Pour la troisième fois en 20 ans, le Front national (devenu Rassemblement national) est au 2nd tour de l’élection présidentielle en France et jamais il n’a été aussi proche de l’emporter.
La responsabilité en revient en bonne partie au macronisme, qui a brutalisé la société française pendant cinq ans, mais plus globalement aux politiques menées depuis 40 ans, donc à l’ensemble de la classe dirigeante française : explosion de la misère, de la précarité et des inégalités ; politiques islamophobes, anti-migrants et anti-Rroms ; attaques contre les solidarités collectives (notamment syndicales), campagnes permanentes contre la gauche de rupture et répression des mouvements sociaux ; politiques sécuritaires et liberticides. Dans la résistible ascension de l’extrême droite, il faut en outre accorder une mention spéciale au Parti socialiste et à ses alliés, qui ont trahi les espoirs placés en eux par une bonne partie de la population (notamment des classes populaires), à plusieurs reprises depuis les années 1980.
Dans une vieille puissance impériale en déclin comme la France, où le racisme colonial structure si profondément les mentalités et les institutions, ce cocktail explosif aboutit au tableau suivant : un tiers des voix à l’extrême droite au 1er tour ; un FN/RN qui flirte avec les 50% dans les sondages pour le 2nd tour ; une idéologie d’extrême droite largement légitimée dans le champ médiatique (et pas seulement dans le cadre de l’empire Bolloré, loin de là), puisque les idéologues de l’extrême droite ou de la droite extrémisée ont à présent micro ouvert sur toutes les antennes (radios et télés) ; et des groupuscules violents dont l’activisme est de plus en plus débridé et les agressions de plus en plus fréquentes contre les mobilisations et les minorités.
Un autre élément, c’est la manière dont la stratégie dite de « dédiabolisation » mise en oeuvre par Marine Le Pen depuis son arrivée à la tête du parti, en 2011, lui a permis de respectabiliser son parti et ses « idées ». Les médias dominants comme le personnel politique ont joué un rôle prépondérant dans ce processus : dépolitisation (on trouve très bien d’interroger Marine Le Pen sur ses chats ou sa vie privée), banalisation de propos et de propositions racistes (« êtes-vous favorable à la remigration ? », « croyez-vous au grand remplacement ? », etc.), présentations biaisées ou carrément fausses (le soi-disant programme « social » ou « de gauche » du FN/RN), méconnaissance totale de l’histoire et de l’idéologie de ce parti, etc. On pourrait là aussi pointer le rôle de la gauche, entre le PS qui a banalisé le FN (on se souvient de Fabius disant que le FN « pose de bonnes questions ») et d’autres organisations qui ont abandonné toute pratique antifasciste réelle au cours des vingt dernières années, s’en tenant à quelques discours au moment des élections.
Comment caractériser politiquement le FN/RN ? On qualifiait généralement le FN de « fasciste » ou « néofasciste » dans les années 1970-80. Dans la mesure où il avait été créé en 1972 par la plupart des chapelles de l’extrême droite française (pétainistes, ex-membres de la Milice, anciens Waffen SS, débris de l’OAS, etc.), et avait eu pour dirigeants de premier plan des fascistes notoires (Victor Barthélémy, François Duprat, Jean-Pierre Stirbois, etc.), cela ne faisait guère débat. Aujourd’hui le FN devenu RN semble largement normalisé. Certes, on le qualifie de « populiste » mais à l’ère de la détestation généralisée (et légitime !) des élites, c’est plutôt lui faire un compliment ou un cadeau ; en tout cas le FN/RN s’est toujours montré très satisfait d’apparaître comme « populiste », cela lui donnant une caution populaire alors même qu’il ne compte aucun membre des classes populaires dans ses directions et ne propose rien de sérieux en faveur de ces classes.
