Les mobilisations dénonçant la vie chère aux Antilles et en Guyane puisent leurs racines dans l’histoire post-esclavagiste et un modèle politico-économique à bout de souffle pérennisé par l’action publique. Cette crise multiforme exige une analyse conjointe de leurs dimensions économique et politique, indissociables.
Pour que les assises populaires contre la vie chère tenues durant 3 jours à la Martinique (12-13-14 Juin 2025) portent leurs fruits, elles doivent rompre avec l’illusion des solutions économiques à court terme. Seule une remise en cause politique du système de dépendance de ces territoires sera efficiente.
Des structures contraignantes pour le commerce international
Les économies antillaises (la Guadeloupe et la Martinique) renferment un certain nombre de contraintes : pays de petite dimension, contrainte des économies d’échelle (la petite taille du marché local réduit la possibilité d’exploiter des économies d’échelle), une spécialisation économique basée sur une agriculture d’exportation, un secteur de production locale faible, une sous-industrialisation, l’éloignement des grands marchés industrialisés, la vulnérabilité aux catastrophes naturelles, la fragilité de ses écosystèmes, l’appartenance à des zones d’influence (Etats-Unis, Europe, France, Commonwealth,….) etc. La Guyane, certes, pays plus vaste, disposant d’innombrables ressources réunit quelques-unes de ces contraintes.
Ces contraintes ainsi que d’autres indicateurs comme les taxes, le transport, l’octroi de mer, les frais d’approche ne suffisent pas à expliquer le coût insupportable de la vie aux Antilles et en Guyane (G. Girardier). Même l’absence de TVA (comme en Guyane et à Mayotte), ou les exemptions sur de nombreux produits (ex : les médicaments) ne bénéficient pas au consommateur final, et la vie demeure chère.
Le mal-développement des Antilles et de la Guyane n’est plus à démontrer (chômage élevé et persistant, faible taux de couverture dû à des échanges déséquilibrés avec la France et l’Europe, augmentation de la pauvreté et des inégalités de revenus, baisse démographique sauf en Guyane, fort taux d’échec scolaire, départ de la jeunesse, fuite des cerveaux, difficultés d’accès à l’eau potable, empoisonnement des terres avec le pesticide du chlordécone, inégalités des chances, recul de la croissance économique, etc.).
Les luttes sociales aux Antilles et en Guyane, tout au long de leur histoire, ont toujours dénoncé la cherté de la vie. Les écarts de prix entre la Martinique et la métropole ne sont pas apparus en 1946 ni en 2009, ils existent depuis la création de ces territoires ultra-marins (Mathouraparsad, janvier 2005).
La vie chère dans les DOM s’explique en partie par les inégalités structurelles de revenus, générant d’importants impacts socio-économiques : érosion du pouvoir d’achat, inflation, stagnation salariale, endettement des ménages et paupérisation. Ces disparités trouvent leur origine dans les choix politiques post-abolitionnistes de 1848, où l’indemnisation des propriétaires d’esclaves – contrairement aux anciens esclaves – a institutionalisé un déséquilibre économique durable. Cette cherté procède aussi de facteurs structurels (dépendance aux importations, domination monopolistique de grandes entreprises et prix abusifs sur des marchés captifs, de distorsions politico-économiques) renforçant la dépendance envers la France.
Les racines historiques de la dépendance
La dépendance de ces économies est la résultante du vieux pacte colonial et de la double exclusivité qui ont laissé des traces sur ces pays. Le pacte colonial procède d’une double règle, d’une part, la subordination des Antilles et de la Guyane sur le mode de l’exclusif commercial colonial et d’autre part, la spécialisation complémentaire de la production coloniale et la garantie des débouchés monopolistiques réciproques entre la France et ses colonies.
Bien qu’ayant soutenu l’économie locale par d’importants transferts publics (Etat, Europe, dotations aux collectivités locales), la départementalisation de 1946 a paradoxalement accrue la dépendance des DOM, renouvelant leur subordination à la France. Contrairement au Royaume Uni qui adopta le self-government (via le Commonwealth), la France renforça sa domination coloniale en 1946 en transformant ces 4 vieilles colonies (Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion) en Départements d’Outre-Mer, s’écartant de l’idéal d’autodétermination promu par l’ONU.
Le système départemental instaura des institutions économiques et financières visant à « moderniser » les colonies, mais structura une économie dépendante. La subordination des Antilles et de la Guyane fut consolidée par une spécialisation internationale orchestrée autant par des mécanismes juridiques qu’économiques.
