ETRE SOLIDAIRE DU MOUVEMENT SOCIAL ET POPULAIRE

Raphaël CONSTANT

Depuis des mois, nous vivons un mouvement social de grande ampleur. Il a connu une importante accélération le 22 novembre dernier.

Face à celui-ci, chacun se détermine selon ses a-prioris et positionnements politiques. Nous sommes dans une situation où la pression médiatique veut qu’avant toute expression vous vous démarquiez, condamnez tel ou tel pour avoir une chance d’être entendu. Et, non !

Au même titre que j’ai considéré que je n’avais pas à faire un appel à se vacciner, je considère que je n’ai aucune obligation, ni comme patriote, ni comme militant, à dénoncer ce qu’on appelle « les violences et les exactions ». Ces dernières sont l’arbre qui cache la forêt.

La révolte qui se manifeste est la conséquence d’une situation de crise d’une société coloniale inégalitaire et discriminatoire. Même sans être fanonien (dont on fêtera sous peu le 60ème anniversaire de la mort), il est évident qu’une telle société qui est intrinsèquement violente ne peut que produire des situations de violence. Et les actes de violence de ces jeunes (ou non jeunes), la nuit (ou le jour), resteront toujours une chose minime et secondaire, en dépit de leur mise en avant par ceux qui contrôlent les médias, par rapport à la violence sociale qu’ils vivent et subissent chaque jour et dont le pouvoir français et ses alliés se satisfont.

Les grands médias, particulièrement Martinique Première, chaque soir, mettent en exergue des situations particulières (un racket par-ci, une agression par-là, toutes dérives sans oublier -ne nous leurrons pas- les provocateurs payés à cet effet) pour les généraliser et présenter négativement le mouvement. Ce n’est pas de l’information mais de la propagande. L’objectif est de présenter, comme l’ a déclaré le dénommé Attal, porte-parole du gouvernement français, le mouvement social en Martinique et en Guadeloupe, comme « ultra-minoritaire et violent ».

En annonçant l’arrivée de renforts du RAID et du GIGN, spécialistes des situations de crise et d’élimination des « terroristes », le pouvoir a préparé l’opinion publique française à une répression sévère. Nul doute que les appareils judiciaires « locaux » sont prêts à la besogne d’infliger sans nuances condamnations et d’année d’emprisonnement. En Martinique, ils ont déjà commencé.

Il est aussi normal que le patronat, sous toutes ses composantes, condamnent le mouvement social.

Il est plus étonnant que les institutions de médecins et de pharmaciens entrent dans la même danse. Néanmoins, à compter du moment où l’ordre des médecins a menacé, en août dernier, de poursuites disciplinaires tous membres mettant en cause l’obligation vaccinale, il était déj clair que ces institutions ont perdu tout honneur (la lettre de Mme Jos Pelage étant le sommet inverse), tout sens de la réalité et toute attitude scientifique rationnelle.

Il reste qu’on le veuille ou non qu’en l’état de la recherche si le vaccin peut protéger individuellement des formes graves, il n’empêche pas d’attraper la maladie et surtout, le pire, de contaminer d’autres personne. D’où une obligation vaccinale qui a peu de sens !

La démarche des politiciens mérite d’être notée. D’une part, pour reprendre une formule qui risque de passer dans l’histoire, « en creux », ils ont bien dû admettre leur totale incompétence dans les matières faisant l’objet des revendications des syndicats, que ce soit la santé ou la vie chère. Ceci explique que Letchimy (Marie Jeanne n’avait pas fait mieux en sollicitant vainement du préfet le droit à une co-décision), président du CE de la CTM, a passé ces dernières semaines à écrire au premier ministre, au ministre des colonies, au ministre de la santé etc…. A défaut de décider, il est devenu un écrivain public. Mais il n’y a pas de sot métier.

D’autre part, après 5 mois de luttes, et quatre jours de, selon les élus, « situation insurrectionnelle » (manifestement « nos » chers élus ne savent pas de quoi ils parlent ni politiquement, ni militairement), il se sont réunis le 26 novembre pour signer une déclaration.

