Himalaya, 1998 : ma première rencontre avec des antivaccins, récit d'une tragédie

Récit d'un sauvetage qui m'a profondément marqué, professionnellement et humainement. Et qui me hante encore. Je souhaite évoquer ici ma première rencontre, tragique et douloureuse, avec des antivax.

Nous sommes en 1998, en pleine mousson, au Népal. Je suis médecin de l'Ambassade de France dans le cadre de mon service national, que j'effectue comme «volontaire service long» détaché au ministère des Affaires étrangères et de la coopération internationale.

Je reçois une alerte de l'armée népalaise, qui a reçu l’appel au secours d'une famille française. Celle-ci effectue un trek dans le magnifique Dolpo, seule région de l'Himalaya népalais praticable en cette saison mais très isolée. Dans mes fonctions, il y a entre autres l'organisation et la médicalisation des secours en montagne pour les ressortissants français.

Les recherches

Les informations sont sporadiques mais la situation est suffisamment grave – il semble y avoir un mort – pour que le consul m'autorise à engager une mission de recherche avec un hélicoptère de l'armée népalaise. Je précise que ce sont les fonds du cabinet médical de l'Ambassade qui permettent d’avancer les frais de recherche et de secours, à raison de 1.000 dollars US par heure de vol. Je signe donc une garantie de 5.000 dollars US, avec l’accord du consul.

Finalement, nous rechercherons cette famille pendant 37 heures, étalées sur quatre jours. C'est la mousson : lorsque une vallée est bloquée par les nuages et que vous êtes entourés de sommets de plus de 8.000 mètres, il ne s’agit pas de voler au hasard. La seule solution est de se poser et d’attendre que le ciel se dégage. Heureusement, les 37.000 dollars ne nous ont pas été facturés immédiatement, nous n’avions pas cette somme.

« Pour le plus jeune, il est trop tard »

C’est une famille de cinq personnes : le père, la mère et trois enfants de 11, 7 et 3 ans. Pour le plus jeune, il est trop tard. C’est son cadavre, tout gris, que je découvre. Il n'y a rien à faire et depuis longtemps, hélas. J'interroge les parents : leur jeune fils avait de la fièvre et une toux de plus en plus importante, avant d’évoluer vers un état asphyxique trois nuits auparavant. Je les examine les uns après les autres : ils ont tous le croup diphtérique ! Idem pour le cadavre. Je n'avais vu ça que dans des livres, heureusement relus avant de prendre mon poste car je savais qu’au Népal la diphtérie n'avait pas disparu (environ 500 cas par an).

Je reprends l'interrogatoire : les parents sont des anti-vaccins convaincus et n'ont pas de remords quant au décès de leur fils. Ils ne regrettent rien, car «C’est le destin». Je suis encore un jeune médecin ; intérieurement je m'effondre. Je donne le change, et je soigne sans jugement aucun. D'abord les deux gosses – je n'ai que 2 ampoules de 500 mg d'AUGMENTIN dans mon sac de secours. Pour les parents, je devrai attendre leur rapatriement sur Katmandou. Nous affrétons un deuxième hélicoptère et y atterrissons  après plus de quatre heures de vol (une vallée bouchée par les nuages, se poser, attendre, redécoller, recommencer...).

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Image d'illustration
(crédit : Adobe Stock / Branex)

J'emmène tout le monde au seul hôpital universitaire du pays – le Tribhuvan University Teaching Hospital – pour un bilan et la mise en route des antibiotiques. Heureusement, il n’y a pas d'atteinte grave : les deux enfants restent en observation et les parents sont isolés dans un hôtel. Quant à moi, je rentre à l'ambassade pour la déclaration obligatoire et les formalités administratives. J’y passe une bonne partie de la nuit. Il est 6h du matin à Paris, mais je peux échanger avec le personnel d'astreinte du ministère de la Santé. Nous décidons d'un isolement de sept jours avant d'organiser le rapatriement de la famille.

Je dois aussi organiser le rapatriement du corps du jeune enfant dans un cercueil hermétique. Peu de personnes le savent, mais c'est compliqué de rapatrier un corps. Et ça coûte très cher, environ 200.000 francs à l'époque1, dans ce cas précis, pour un cercueil hermétique «risque infectieux». Avec le ministère des Affaires étrangères et le Consulat de France au Népal, nous organisons le rapatriement de la famille qui est à nouveau rassemblée. Physiquement, ils vont bien. Mais les enfants sont sidérés, ils comprennent peu à peu qu’ils ont perdu leur petit frère.

Le père est mutique. Lorsque j'arrive à obtenir quelques mots, il n'exprime aucun remords. Sa femme me prend à part et me dit «Si j'avais su...». En consultant les carnets de santé des enfants, j'apprends qu'ils ont obtenu d'un pédiatre de faux certificats de DTP pour pouvoir voyager.