Le FN/RN a-t-il changé ? Le RN d’aujourd’hui est-il qualitativement différent du FN d’hier ? À lire son programme, on peut en douter. Il est vrai que Marine Le Pen a imposé quelques inflexions et a nettoyé la façade en excluant les figures les plus notoirement antisémites ou négationnistes. Mais bien des tendances qu’on attribue à Marine Le Pen avaient en fait commencé dès les années 1990 (tournant « social », stratégie de respectabilisation, prétentions écologiques, etc.). On oublie au passage que l’actuelle dirigeante du parti, comme la plupart des cadres du RN, ont intégré très jeunes le Front national et il y a longtemps (à l’âge de 18 ans en 1986 pour ce qui est de Marine Le Pen), si bien qu’ils ont non seulement été formés par la vieille garde fasciste, mais qu’ils ont assumé – pendant plus de deux décennies pour certain·es – toutes les saillies antisémites et négationnistes de Jean-Marie Le Pen, et ce sans jamais élever la voix, ni en interne ni publiquement.
On l’a dit : le programme du FN/RN n’a pas véritablement changé sur l’essentiel, et ne diffère pas fondamentalement de celui de Zemmour par exemple (dont beaucoup ont bien compris ces derniers mois qu’il s’inscrivait dans une filiation fasciste). Ce programme est raciste et ultra-sécuritaire, anti-syndical et pro-patronal, réactionnaire à tous les niveaux (antiféministe, appel au retour à l’école d’antan, avec orientations précoces et endoctrinement chauvin), etc. Et il faut ajouter un élément crucial : jamais un parti d’extrême droite, historiquement, n’a annoncé clairement avant de parvenir au pouvoir ce qu’il en ferait. La lecture des programmes est toujours instructive mais elle ne nous donne pas une vue précise du projet de l’extrême droite et du type de politiques que la maîtrise de l’appareil d’État lui permettrait de mettre en oeuvre. Pour cela, il faut connaître l’histoire des organisations d’extrême droite, saisir ce qui fait le coeur de leur projet, et observer ce que font leurs amis et/ou alliés au niveau international.
On ne sait jamais ce que l’extrême droite voudra et pourra faire exactement du pouvoir : cela dépendra des rapports de force sociaux et politiques, de sa capacité stratégique à nouer des alliances mais aussi à approfondir son ancrage social et militant, de la résistance de certains secteurs de l’État, de certaines fractions des classes dominantes et évidemment des mouvements d’émancipation, et d’autres aspects encore qu’on peut ne pas percevoir pour l’instant. Mais on sait que la victoire de ce type de force peut ouvrir vers autre chose que la répression – même intensifiée – des mobilisations que l’on a connue ces dernières années : une institutionnalisation des discriminations racistes et un encouragement à les amplifier, un étouffement de la liberté d’expression, de la liberté de la recherche, de la liberté pédagogique, des droits des minorités (notamment la liberté religieuse pour les musulman·es) et des droits démocratiques (à se mobiliser, faire grève, etc.), un redoublement des violences racistes, un écrasement de la gauche sociale et politique, en sachant que l’amplification des logiques de bouc-émissaires et la dénonciation obsessionnelle de l’ « ennemi intérieur » pourrait conduire à terme à des formes de « nettoyage ethnique ».
Fasciste donc le FN/RN ? Certainement, cette organisation ne dispose pas de l’appareil militant et notamment des milices armées qui caractérisaient les organisations fascistes dans l’entre-deux-guerres ; cela pour des raisons abordées ailleurs, qui tiennent notamment au fait que la violence politique est rendue beaucoup moins nécessaire aujourd’hui, en raison même d’affaiblissement collectif de la classe travailleuse, mais aussi apparaît plus illégitime dans des pays épargnés par la guerre depuis longtemps. Bien sûr, l’électorat du FN/RN n’est pas composé principalement de gens qui aspirent à un État fasciste, mais une partie très importante de ses électeurs se déclarent eux-mêmes « racistes » lors des enquêtes et souhaitent voir mises en oeuvre des solutions ultra-autoritaires. Par ailleurs, on peut douter que les sympathisant·es des fascistes de l’entre-deux-guerres avaient tous pour objectif la mise en place d’une dictature impitoyable, et certainement une toute petite minorité envisageait le type de politique génocidaire qui fut celle du nazisme.
