèmes de structuration de l’État de droit en conformité avec certaines exigences de progrès social et de développement économique. L’accord pour une transition pacifique et ordonnée ouvre une brèche où nous pouvons établir de nouvelles règles du jeu démocratique mais dans le cadre d’une concertation nationale des secteurs. L’objectif de cette révision constitutionnelle doit faciliter désormais la cohabitation fluide des trois pouvoirs responsables, tout en cherchant à éviter deux écueils qui reviennent souvent dans notre histoire : la dilution improductive du pouvoir et la concentration excessive qui débouche sur un autoritarisme néfaste ».

 

Jerry Tardieu exprime comme suit les objectifs stratégiques et le rôle des « missionnaires » chargés de la mise en œuvre de ce qui est tantôt une « révision constitutionnelle » tantôt une « réforme constitutionnelle ». En voici l’énoncé : « Même si la réforme constitutionnelle prendra en compte l’avis des différents secteurs de la vie nationale, des balises claires doivent orienter les travaux vers une réforme qui respecte les acquis de la constitution de 1987. En effet, l’article 3 du décret sur la Conférence nationale définit les contours, fixe les limites et guide les travaux du Groupe de travail sur la Constitution. Il dispose que tout projet de nouvelle constitution doit :

 

  • Clarifier et rééquilibrer les pouvoirs de l’État dans leur organisation et leur fonctionnement.

 

  • Réaffirmer et consolider le caractère démocratique et républicain de l’État.

 

  • Préserver les acquis démocratiques et les aspirations au développement durable du peuple haïtien.

 

  • Garantir solennellement les droits fondamentaux de la personne humaine et exprimer clairement les droits et devoirs du citoyen.

 

  • Renforcer les mécanismes de l’État de droit.

 

  • Rationaliser et préciser la nature du régime politique.

 

  • Harmoniser les compétences des collectivités territoriales et renforcer l’édifice institutionnel à l’échelon local.

 

  • Prendre en compte l’évolution du contexte institutionnel, politique, économique, social et culturel du pays, ainsi que les efforts déployés pour réformer l’administration publique et l’État haïtien.

 

À la fin de la transition, l’ambition de cet effort est de remettre un grand livre comprenant une nouvelle Constitution, un ensemble de lois pour l’accompagner et une vision d’avenir pour Haïti ».

 

OBSERVATIONS – Le « Document de cadrage sur la question constitutionnelle », qui est lui-même un document illégal, comprend des généralités fourre-tout et des imprécisions notionnelles ainsi qu’une argumentation d’allure juridique qui peut séduire le lecteur lambda très peu habitué des procédés de la rédaction juridique. Le « Document de cadrage… » se réfère tantôt à la Constitution de 1987 tantôt à l’article 190 bis de la pseudo « Constitution de 1987 amendée » (page 24). Autrement dit, il se réfère à la fois à la Constitution de 1987 toujours en vigueur et à un document illégal et inconstitutionnel, la « Constitution de 1987 amendée » que plusieurs juristes-constitutionnalistes estiment ne pas être en vigueur en raison des fraudes ayant entouré sa rocambolesque adoption en version unilingue française. Il est utile de rappeler que « La Constitution haïtienne de 1987 a été en vigueur pendant 25 ans, mais a toujours fait l'objet d'un débat. Le processus de modification de celle-ci a été entamé en 2009 par l'ancien président René Préval. Il a toutefois fallu attendre plus d'un an pour voir la Constitution modifiée et publiée, le 20 juin 2012, avec l'autorisation de l'actuel président Michel Martelly. (…) Le processus d'amendement de la Constitution haïtienne a été entamé sous la présidence de René Préval. On y voyait une volonté manifeste d'assujettir tous les autres pouvoirs au pouvoir exécutif. Or, la révision de la Constitution, telle que prévue par celle-ci, est normalement du ressort du pouvoir législatif sur la proposition d'une des deux chambres, ou du pouvoir exécutif qui a le droit de déclarer s'il y a lieu de réviser. Il doit pour cela motiver clairement sa demande. La demande formulée par Préval a fait l'objet de vives critiques, car ses raisons ne semblaient pas justifiées. Nous ne pouvons dire que la procédure du président Michel Martelly fut la bonne, malgré le fait que la décision de publier la Constitution a reçu l'aval de la Cour de cassation, et que l'Assemblée nationale ait garanti l'authenticité du texte après des travaux de reconstitution impliquant des parlementaires, des représentants de la présidence et de la société civile. La modification du texte amendé de la Constitution de 1987, voté par l'Assemblée nationale et publié par le président Michel Martelly, reste considérée par certains comme « un crime d'État ». (…) À peine le texte publié, le président du Sénat, Dieuseul Simon Desras, mentionne qu'il manque une partie très importante du libellé de l'article 137. Cette omission est significative, car dans cet article de la Constitution on retire désormais au Parlement la prérogative de ratification du premier ministre » (source : « Perspectives Monde », « Haiti : polémique sur une Constitution modifiée », par Danièle Simo Mamche Octavia, École de politique appliquée, Faculté des lettres et sciences humaines,
Université de Sherbrooke, 15 octobre 2012). [ Voici quelques-unes des références citées dans cet article : ALTER PRESSE, « Haïti - Amendement de la Constitution : les inquiétudes de la Plate-forme des organisations haïtiennes des droits humains », [en ligne], 7 mai 2011 ; MORTIMÉ Antonal, « Haïti / Débat : Position de la POHDH sur le processus d'amendement de la Constitution de 1987 », [en ligne], 9 mai 2011 ; RESEAU LIBERTE, « Haïti - Constitution amendée : Martelly prêt à violer la loi-mère et risquer son mandat ? », [en ligne], 5 juin 2012 ; ALTER PRESSE, « Haïti - Conjoncture : changement de la Constitution ou l'amorce d'une nouvelle crise ? », [en ligne], 25 juin 2012.]