A l’exception de quelques élus de la liste du MIM et des alliés, tous ont signé un document absolument insipide, ne reprenant même pas les revendications des syndicats, entérinant ce que le pouvoir colonial avait déjà cédé et suggérant des réformettes. Pour mesurer le caractère, comme dirait Manville (mort il y a 23 ans), batracien de cette déclaration, on rappellera qu’en 1959, après trois jours d’émeutes à Fort de France, le conseil général s’était réuni en urgence pour dénoncer les situations d’inégalités en Martinique te demander au gouvernement l’ouverture de négociations pour une plus large participation des martiniquais à leurs affaires. 62 ans après, « nos » élus sont en-dessous de ce minimum.

Tant est que c’est le nommé Lecornu qui parle « d’autonomie » pour la Guadeloupe avec l’objectif manifeste de ne pas se prononcer sur les revendications actuelles. On attend donc de Letchimy qu’il rappelle, comme en 2010, son attachement total à la francité pure et simple et son refus de tout pouvoir supplémentaire.

On peut donc parfaitement comprendre que ni l’intersyndicale, ni les manifestants sur les barrages ne peuvent avoir aucune once de confiance dans des « élus » si courageux et si audacieux.

On se demande comment finira cette mobilisation. Déjà, disons qu’elle est une terrible expérience pour les masses martiniquaises qui se retrouvent seules face à un grand nombre de policiers et gendarmes, casqués et menottés, qu’on tente de nous présenter comme des victimes potentielles, ce qui reste difficile au regard de l’histoire de la Martinique et de ceux qui ont vu tomber les leurs.

Il reste certain que cette lutte aboutira ou non tenant compte de la capacité de maintien ou non de la mobilisation. C’est déjà une victoire magnifique, même limitée, d’avoir obligé à voir l’obligation vaccinale êtres partiellement reculée au 31 décembre face à un gouvernement obtus et conservateur qui ne cesse de dire que la loi doit être appliquée partout sur le territoire de la (leur) république. Disons-le clairement, cette première victoire a été acquise par la courageuse et extraordinaire mobilisation de l’Intersyndicale des soignants.

En l’état, comme en 2009, on semble vouloir noyer le mouvement social dans des commissions thématiques, sans engagement définitif du pouvoir. On peut espérer que le mouvement syndical ne se laissera pas embarquer dans de telles manœuvres.

Vainqueur ou non, de toutes les façons, le mouvement social que connait aujourd’hui la Martinique laissera des traces. S’il gagne, cela sera une magnifique impulsion pour les luttes de demain pour la dignité et la liberté. S’il perd, il aura eu une expérience qui lui permettra de rebondir rapidement.

Il est facile de critiquer, surtout pour ceux qui ne font rien. Ce mouvement a le mérite d’exister. Il convient de le soutenir en étant bien conscient de ses difficultés dont la principale reste l’absence d’un mouvement patriotique uni et puissant à ses côtés.

Il convient d’autant plus de le soutenir que ce mouvement fait face à un pouvoir animé d’un tel sentiment de force et de supériorité qu’il ne peut être étranger à une certaine arrogance coloniale (M. Cazelles est de ce point de vue une caricature extrêmement utile). C’est le même pouvoir qui a cru bon de donner des leçons d’histoire au peuple algérien, le même qui veut imposer au Mali ses alliances et ses militaires, le même qui remet en cause trente ans d’un difficile processus (faussé en partie) de décolonisation en Kanaky, etc… Bref, nous faisons face à un des pouvoirs occidentaux les plus pernicieux et manquant régulièrement à sa parole dès que le rapport de force lui est favorable.

Il est à espérer que ce pouvoir comprenne que ce n’est pas la propagande et/ou la répression qui résoudr(a)ont les problèmes posés aujourd’hui par un mouvement populaire multiforme.

Demain, que le pouvoir le veuille ou non, 2 martiniquais sur trois ne seront pas des citoyens reconnus comme tels. Et la misère continuera à gangrener notre société. Il existe des limites à l’intenable.

A bon entendeur, Salut.

R. CONSTANT

Avocat et Militant.

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