Pour expliquer la défaillance invariante de l’écosystème haïtien asservi, les élites, anoblies par la France, le Canada et les EU, véhiculent fièrement la thèse de la déroute de l'intelligence. Dans mes sursauts intranquilles de provocation, en prélude à la commémoration de l’indépendance, j'ai voulu contextualiser cette thèse pour expliquer autrement et plus intelligiblement l’errance haïtienne.
Depuis 1804, Haïti fait vibrer, chaque 1er janvier, l’imaginaire des peuples, en rappelant à leur mémoire son irruption héroïque dans le concert des nations libres. En effet, pendant 3 siècles, un collectif d’ascendance africaine, considéré, par les détenteurs de pouvoir et de savoir qui peuplent l’Europe des lumières à cette époque, comme une sous-humanité ‘‘exploitable et corvéable à merci’’, a été réduit en esclavage. Mais, envers et contre l’hégémonie arrogante des puissances esclavagistes et colonialistes de l’époque, ces ‘‘va-nu-pieds’’, bien qu’en majorité, sans instruction et sans ‘‘culture’’, au sens occidental du terme, donc frustrés et aigris, avaient assumé le choix de la liberté et avaient su trouver le courage et la détermination pour se défaire de leurs chaînes déshumanisantes. Au prix de leur sang et au bout de violentes luttes, ces déshumanisés, grands oubliés des progrès culturels et démocratiques revendiqués par les philosophes et ‘‘humanistes’’ occidentaux, avaient choisi résolument de s’orienter vers un destin moins ombrageux et plus éclairant de dignité et d’humanité que celui que leur réservait l’infamant code noir du siècle des lumières. Leur courage, leur détermination, leur héroïsme furent salués par le monde entier, car ils avaient su reconquérir leur humanité bafouée, violée et non reconnue par l’Occident démocratique et chrétien.
219 ans plus tard, le bilan de ce qu’est devenu cette épopée légendaire est glaçant et terrifiant. Haïti offre le visage d’un échec humain total, tant la servitude volontaire et l’indignité, tremplins pour accéder au succès, occultent la fulgurance de ce passé glorieux Un vrai paradoxe anthropologique, puisque cette fulgurance de l’indépendance avait voulu rompre avec la servitude, et s’imposer comme une brèche d’exemplarité, de liberté et de dignité pour tous les hommes, sans distinction de race, de culture, de faciès et de richesse.
Mais comment expliquer cette angoissante, inquiétante et révoltante trajectoire erratique empruntée par Haïti, 219 ans après avoir séduit le monde entier ? Peut-on y trouver des causes occultées et dissimulées dans le fait qu’entre-temps, par les grandes métamorphoses et barbaries de l’histoire, les puissances esclavagistes occidentales, qui avaient, au profit de leur opulence, expertement déshumanisé les esclaves noirs d’Afrique, sont toutes devenues des championnes des droits de l’homme ? Un paradoxe tout aussi surprenant, puisque dans les faits aucune de ces puissances n’a renoncé concrètement à la géostratégie de la déshumanisation. Évidemment, pour faire profil bas et même suscité plus d’adhésion à leur credo barbare, ils ont su flouter les objectifs de leur stratégie barbare par de grandes impostures démocratiques, culturelles et civilisationnelles attractives. Un floutage parfaitement réussi, puisqu’en enfumant la conscience universelle et en occultant l’intelligence collective des peuples, il permet la résurgence, ou mieux la survivance de la barbarie esclavagiste sous une forme enjolivée.
Alors, en tenant compte de ce succès comme un fait indéniable, et en mettant à contribution les grandes théories de la complexité des penseurs humanistes, systémiciens que sont Edgar Morin, Jean-Louis Le Moigne et de Gérard Donnadieu, qui invitent à penser dans la complexité pour agir avec intelligence, je me suis permis de surfer sur le postulat de la théorie du chaos pour relier, par une axiomatique anthropologique et sociologique originale, le succès de la barbarie enjolivée, par lequel l’esclavage se perpétue sous pavillon de la mondialisation et l’errance anthropologique du collectif haïtien.
Une axiomatique que l’on peut par provocation formuler en une question contextuelle en s’appuyant sur le postulat du chaos expliqué par la dépendance aux petites causes. En effet, si le battement d’aile d’un papillon dans le ciel d’Ukraine peut provoquer des orages et des tempêtes à Washington, pourquoi Haïti, dans son abjecte évolution dans l’histoire et le temps, ne serait pas un morceau éclaté du miroir qui reflète avec éloquence la manipulation spectrale aveuglante de la barbarie enjolivée de couleurs civilisationnelles, culturelles et démocratiques ? Pour cause, tandis que la défaillance et la déshumanisation sont palpables et s’invitent à tous les étages de l’écosystème haïtien, toujours sous tutelle américaine, française et canadienne, les Nations Unies ne cessent de célébrer la promotion de plus de 75 ans d’un socle universel de droits inaliénables dont l’autodétermination des peuples.