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L'hôpital Tribhuvan
(crédit : Tribhuvan University Teaching Hospital)

La polémique

Heureusement pour les finances du cabinet de l'Ambassade de France, leur assurance prend en charge l'ensemble des frais engagés et les rapatriements de la famille et du corps (en effet, la diphtérie, éradiquée en France, n'apparaît pas dans les clauses d'exclusion du contrat). Il est 6h du matin ce samedi sur le tarmac de l'aéroport Tribhuvan de Katmandou. J'arrive avec la famille que j'installe dans un airbus avant tous les autres voyageurs. Même si ce n'est pas utile – tous sont considérés comme guéris – ils ont des masques chirurgicaux pour le voyage. La compagnie aérienne a accepté cette «contrainte» en connaissance de cause et n'a opposé aucun obstacle. La famille est accueillie à Paris par la cellule de veille sanitaire.

Cette triste histoire aurait pu en rester là mais huit jours plus tard nous recevons un appel du chef de cabinet d'Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères. Le Quotidien du médecin nous accuse d'avoir réintroduit la diphtérie en France, alors qu'il n'y avait plus eu de cas depuis 1990 !

L'article nous traîne dans la boue, nous accuse de n'avoir pris aucune précaution et raconte que la famille est arrivée non isolée à l’aéroport Charles De Gaulle. Je suis directement mis en cause. Mes proches sont à 8.000 kilomètres, je suis un jeune professionnel…  Je vis mal ces accusations. Heureusement, j'ai le soutien de ma hiérarchie tant civile (mon ambassadeur, mon consul et le ministère des Affaires étrangères) que militaire (je suis sous les drapeaux et le commandant de zone basé à New Delhi m'apporte un soutien officiel). L'ambassade obtient un droit de réponse qui sera publié trois ou quatre jours plus tard mais les conséquences de cet article sont déjà là : le Cnom nous demande un rapport, la presse s'en mêle, l'INVS demande des explications supplémentaires alors que nous les avions déjà fournies.

Nous détaillons au Quotidien du médecin les conditions de la prise en charge par l’intermédiaire du consul, sans trahir le secret médical, et en parallèle nous menons notre propre enquête : nous apprenons qu’à l’arrivée à Paris la famille ne portait pas de masques et était sortie avec les autres passagers. La famille est bien restée isolée et masquée dans le vol Katmandou-Bangkok, mais il n'y a pas eu de relais par les personnels sanitaires lors de l'escale (je précise à nouveau que les membres de la famille étaient considérés comme guéris).

Je suis «blanchi» par la rédaction du Quotidien du médecin et par le Cnom, mais ne reçois aucun appel, aucune excuse, aucun soutien. 

« Encore aujourd’hui, je ne comprends pas »

Cela fait plus de vingt-trois ans.
Encore aujourd’hui, je ne comprends pas. Je n’ai pas trouvé le sens de tout cela.
Pourquoi tricher avec la vaccination DTP ?
Pourquoi ne pas bénéficier d’un traitement préventif éprouvé, efficace à presque 100% ?
Pourquoi accepter de perdre son enfant ? 

Cela m’est insupportable, tout simplement. 

À l’occasion de la pandémie Covid, cette incompréhension me revient en pleine face. Sous prétexte de tous les maux possibles, on laisse la place à la peur, qui peut être légitime, puis à la colère qui ne l’est pas, puis à la violence qui elle est insupportable. Ainsi Maître Yoda avait raison : c’est la parfaite recette pour tomber du côté sombre de la Force, Force d’autant plus puissante que des politiques s’en mêlent et que des «scientifiques» clament leurs pseudo-certitudes sur la place publique, refusant au passage tout débat.

Le Covid-19 n’est pas une grippe. Le virus mute, c’est dans sa nature, et nous oblige à rester humbles et vigilants ! Les vaccins, développés dans un temps record mais avec toutes les étapes nécessaires, sont efficaces à l’échelon individuel – en particulier chez les plus fragiles – et à l’échelon collectif. 

Je suis toujours transparent quant à mes liens avec l’industrie, passés et actuels, dans le domaine de la recherche clinique et fondamentale. Mais je n’ai aucun lien avec les fabricants de vaccins ou d’anticorps monoclonaux. Comme tous les soignants qui ont été et sont encore au front face au Covid-19, je ne me suis pas enrichi depuis 18 mois, sauf en prenant des gardes supplémentaires. Je n’ai même pas touché la prime «Covid» car je suis arrivé dans mon hôpital actuel en cours de première vague. 

Voici ce que je voudrais simplement dire aux antivax : je ne vous comprends toujours pas et, en période de pandémie, je ne vous excuse pas. Mais en tant que médecin je vous soignerai sans vous juger. Cependant, je n’accepterai aucune critique, aucune complainte autre que celle concernant votre maladie. Pour le reste, je vous laisse porter votre propre regard sur ce que vous avez provoqué et sur vos motivations.  

Je n'avais jusqu’alors raconté cette histoire qu'à de rares proches et à certains collègues qui ont travaillé dans des pays en voie de développement. Aujourd'hui, alors que le tiers-monde a plus que besoin du vaccin, je le répète : être anti-vaccins est un privilège de riche.

Nicolas Peschanski

Note :
1- En tenant compte de l'inflation, ceci représente environ 41.000 euros aujourd'hui. 

 

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