Il faut plutôt se poser deux questions : quel type de projet de société distingue le FN/RN ? Comme on le montre dans ce dossier, ce projet n’a pas tant évolué depuis la fondation du FN en 1972 et ce qui distingue cette extrême droite du fascisme historique, c’est moins son projet que sa stratégie de conquête du pouvoir : la guerre de position (politico-culturelle) plutôt que la guerre de mouvement (l’exercice d’une violence de masse extra-étatique). Est-ce qu’une victoire électorale lui permettrait d’avancer fortement vers la mise en oeuvre de ce projet ? Indéniablement, puisqu’elle donnerait à l’extrême droite des moyens décuplés – au niveau idéologique et institutionnel – de faire avancer son agenda ultra-autoritaire et raciste. Ce dossier que vous propose Contretemps doit donc permettre de mettre les choses au clair sur ce qu’est le FN/RN : son histoire, son projet, son idéologie, et les résistances qu’il suscite ou devrait susciter.
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Qui a créé le Front national ?
Première partie : les nostalgiques du nazisme et de la collaboration, par Jean-Paul Gautier
Deuxième partie : les nostalgiques de l’Algérie française, par Jean-Paul Gautier
Troisième partie : les néofascistes, par Jean-Paul Gautier
Aux origines du FN/RN
Épisode 1 – Europe Action : quand les fascistes français remodelaient leur stratégie, par Jean-Paul Gautier
Épisode 2 – Occident : « génération cogneurs », par Jean-Paul Gautier
Épisode 3 – Europe Action : quand les fascistes français remodelaient leur stratégie, par Jean-Paul Gautier
Épisode 4 – Rivalité entre fascistes : l’épisode du Parti des forces nouvelles (PFN), par Jean-Paul Gautier
Un projet fasciste
Le FN/RN porte un projet fasciste (1re partie), par Ugo Palheta
Le FN/RN porte un projet fasciste (2e partie), par Ugo Palheta
FN/RN : les dangers de la dédiabolisation, par Jim Wolfreys
Le danger fasciste en France : de quoi le FN est-il le nom ?, par Ugo Palheta
Au coeur de l’idéologie du FN/RN
Comment l’identité est devenue le langage commun du nationalisme blanc, par René Monzat
Marine Le Pen, le RN, l’extrême droite : un ennemi mortel pour les femmes [Podcast]. Entretien avec Mathilde Larrère
Bonnet blanc, blanc bonnet ? Les programmes de Zemmour et Le Pen décryptés, par Sylvain Peyreyres
Les courants de l’extrême droite. Les deux racines idéologiques de l’extrême droite française, par René Monzat
L’école, terrain de la bataille culturelle pour l’extrême droite, par Grégory Chambat
Une grande transformation ?
Anatomie du Front national. Entretien avec René Monzat
Front national, le congrès de l’après Le Pen, par Jean-Paul Gautier
Le FN entre Vichy et la République, par Mathieu Desan
De la haine de l’écologie au greenwashing nationaliste ? Le RN et l’environnement, par Jean-Paul Gautier
Quel antifascisme face au danger FN/RN ?
Zemmour, Le Pen et l’antifascisme, par Ugo Palheta
Guerre sociale ou guerre civile ? Macron et Le Pen vont au second tour (2017), par Mathieu Bonzom
Ce qu’est le fascisme et comment l’arrêter, par Ernest Mandel
Ras L’Front, par Anne Tristan
Lepénisme et antilepénisme en 2002, par Nonna Mayer
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Illustration : Photothèque rouge, meeting de 2012.
"National" au sens "national Mquais". Ça va sans dire, mais ça va mieux en le disant...
Lire la suite...mè "dannsòl".
Lire la suiteSi on vous comprend bien, MoiGhislaine, le charbon de Lorraine devrait, pour reprendre votre expr Lire la suite
Je crains que vous n'ayez mal compris cet article. A moins que ce ne soit moi qui me trompe. Lire la suite
Il faut être un sacré farceur pour faire croire aux Martiniquais qu'un deuxième Cuba est possible Lire la suite