 

En guise de conclusion

 

Dans l’ensemble, le « Document de cadrage sur la question constitutionnelle » a indiscutablement été rédigé par des personnes dotées de certaines compétences minimales dans les domaines juridique et constitutionnel. Malgré cela, il s’en dégage une « philosophie » générale qui ouvre la voie à une hyperprésidentialisation du pouvoir exécutif –donc à une redéfinition de l’État lui-même, c’est-à-dire à une redéfinition des rapports institutionnels entre l’Exécutif, le législatif, le judiciaire et les instances organisées de la société civile. En cela, nous sommes en présence d’une rupture profonde d’avec les acquis majeurs de la Constitution de 1987 et il n’est pas anodin que le projet d’une nouvelle « Constitution » hyperprésidentialiste ait été porté, ces douze dernières années, par le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste architecte de la gangstérisation / criminalisation de l’État haïtien. C’est précisément le cartel mafieux du PHTK néo-duvaliériste, abouché à la faction mafieuse de la bourgeoisie compradore, qui a durablement démantibulé les institutions régaliennes de l’État haïtien et qui, dans ses juteuses transactions financières et sa « politique de proximité » avec les gangs armés, est à l’origine du chaos sécuritaire actuel en Haïti. L’État haïtien traditionnel et fortement centralisé est de nos jours en train d’imploser en plein vol et il est violemment assauté par les « États périphériques » constitués dans les zones de non-droit par les gangs armés qui ont su s’autonomiser par rapport à l’État central prédateur et antipopulaire. Dans un tel contexte, il est hautement illusoire et naïf de croire que le pays pourra mettre en route une « réforme » ou une « révision » de la Constitution de 1987. Il est hautement illusoire et naïf de croire que le pays pourra, en 2025, en 2026 ou en 2030, tenir des élections « libres et démocratiques » tant souhaitées par ses tuteurs internationaux dispensateurs de « recettes démocratiques magiques » et ordonnateurs financiers et politiques de « formules » trouvées dans une improbable boule de cristal… Le lourd échec de la longue transition post-dictature duvaliériste est encore tributaire de la non-déduvaliérisation de la société haïtienne, et c’est dans ce « marécage historique » que les preux chevaliers de l’éternelle corrida constitutionnelle veulent une fois de plus enfermer la population haïtienne : telle est la signification essentielle et tel est le projet majeur tapi dans les replis mutiques du « Document de cadrage sur la question constitutionnelle »… 

 

L’évaluation analytique du « Document de cadrage sur la question constitutionnelle », sur le registre du droit à l’éducation conformément à l’article 32 de la Constitution de 1987, n’a pas permis de constater l’existence de préconisations particulières. Le « Document de cadrage » ne mentionne même pas le droit à l’éducation conformément à l’article 32 de la Constitution de 1987.

 

En ce qui a trait à l’impératif d’une politique linguistique éducative conformément aux articles 5, 32 et 40 de la Constitution de 1987, le « Document de cadrage sur la question constitutionnelle » est totalement muet là-dessus et il n’affiche aucune préconisation particulière.