Mais il semble que le peuple haïtien, dans sa majorité noire, d’ascendance Africaine, ne soit pas digne de ces droits ; et ce en dépit, ou à cause, de 35 ans d’une réforme démocratique portée par l’ingénierie internationale du renforcement institutionnel et pilotée par les fonctionnaires des Nations Unies et les experts des grandes agences internationales. Pour autant, le paradoxe qui ressort de ce constat n’est pas moins intelligible pour tenter de saisir les causalités occultées entre l’errance anthropologique de 219 ans d’indépendance qui projette Haïti apparaît, dans le prisme de la barbarie enjolivée d’impostures civilisationnelles, comme le reflet de rêves blancs matérialisés en cauchemars noirs. Quand, en plus de 60 ans de projets d’assistance au développement et de promotion des droits de l’homme, la performance de l’ingénierie onusienne n’induit que des résultats de défaillance en Haïti et en Afrique, il y a de quoi farfouiller sous les strates des succès qui ont été fabriqués dans l‘ombre de ces échecs pour faire émerger du sens et provoquer une innovation inespérée.
Pour cause, l’indépendance d’Haïti, comme, d’ailleurs, celle des autres pays africains, semble avoir été retournée (par une conjonction de forces endogènes et exogènes au service d’intérêts transnationaux) pour être un échec retentissant, mettant en évidence, à des fins d’ostracisation et de stigmatisation, l’incapacité des peuples noirs à se prendre en charge eux-mêmes. Nul, en tout cas, ne peut nier que malgré l’indépendance de ces pays, les élites, nouvellement installées au sommet de leurs sociétés, sont restées fidèles au service de leurs anciens maîtres blancs ; lesquels en retour, en bonne intelligence, n’ont jamais cessé d’adouber et de d’anoblir ceux qui leur ont fait allégeance. Une manière floutée pour les anciens colons de rester aux commandes de ces pays sans avoir visiblement les rênes du pouvoir, mais virtuellement.à travers le contrôle qu’ils ont sur les « nègres à tout faire’’ qu’ils ont rendus influents par une renommée fabriquée en toute imposture. Un floutage qui a pris la forme d’une assistance technique plus totalitaire qu’humanitaire.
Le paradoxe de la dépendance performante résonne outrageusement et ostensiblement dans l’écosystème haïtien de multiples façons : une mécréance politique assumée, une dépendance économique infamante, une insignifiance académique reluisante, une indigence culturelle suffocante, une résilience anthropologique troublante et une impuissance collective tétanisante. Un constat d’errance qui confirme qu’Haïti n’a pas encore produit les élites, les décideurs, les universitaires, les intellectuels, les artistes, les hommes et les femmes qui comprennent les multiples dimensions et le Courage, l’authenticité et les sacrifices qu’exigent la gouvernance d’un pays indépendant, libre et digne. Parce qu’Haïti n’a pas encore saisi sa mission, le pays émerge dans les haillons d’une assistance qui lui donnent l’attrait shitholique des pays improbables, tant les postures serviles et indignes de ces élites révoltent les consciences. Un pays que l’on dit ‘‘dépossédé’’, puisque, par absence d’héritiers dignes et légitimes, le legs de la liberté et l’héritage de indépendance ont été galvaudés. Laissés en déshérence, ils sont en conséquence dévolus à l’assistance internationale qui occupe tout l’espace disponible. Un constat qui n’échappe pas à l’œil vigilant de certains observateurs dont Renel Exentus. Celui-ci livre une analyse cinglante de la dépendance d’Haïti :
« Il est devenu anodin, en Haïti, que les ambassades des puissances impérialistes, dont les États-Unis, l’Union européenne et le Canada, s’arrogent le droit de changer les résultats électoraux et de légitimer des dirigeants non élus. Ces puissances constituent ouvertement, et sur tous les plans, des « gouvernements parallèles », même si cela outrepasse manifestement les lois et les institutions du pays. En Haïti, la parole des émissaires occidentaux est dotée d’un pouvoir, qu’elle ne détient nulle part ailleurs. Cette domination est visible au quotidien, à travers la coopération technique, dans presque tous les ministères et dans la mise en œuvre des activités de développement dans les quartiers. Des institutions régulatrices de l’État, comme la police, sont formées et financées directement par des puissances étrangères. Cette domination s’étend même aux choix du calendrier électoral, du ministre des Finances et du directeur de la Police nationale[ i ]. »
Une dépendance si bien ficelée et strangulée qu’à l’aube de cette 219 ème commémoration de son indépendance, Haïti apparaît comme un vrai casse-tête politique, économique, social et humain. Tout un collectif , en sursis, agonise en folie et laisse flotter des écumes d’une heureuse résilience qui masque imparfaitement l’indigence des institutions étatiques ; lesquelles offrent un parfait Contexte Anthropologique et Sociologique Stratifié pour l’Errance (CASSE).