En effet, par le Traité Franco-anglais de 1861, la France instaure aux Antilles et en Guyane un « libre-échange colonial ». C’est dans ce contexte que l’autonomie douanière fut accordée aux Antilles et en Guyane. Cette autonomie douanière accordée sous pression de l’oligarchie créole permet à l’Angleterre rivale de la France, de nouer des relations privilégiées avec ces élites en leur offrant des avantages fiscaux. Paradoxalement, cette oligarchie s’opposera plus tard à la départementalisation (1946) par crainte de perdre ses privilèges commerciaux en intégrant le système douanier français. Craignant de perdre la colonie, à l’inverse des élites locales, le négoce colonial français plaida pour une intégration douanière totale des Antilles et de la Guyane à la France. Cette politique assimilationniste devint un mécanisme d’ancrage territorial définitif scellant la dépendance économique.
Malgré son opposition initiale, l’oligarchie finit par profiter du système douanier assimilationniste. Ce dispositif instaura un protectionnisme radical : le marché antillo-guyanais fut contraint de s’approvisionner en France/Europe, rompant ses liens naturels avec les fournisseurs régionaux, et des fournisseurs étrangers pouvant offrir des conditions commerciales plus avantageuses.
L’analyse de la vie chère dans les DOM doivent intégrer les rapports hérités du colonialisme entre l’Etat et les groupes de pression. Ces derniers interlocuteurs privilégiés du pouvoir, servent de relais à la politique de l’Etat qui préserve leurs intérêts de classe. Cette captation institutionnelle reproduit mécaniquement les dépendances historiques et structure les inégalités actuelles. L’efficacité des institutions déployées dans les DOM reste questionnable. Or, la qualité institutionnelle est un déterminant du développement économique. L’Etat doit permettre la mise en place d’institutions favorisant l’activité économique (Acemoglu et Robinson, why nation fails, 2012).
Des institutions incapables de générer un développement endogène aux Antilles et en Guyane
Malgré des décennies de revendications pour des institutions émancipatrices, ni la départementalisation, la décentralisation I et II, la collectivité territoriale unique n’ont permis un développement endogène des DOM (Institutions et développement, Elisa PAULIN, 2010). Présentées comme des ruptures, ces adaptations n’ont fait que pérenniser la captation des richesses par une minorité, reproduisant un système inégalitaire hérité de la colonialité.
Pour Acemoglu et Robinson (2012), ce sont les institutions qui déterminent le succès ou l’échec économique d’une nation. Ils opposent les institutions politiques et économiques extractives et inclusives.
Ces auteurs reconnaissent que la stagnation économique de sociétés extractives comme le Zimbabwe, la Sierra Leone, la Colombie, l’Argentine, l’Ouzbékistan, la Corée du Nord et l’Égypte, s’explique par la présence d’une minorité qui maintient son hégémonie sur le reste de la population, quoiqu’avec différentes intensités (Robinson et Acemoglu, 2012).
Le même phénomène s’observe aux Antilles et en Guyane. De colonies extractives, elles sont devenues des économies extractives où une minorité économique hégémonique profite largement de la rente. Le rapport de l’Assemblée Nationale, de l’Ex. Député de la Martinique, (J. Hajjar, 2023) « a souligné l’insuffisance et la médiocrité des institutions destinées à lutter contre la vie chère. La faiblesse de ces institutions ne fait que renforcer la concentration des acteurs qui dominent le marché et qui empêchent toute concurrence dans de nombreux secteurs ».
La question de la vie chère est l’arbre qui cache la forêt. Cette mobilisation a permis de décrypter et surtout de populariser ses véritables mécanismes. J. Hajjar souligne dans son rapport « que les instruments et institutions existants pour lutter contre la vie chère produisent des effets qui demeurent très largement insuffisants pour réduire le « coût de la vie ».
Toujours selon lui, les deux principales institutions destinées à la lutte contre la vie chère dans les DROM ont des effets limités :
1° - Il s’agit du bouclier qualité-prix (BQP) institué par la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012. Ce BQP est un dispositif de régulation négociée des prix.
2° - Les observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR).
L’analyse purement économique de la vie chère est restrictive : ses causes profondes sont politiques. Certains analystes pointent cette contradiction. « Les termes dans lesquels la mobilisation contre la vie chère ont été posés par certains, accroîssent la dépendance de la Martinique » (F. Reno, 2024). « Cette question de la vie chère est un prétexte à un malaise social profond » (M.P.Louis, 2024).