 

Il en est de même en ce qui concerne l’impératif d’une politique nationale encadrant l’élaboration d’outils didactiques en vue de l’aménagement du créole, aux côtés du français, dans le système éducatif national : le « Document de cadrage sur la question constitutionnelle » est totalement muet là-dessus et il n’affiche aucune préconisation particulière.

 

Alors même que plus de 3 millions d’enfants haïtiens sont aujourd’hui en cours de scolarisation dans les écoles du pays, le « Document de cadrage sur la question constitutionnelle » s’est donné pour objectif de légitimer des « réformes » et d’« amender » la Constitution de 1987. Toutefois le « Document de cadrage » ne présente aucune perspective stratégique en vue de la refondation complète de l’École haïtienne pour en faire une École de qualité, inclusive et citoyenne. Les immenses besoins de formation des enseignants oeuvrant dans les écoles du pays ne sont à aucun moment abordés dans le « Document de cadrage sur la question constitutionnelle » alors même que ce « Document de cadrage » prétend fournir les paramètres constitutionnels et juridiques destinés à l’érection d’un soi-disant nouvel État de droit sur les décombres encore tièdes d’un État prédateur et failli, celui des « bandits légaux » du PHTK néo-duvaliériste (NOTE -- Sur la gangstérisation / criminalisation de l’État haïtien, voir l’étude de Frédéric Thomas « Haïti : la gangstérisation de l’état se poursuit », Cetri, Université de Louvain, 7 juillet 2022 ; sur les auto-proclamés « bandits légaux » du PHTK, voir l’article de Rorome Chantal de l’Université de Moncton, « L’ONU, le PHTK et la criminalité en Haïti », AlterPresse, 25 juillet 2022 ; voir aussi l’article de Laënnec Hurbon, « Pratiques coloniales et banditisme légal en Haïti », Médiapart, 28 juin 2020 ; voir « Haïti dans tous ses états » : halte à la duvaliérisation des esprits ! », par  Arnousse Beaulière, AlterPresse, 19 février 2020 ; voir également l’entrevue de Jhon Picard Byron, enseignant-chercheur à l'Université d’État d’Haïti, « Gangs et pouvoir en Haïti, histoire d’une liaison dangereuse », Radio France internationale, 23 septembre 2022 ; et « L’« État de dealers » guerroyant contre l’« État de droit » en Haïti », par Robert Berrouët-Oriol, Médiapart, 18 janvier 2024 ; voir aussi le livre de référence de l’économiste et historien Leslie Péan, « Aux origines de l'État marron en Haïti : 1804-1860 » paru aux Éditions de l’Université d’État d’Haïti en 2009.

 

La nouvelle mouture de la corrida constitutionnelle haïtienne consignée dans le « Document de cadrage sur la question constitutionnelle » --qui ne s’adresse pas à la majorité créolophone du pays puisqu’il a été rédigé uniquement en français, en violation des articles 5 et 40 de la Constitution de 1987--, traduit un mortifère mépris de classe envers les locuteurs unilingues créoles propre à certains secteurs de la petite bourgeoisie urbaine, principalement port-au-princienne. L’on observe que le prototype de cette petite bourgeoisie urbaine, fasciné par l’ascenseur social, est la plupart du temps en transfert de classe : son tremplin habituel est le terrain politique et de laborieuses études universitaires qui lui permettent, dit-il, de « s’élever dans la société », de « s’élever sur l’échelle sociale » et de réclamer la pleine jouissance des richesses du pays et du capital symbolique tapi dans les replis de l’« ascenseur social ». Sur ce registre, l’on observe que la nouvelle mouture de la corrida constitutionnelle consignée dans le « Document de cadrage sur la question constitutionnelle » répond aux desiderata de cette « logique de classe » et des rituels de la fascination pour l’« ascenseur social ». Le ci-devant « projet de société » exposé en creux du « Document de cadrage sur la question constitutionnelle » est à cet égard un projet anti-populaire destiné à l’édification d’un État marron au sens où l’entend l’économiste et historien Leslie Péan (voir plus haut la référence citée), un État au service des « ayants-droits » et des bénéficiaires directs du système PHTK : même un État failli, balkanisé, somalisé comme l’est devenu Haïti est encore un terrain fertile où la juteuse « industrie de la réforme constitutionnelle » rassemble et distribue les gains de généreuses enveloppes financières. Dans un tel environnement où de surcroît les gangs politico-criminels occupent de larges portions du territoire national, il serait bien naïf de croire et de vouloir faire croire qu’une réforme constitutionnelle et des élections libres et démocratiques pourront être tenues en 2025, en 2026 ou en 2027… Faut-il poser l’hypothèse que le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste, à la manœuvre « tricoté serré » dans les pages du « Document de cadrage sur la question constitutionnelle », aurait déjà marqué des points décisifs dans son offensive visant à torpiller le Conseil présidentiel de transition dans le but de reconquérir le pouvoir ? L’avenir le dira…  

