En mai, les Etats-Unis ont annoncé qu’ils cesseraient de fournir à Israël des bombes de 500 livres (pounds), et surtout les bombes de 2 000 livres (presque une tonne) à Israël, mentionnant les dommages meurtriers que font ces armes dévastatrices lorsqu’elles sont employées sur des zones densément peuplées à Gaza. «Des civils ont été tués à Gaza à cause de ces bombes et d’autres méthodes utilisées pour attaquer les lieux à forte population», déclarait le président américain sur CNN. En juillet, Israël a obtenu que certaines livraisons reprennent, mais les Etats-Unis ont maintenu leur veto sur ces armes : «Je ne fournis pas les bombes de 2 000 livres. Elles ne peuvent pas être utilisées à Gaza ou dans toute autre zone peuplée sans provoquer de grandes tragédies humaines et de grands dégâts», avait de nouveau expliqué Biden. Declaration quelque peu tardive, ont déploré certains commentateurs, sachant que selon Reuters, les Etats-Unis avaient fourni pas moins de 14 000 de ces bombes à Israël depuis le 7 Octobre, parmi les plus dévastatrices de l’arsenal israélien.
L’arrêt des livraisons au printemps n’a pas été synonyme d’arrêt de leur utilisation par Israël. En témoigne notamment la frappe meurtrière réalisée avec des «2 000 livres» en juillet sur Al-Mawasi, la «zone humanitaire» surpeuplée que l’Etat hébreu a délimitée le long de la côte sud de Gaza. Selon Tsahal, la frappe ciblait, et a tué, le commandant du Hamas Mohammed Deif, un des plus hauts responsables de l’organisation islamiste, recherché depuis les massacres du 7 Octobre, dont il est tenu pour l’un des principaux responsables.
Mardi 10 septembre, c’est à nouveau dans la mal nommée «zone humanitaire» qu’au moins quatre projectiles israéliens ont frappée. Bilan : au moins 19 morts, plus d’une vingtaine de disparus, et 60 blessés d’après le ministère de la Santé de l’enclave contrôlé par le Hamas. L’armée israélienne a revendiqué le tir et décrit «une frappe précise, basée sur des éléments de renseignement» qui aurait ciblé trois hauts membres du Hamas. L’analyse des cratères, des fossés de près de 9 mètres de profondeur pour 15 mètres de largeur laissés au milieu des tentes de réfugiés, et des débris retrouvés sur le site, signe d’après différents experts interrogés par la presse américaine (CNN et le New York Times) de l’utilisation de bombes de 2 000 livres, précisément des MK-84.
Les bombes de 2 000 livres, fabriquées par les Etats-Unis depuis soixante-dix ans, ont été au cœur de la campagne aérienne lancée par Israël après le 7 Octobre, et notamment lors des premières semaines du conflit, qui furent les plus meurtrières pour la population gazaouie. Selon un officiel militaire américain cité par le New York Times, 90 % des projectiles lancés par Israël durant les deux premières semaines de la guerre étaient des bombes de 1 000 ou 2 000 livres.
Six semaines après le début du conflit, le New York Times avait recensé au moins 208 cratères correspondant à ces bombes dans le sud de Gaza, où la population avait alors ordre de fuir. Le 6 novembre, CNN en comptait plus de 500, principalement dans le nord de l’enclave. Des analyses très conservatrices, d’abord parce que le New York Times avait restreint ses recherches à une partie de l’enclave, et surtout parce que ces bombes ne laissent pas systématiquement des cratères identifiables sur les images satellites (procédé utilisé par les deux rédactions dans leurs investigations). Ainsi, le nombre de bombes de 2 000 livres utilisées depuis le début du conflit se compte sans aucun doute en milliers, même s’il demeure inconnu. Le 12 octobre, soit après moins d’une semaine de conflit, Israël revendiquait d’avoir lâché 6 000 bombes sur Gaza en une semaine, équivalent à 4 000 tonnes d’explosifs.
Un calibre utilisé pour atteindre les tunnels du Hamas
Si l’on met de côté quelque 50 bombes de 5 000 livres que l’Etat hébreu a achetées aux Etats-Unis en 2015 d’après le New York Times, ces bombes de 2 000 livres sont les plus gros projectiles de l’arsenal israélien. Tsahal utilise notamment ce calibre pour atteindre et détruire les tunnels du Hamas, disséminés plusieurs mètres sous terre dans les zones résidentielles de Gaza.