Le pouvoir économique concentré entre quelques mains, n’ont strictement aucune raison de favoriser l’innovation qui risquerait de mettre en péril leur pouvoir en favorisant de nouveaux secteurs et permettre l’émergence d’une nouvelle classe d’entrepreneurs prospères qui participeraient au succès économique des pays concernés (Acemoglu et Robinson).
Le véritable enjeu de ces négociations sur la vie chère réside donc dans la remise en question de ce modèle politico-économique de plantation hérité de l’histoire coloniale. Cela impliquerait de nouveaux rapports statutaires entre la France et les territoires dits d’outre-mer qui passeraient par des institutions plus inclusives.
Institutions inclusives, territoires émancipés : réinventer le modèle de développement antillo-guyanais
L’évolution statutaire dans le contexte économique actuel sera-t-elle de nature à empêcher la reproduction de la dépendance de ces territoires ?
Cette question revient régulièrement à l’ordre du jour avec l’exacerbation de la crise économique et sociale. L’évolution statutaire sans la création d’institutions économiques et politiques inclusives produira les mêmes effets causés par les différentes institutions créées depuis 1946.
Les dernières assises populaires contre la vie chère tenues en Martinique en juin 2025 par des Parlementaires de Guyane, de France, de Martinique et de Réunion ont établi une liste non exhaustive de mesures de régulation de l’économie contre la vie chère :
Dans le cadre institutionnel actuel, toute réinvention économique reste illusoire. Seule une gouvernance locale forte co-construite avec l’Etat, peut initier la rupture. Les assises populaires par ses mesures drastiques, - offrent le socle d’un modèle inclusif jetant les bases d’une triple transition : économique (autonomie productive), politique (autonomie locale) et sociale (éradication de la vie chère).
La réponse ne réside pas dans un nouveau projet de loi proposé par l’Etat mais dans un nouveau paradigme.
Changer de logiciel : l’Etat en a-t-il la volonté politique ?
« Commentaires, distinctions honorifiques et non-lieu : le triptyque de la collusion Etat-oligarchies dans les DOM est consacré. Par ces trois mécanismes (opacité financière, immunité judiciaire, légitimation symbolique), le pouvoir valide un système de prédation économique qui nourrit la vie chère ».
Cette collusion laisse t’elle espérer un réel changement dans les DOM ou l’éternelle gestion du statu quo ?
Après 70 ans de lois inopérantes, l’émancipation des DOM exige des actes et un nouveau logiciel. Ce vieux modèle politico-économique de plantation est en faillite.
Le changement de paradigme nécessite des mesures courageuses, fortes et structurantes. Il s’agira de prioriser la production locale, l’innovation et l’entrepreneuriat par des aides ciblées. Seul ce triptyque créateur de richesse brisera la dépendance et la vie chère structurelle. Le soutien de la production locale est un vecteur d’ouverture de l’économie aux talents locaux (création d’emplois qualifiés, insertion des jeunes, et valorisation des compétences locales….).
Il est nécessaire de briser les barrières à l’entrée pour les entrepreneurs locaux et dans certains cas, garantir la « préférence territoriale » dans le recrutement.
Seule une politique de rupture, avec contraintes et contrôles, brisera les crises récurrentes des pays dits d’outre-mer. L’unité inédite de leurs parlementaires ouvre la voie à un nouveau modèle de développement. Ces pays ne veulent plus être des déversoirs de produits importés, de comptoir colonial, mais, des territoires modernes et productives, incubateurs d’un nouveau projet de société émancipateur.
CONCLUSION
Il est temps de repenser la relation entre la France et les DOM (Manuel Valls, guyane 2024). Saisissons l’appel du premier ministre pour un partenariat gagnant-gagnant entre la France et les DOM. Sans réformes des structures économiques, du modèle archaïque politico-économique, les crises cycliques persisteront. Les Etats généraux mis en place par Mr Sarkozy après la crise contre la vie chère de 2009, a été un véritable fiasco. Il faut craindre que les mêmes causes produisent les mêmes effets car, le mardi 24 juin juin dans le cadre d’une plénière, l’Assemblée de Martinique a émis un avis négatif sur le projet de loi du gouvernement visant à lutter contre la vie chère suite à la crise de 2024. Les élus notent des lacunes importantes, jugées incompatibles avec les réalités locales et les besoins structurels du territoire.
Parlementaires et négociateurs devront faire preuve de vigilance, de fermeté et de courage politique : les prochaines discussions avec l’Etat (Juillet 2025) échoueront si les racines politiques de la crise sont ignorées.
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