 

En définitive, le « Document de cadrage sur la question constitutionnelle » renvoie malgré lui à une réflexion sur des questions de fond : quel type de société voulons-nous et devons-nous édifier en Haïti ? Celle dont rêvent certains secteurs de la petite bourgeoisie urbaine, principalement port-au-princienne, fascinée par l’ascenseur social ainsi que le transfert de classe ? Ou bien voulons-nous édifier le type de société dont les traits définitoires sont consignés dans le « Préambule » de la Constitution de 1987 qui pose les bases juridiques d’un État de droit républicain en Haïti ?

 

RAPPEL – Le « Préambule » de notre Charte fondamentale dispose que

 

« Le peuple haïtien proclame la présente Constitution : pour garantir ses droits inaliénables et imprescriptibles à la vie, a la liberté et la poursuite du bonheur ; conformément à son Acte d'indépendance de 1804 et à la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. Pour constituer une nation haïtienne socialement juste économiquement libre et politiquement indépendante. Pour rétablir un État stable et fort, capable de protéger les valeurs, les traditions, la souveraineté, l'indépendance et la vision nationale. Pour implanter la démocratie qui implique le pluralisme idéologique et l'alternance politique et affirmer les droits inviolables du peuple haïtien. Pour fortifier l'unité nationale, en éliminant toutes discriminations entre les populations des villes et des campagnes, par l'acceptation de la communauté de langues et de culture et par la reconnaissance du droit au progrès, à l'information, à l'éducation, à la santé, au travail et au loisir pour tous les citoyens. Pour assurer la séparation, et la répartition harmonieuse des Pouvoirs de l'État au service des intérêts fondamentaux et prioritaires de la Nation. Pour instaurer un régime gouvernemental basé sur les libertés fondamentales et le respect des droits humains, la paix sociale, l'équité économique, la concertation et la participation de toute la population aux grandes décisions engageant la vie nationale, par une décentralisation effective ».

 

L’on observe, tel que mentionné plus haut, que le locuteur-acteur de la petite bourgeoisie urbaine, fasciné par l’ascenseur social, est la plupart du temps en transfert de classe : sur le registre des idées véhiculées à propos de la « réforme » de la Constitution de 1987, il recycle les mêmes vieilles recettes politiciennes mises en œuvre, sans succès, depuis l’adoption de la Constitution de 1987. Car le projet central des différents porteurs de la « réforme » de la Constitution de 1987 a été et demeure celui de la démantibulation de notre Charte fondamentale dans le but de rétablir l’hyperprésidentialisme inspiré du duvaliérisme et garant de l’impunité aux divers bénéficiaires de l’écosystème PHTkiste. L’objectif de l’impunité, dans la tradition duvaliériste, cible (1) entre autres Michel Matelly, Laurent Lamothe, Ariel Henry, Joseph Jouthe, Claude Joseph, Jovenel Moïse, Evans Paul, Gary Conille ainsi que les hauts fonctionnaires de l’État nommés sur la base de critères d’allégeance politique et en raison de leur loyauté au PHTK. Le projet d’impunité cible également (2) une « clientèle » composée d’« intellectuels serviles » tels que Louis Naud Pierre, Weibert Arthus, Bochit Edmond, Fritz Dorvillier, etc. De la fascination pour l’ascenseur social à l’appétence boulimique pour le transfert de classe, nous sommes encore et toujours, en ce qui a trait aux diverses tentatives de « réforme » constitutionnelle, dans l’espace idéologique et politique de la « répétition du même », un espace dans lequel l’on ne procède pas à la lecture critique de l’Histoire nationale. Ce déni de la lecture critique de notre Histoire nationale explique en grande partie le constat que l’Histoire contemporaine d’Haïti soit valorisée comme un espace mimétique, un lieu caractérisé par la circularité de la pensée recroquevillée sur la mythologisation du « passé glorieux » des Pères fondateurs de la Patrie et le refus entêté de bâtir une citoyenneté haïtienne moderne connectée de manière innovante aux valeurs citoyennes rassembleuses et au legs de l’Acte de l’Indépendance du 1er janvier 1804.