En surface, ces MK-84 ou BLU-119 (des bombes antibunker du même poids mais à la composition différente) rasent des pâtés de maisons entiers, causant des dégâts humains considérables. L’ONU établit leur rayon de létalité à 33,5 mètres, indiquant qu’elles peuvent faire des blessés jusqu’à 350 mètres, bien que ces paramètres varient en fonction de l’environnement et du mode d’explosion (sous terre ou au-dessus du sol). Comme l’expliquait Marc Garlasco, ancien du Pentagone qui a été chef du ciblage de cibles importantes durant la guerre en Irak de 2003, à CheckNews en octobre 2024, «l’utilisation d’une arme aussi puissante a [également] pour effet de provoquer la «liquéfaction» de la terre − comme lors d’un tremblement de terre − et de causer des dommages structurels avec l’onde de choc».
Nombre des frappes les plus meurtrières du conflit ont été réalisées à l’aide de ces bombes. La frappe réalisée sur le camp de Jabalia le 31 octobre est l’œuvre d’au moins une bombe de 2 000 livres, peut-être de plusieurs d’entre elles. Cette dernière, qui a rasé d’un seul coup un pâté de maisons entier d’un quartier très densément peuplé, a tué entre 126 et 143 personnes d’après le décompte indépendant de l’organisation non gouvernementale Airwars, dont au moins 69 enfants, et aurait fait jusqu’à 28 blessés.
Le 12 février, lors de la nuit de bombardements appelés «massacre du Superbowl», réalisés à Rafah alors que l’armée israélienne extirpait deux otages de la ville du sud de Gaza, une analyse des cratères par un spécialiste contacté par CheckNews, suggère, dans au moins deux cas, l’utilisation de ces bombes.
Cet usage de projectiles aussi dévastateurs dans des zones urbaines particulièrement densément peuplées est très loin des critères militaires européens et américains en la matière, selon un expert familier de ces questions, interrogé par CheckNews en décembre. Ces critiques, ainsi que la pression croissante de l’opinion publique, ont donc contraint les Etats-Unis à suspendre leurs livraisons. Sans que cela ne fasse pour autant cesser leur utilisation par Israël.
Si les critiques se sont focalisées, depuis près d’un an de bombardement, sur ces bombes dont le calibre est jugé disproportionné en milieu urbain, ces dernières n’expliquent pas à elles seules l’ampleur du bilan humain et des destructions de Gaza. La frappe sur le camp de réfugiés de Rafah du 26 mai, qui avait fait 45 morts et des centaines de blessés d’après le ministère de la Santé de Gaza (contrôlé par le Hamas), et dont les images de tentes en flamme et d’un bébé décapité avaient fait le tour du monde, avait été menée à l’aide de deux GBU-39. Des bombes de moindre calibre, faisant chacune 250 livres (110 kilos), et contenant 17 kilos d’explosif. Soit 25 fois moins que les MK-84 largués sur Al-Mawasi en début de semaine.
En juin, le haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a publié un rapport sur «l’utilisation de bombes lourdes par Israël à Gaza», et les «graves inquiétudes» que cela suscite au regard des lois de la guerre. Le rapport vise six attaques meurtrières menées par Tsahal, la plupart du temps dans avertissement aux populations civiles, entre octobre et décembre 2023. Des frappes impliquant l’utilisation présumée de bombes GBU-31 (2 000 livres), GBU-32 (1 000 livres) et GBU-39 (250 livres) contre des immeubles d’habitation, une école, des camps de réfugiés et un marché. «Les choix d’Israël en matière de méthodes et de moyens pour mener les hostilités à Gaza depuis le 7 Octobre, notamment l’utilisation massive d’armes explosives à large rayon d’impact dans des zones densément peuplées, n’ont pas permis de faire une distinction efficace entre civils et combattants», dénonce le rapport. «L’obligation de choisir des moyens et des méthodes de guerre qui évitent ou, à tout le moins, minimisent dans toute la mesure du possible les dommages causés aux civils semble avoir été systématiquement violée dans la campagne de bombardements d’Israël», déclarait le haut-commissaire aux droits de l’homme, Volker Türk.
Depuis le début de la campagne sur Gaza, Israël s’est toujours défendu en affirmant respecter le droit international et prendre toutes les précautions possibles pour limiter les dommages causés aux civils.
Au camp d' Al-Mawasi, le 10 septembre 2024.© Mohammed Salem
...À une époque pas si lointaine, l’adjectif qualificatif "national" était fréquemment utilisé po Lire la suite
ce sera très drôle! Lire la suite
...vous vous bouchez les yeux quand il s'agit d'identifier les VRAIS responsables de la situation Lire la suite
Les propos de Crusol sont gravissimes .C'est néanmoins une analyse originale qui mérite qu'on s'y Lire la suite
Rien de plus facile que de modifier la constitution. Lire la suite