L’errance de l’écosystème haïtien est si manifeste que même les experts, les sociologues, les politologues, les anthropologues, les historiens, les ‘‘toutologues’’, qui analysent , diagnostiquent et proposent des solutions pour renforcer les institutions haïtiennes, ne savent pas à quel saint se vouer pour produire un changement effectif et durable. Alors qu’on aurait pu croire, que mieux armés par le savoir, mieux guidés par la méthode, que leurs aïeux, ils auraient pu fructifier, 219 ans plus tard, cet héritage de liberté pour s’approcher de ce rêve de dignité et d’humanité reconquise, qui a fait coulé tant d’encre dans le monde. Mais, visiblement, les générations, pourtant lettrées et cultivées, qui ont hérité de l’indépendance, semblent ne pas avoir trouvé le repère intelligible pour les guider sur le chemin de la dignité et de la prospérité rêvé par les gueux de 1804. Et, pis encore, on dirait même qu’elles ont emprunté des raccourcis qui les ramènent infailliblement sur des plans parallèles au plan initial de la déshumanisation, tel qu’il fut pensé par les esclavagistes. Car, s’il faut résumer objectivement et rigoureusement la trajectoire d’Haïti de 1804 à 2023, on peut sans crainte de se tromper y voir une trajectoire parfaitement. Une trajectoire erratique qu’on peut résumer avec l’éloquence d’une insolence, d’une aigreur ou d’une provocation assumée (puisque dans cet écosystème toute critique est intelligente est une aigreur ou une provocation) : 219 ans d’errance collective à la poursuite de rêves blancs pour un invariant réveil en sursaut dans un décor de cauchemars noirs.
Un constat qui invite à une problématisation des diagnostics et des stratégies de lutte proposés depuis la fin du XIX ème siècle, par les réseaux de savoir, de la culture et les foyers de la militance, pour transformer dignement Haïti. Car comme le dit le postulat de la pensée scientifique : tout problème mal posé, mal compris reste invariablement insoluble. Donc si 219 ans après sa fulgurante irruption dans le ciel de la liberté, Haiti offre le spectacle d’une désolation innommable reflétant l’agonie d’un collectif devenu lambeaux d’inhumanité, c’est parce qu’Haïti a connu, sous l’emprise de ses élites crapules et couillonnes, corrompues et criminelles, une métamorphose indigente. Une métamorphose qui a transformé le pays en un territoire abandonné par l’intelligence, et où le triomphe de la médiocrité politique a fructifié le business de la criminalité et de l’indignité pour faire revivre la servilité.
Pour expliquer ce qui est arrivé à Haïti, je propose une axiomatique originale en 6 récits contextuels que je vous livrerai peu à peu au cours de l’année 2023 pour magnifier l’espérance du chant d’un ultime inespéré : Dans toute errance, dans toute souffrance peut jaillir une brèche d’espérance si on sait trouver les mots d’intelligence pour relier les causes de la déshumanisation originelle aux effets de l’éternelle défaillance performante qui augure le destin des peuples noirs.
En attendant, pour vous aider à comprendre ce qui est arrivé à Haïti, je vous invite à imaginer ce que seraient les écosystèmes naturels et humains, si, par une barbarie écologique, les abeilles et les papillons se muraient dans un marronage et ne pouvaient plus détecter le parfum et les couleurs des fleurs qui libèrent tapageusement et frénétiquement leurs senteurs et leur suc comme invitation à la dégustation. Une invitation qui n’est qu’un prétexte au butinage vagabond des abeilles ou provocation délibérée pour faciliter la dissémination des pollen un peu plus loin que leurs racines confortables et reproduire le miracle de la beauté de la nature.
C’est pour moi une manière écologique de conclure en rappelant que : L’intelligence n’émerge que là où un contexte de défaillance rencontre l’insatisfaction collective. Celle-ci doit nourrir l’imagination des acteurs instruits et cultivés pour les pousser à trouver les postures cognitives turbulentes, capables de les mobiliser intranquillement, et à farfouiller sous les strates, qui produisent la réussite pour découvrir les causes enfouies des verrous de leur défaillance. Seule manière authentique et digne de briser le cycle de l’errance, comme jadis des esclaves dignes et courageux avaient farfouillé sous les strates opulentes de la réussite coloniale et esclavagiste pour briser leurs chaînes.
sources : »» https://www.lenational.org/post_article.php++cs_INTERRO++tri=904
...toute la "classe politique" (qui n’est d’ailleurs pas une "classe sociale") sur le même plan ? Lire la suite
...ou ka trouvé tout diks-li, òben yo ka viré enprimé tou sa i fè-a vitman présé! Lire la suite
...À une époque pas si lointaine, l’adjectif qualificatif "national" était fréquemment utilisé po Lire la suite
ce sera très drôle! Lire la suite
...vous vous bouchez les yeux quand il s'agit d'identifier les VRAIS responsables de la situation Lire la suite