 

Sur le registre de l’émergence des travaux contemporains dans le champ constitutionnel haïtien, il y a lieu de mettre en lumière certain faits avérés de la conjoncture sociopolitique des années 1986-1987. Au moment où il a été question de rédiger une nouvelle Constitution devant consacrer la rupture historique d’avec la dictature des Duvalier, Henry Namphy et ses conseillers politiques au sein du CNG pro-duvaliériste avaient dans leurs cartons leur propre projet de Constitution… Ils étaient sur le point de le parachuter et auraient pu faire adopter « leur Constitution » lorsque le mouvement démocratique de l’époque, flairant la manœuvre des militaires --qui ont toute leur carrière servi le nazillon Jean-Claude Duvalier--, joignant leurs voix à celles de la société civile organisée ont mené campagne, fait pression et obtenu la création de l’Assemblée constituante qui a rédigé la Constitution de 1987 adoptée en créole et en français par un vote référendaire majoritaire. Le mode d’élaboration du texte constitutionnel de 1987 est particulièrement instructif –et en cela il se différencie totalement des diverses tentatives de « réforme » constitutionnelle trafiquées / mises en œuvre de 1987 à nos jours--, y compris l’actuelle tentative consignée dans le « Document de cadrage sur la question constitutionnelle » et qui est en parfaite symbiose avec l’« industrie de l’arnaque de la révision constitutionnelle ». Cette industrie de l’arnaque politicienne, il faut bien le rappeler, est le haut lieu de toutes sortes de combines et du népotisme « gran manjè » où se négocient de juteuses et clandestines enveloppes financières… L’Assemblée constituante de 1986-1987 était composée d’une soixantaine de personnalités élues en provenance de tous les départements géographiques du pays et ces personnalités connues pour leur droiture et leur rectitude citoyenne ont travaillé bénévolement à l’élaboration de la Constitution de 1987. Les travaux de l’Assemblée constituante ont été tenus publiquement et, fait inédit dans l’histoire des idées démocratiques en Haïti, les délibérations de l’Assemblée constituante de 1986-1987 ont été retransmises sur l’ensemble du territoire national par la télévision d’État. Elles ont fait l’objet de débats dans diverses instances de la société civile, y compris dans les classes terminales de nos écoles. Les résultats sectoriels des travaux de l’Assemblée constituante ont été publiés sous forme de fascicules bilingues français-créole diffusés sur l’ensemble du territoire national. Contrairement aux propositions programmatiques mais erratiques consignées dans le « Document de cadrage sur la question constitutionnelle », le mode de fonctionnement démocratique de l’Assemblée constituante de 1986-1987 est un modèle du genre, et la vision de la construction solidaire d’un État de droit en Haïti qu’elle a proposée au pays demeure le plus sûr chemin à emprunter au creux et en lien avec l’Acte de l’Indépendance du 1er juillet 1804.

 

La révision de la version finale du présent article était en voie d’achèvement lorsque nous avons écouté l’entrevue accordée au journaliste Wendel Théodore, de l’émission « Le Point » de Radio Métropole, par l’ethnologue, essayiste et romancière Lilas Desquiron à l’occasion de la parution de son plus récent livre, « Haïti est un pays unique au monde ». L’auteure du roman « Les chemins de Loco Miroir » (Éditions Stock, Paris, 1990), dans le style franc et chaleureux qu’on lui connait, a évoqué « le goût absolu du pouvoir absolu » profondément installé dans l’inconscient collectif haïtien et qui explique en grande partie les dérives autocratiques et dictatoriales de nos élites, des dérives chroniques qui ont tant impacté la gouvernance politique d’Haïti. Assurément, cette remarquable et fort pertinente problématisation du chaos politique que l’on vit aujourd’hui et que l’on a vécu durant la dictature des Duvalier père et fils mérite d’être amplement débattue, en particulier parmi les jeunes et dans les termes de la transmission historique où l’on saura distinguer l’État prédateur et kleptocratique auquel s’oppose « l’État-service », l’État au service de la Nation capable d’accompagner la redéfinition de la citoyenneté haïtienne moderne connectée de manière innovante aux valeurs citoyennes rassembleuses et au legs de l’Acte de l’Indépendance du 1er janvier 1804. Le « Document de cadrage sur la question constitutionnelle » s’est déjà positionné à l’encontre et aux antipodes de cette vision rassembleuse.

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