La sociologue mexicaine, Claudia Alavez, puise dans son expérience en Haïti pour fournir des conseils salutaires.
Il y a quelques mois, une camarade latino-américaine est arrivée en Haïti. Quelques jours après s’être installée dans sa nouvelle maison, elle m’a appelée, très angoissée, et m’a dit : « Pourquoi tout le monde m’appelle blan ? »
Bien que cela puisse surprendre certains Haïtiens, l’appellation blan provoque chez les étranger. es, en particulier chez les latino-américain.es, des crises existentielles.
J’ai beaucoup ri, car cette crise existentielle du blan en Haïti m’amuse beaucoup. Et je ne dis pas cela pour me moquer ou par mépris. C’est plutôt en pensant à ce passage gênant que nous devons tous et toutes traverser.
L’histoire de cette camarade m’a rappelé la mienne, il y a de cela quelques années, et aussi celle de bien d’autres ami.es. À l’époque, j’ai lu, j’ai posé des questions et j’ai organisé des fêtes chez moi afin d’écouter les différents avis sur ce que c’est d’être blan en Haïti. J’ai fait de la « sociologie artisanale », dirait-on à l’université.
Le résultat de ma recherche a suscité plus de questions que de réponses, mais je ne vais pas rentrer dans les détails, parce que mon objectif est d’apporter quelques conseils à d’éventuels blan en souffrance dans les rues (en effet, je ris de plus belle).
Regarder le blan
La première fois qu’on m’a appelée blan, j’ai failli m’évanouir. Moi, blan ? Moi qui n’ai absolument rien de blan. Je suis passée par toutes les émotions.
Le premier mois, je refusais de parler à toutes les personnes qui m’appelaient ainsi. J’étais en colère. Ma stratégie était de répéter mon prénom autant de fois que nécessaire. Cela n’a pas marché.
Un jour, on m’a appelée « Madame blan ». Madame et blan dans la même phrase, c’était au-delà de ce que je pouvais imaginer. Je dois avouer que j’en ai ri, et depuis lors, j’ai commencé à m’y faire.
Cher. e blan, prépare-toi à ressentir toutes les émotions. Tu dois oser regarder le blanc en face, peut-être qu’il y a un peu de ce blanc en toi. Prends le temps de réfléchir. Pourquoi ça me met en colère ou pourquoi ça me fait plaisir ? Est-ce que le blanc existait pour moi ? C’est quoi être blanc dans mon imaginaire ? Est-ce que j’étais considéré. e comme blanc.he dans mon pays ? Réponds à ces questions et tu verras comment la plupart de tes colères, de tes doutes et de tes idées confuses commenceront à s’éclaircir.
L’étendue des connaissances du peuple haïtien te montrera que blan ne se réduit pas à une couleur de peau. Alors, ne crains pas de regarder le blanc qui est en toi. Regarde-le, scanne-le, identifie le mal et le pas si mal et trace ton chemin vers le salut.
Apprends la langue des non-blanc·hes : kreyòl pale, kreyòl konprann
Il y a quelques années, quand j’ai commencé à apprendre le créole, un de mes étudiants d’espagnol m’a remis « son devoir ».
Dans son texte écrit en créole, il y avait un mot que je ne comprenais pas. L’étudiant m’a dit que je ne pouvais pas comprendre parce que le mot n’était pas en créole, mais en français. J’ai utilisé mon traducteur et à ma grande surprise, le mot n’existait pas. Je suis allée voir l’étudiant à nouveau et il m’a dit : « Non, non tu ne vas pas le trouver parce que c’est du français, mais écrit en créole ».
Cette expérience m’a laissée perplexe. Comment allais-je faire pour apprendre cette langue ? Je pensais que ce serait facile, car pour conjuguer les verbes, il suffit de les précéder d’un marqueur temporel. De nouveau, j’ai eu recours à la sociologie artisanale et j’ai invité à dîner un ami qui est professeur de linguistique à l’Université d’État D’Haïti. Je lui ai fait part de mes doutes sur ma capacité à apprendre le créole et il m’a dit : « Le créole a surgi d’une nécessité de nommer la réalité du marronnage et par conséquent, il maintient la pratique qui l’a fait naitre : il ne se laisse pas attraper. On pourrait dire que dans sa genèse, cette langue n’émerge pas d’une convention abstraite, c’est une communication dirigée qui rassemble l’expérience de différents peuples. » Bien que son explication ne m’ait pas ôté la peur du défi qu’est l’apprentissage du créole, elle m’a néanmoins beaucoup encouragée à faire l’effort et à avoir envie de communiquer dans cette langue.
Apprendre le créole va te permettre de mieux comprendre d’où on parle quand on nomme le blan, c’est une cure infaillible pour sortir de ta crise existentielle. Ne te décourage pas quand on te dit : « manje a prèske pare » ou « mwen prèske rive » et que 45 minutes plus tard, ce fameux prèske est toujours d’actualité. Cela n’a rien à voir avec la langue, il s’agit plutôt d’une notion du temps de laquelle nous pourrons parler à une autre occasion. Maintenant, concentrons-nous sur ce petit manuel.
Cher. e Blanc.he, voici mon conseil : apprend le créole. Si tu penses que cela ne vaut pas la peine d’investir du temps dans l’apprentissage d’une langue qu’on ne parle qu’en Haïti, et que c’est plus utile de parler ou d’apprendre le français, alors tu es vraiment trop blanc.he, et tu peux arrêter de lire ce manuel (oui, cela me fait rire).
Débarrasse-toi de ta blanchité : ajuste-toi
Si tu es arrivé jusqu’au point trois, alors tu es sur la bonne voie. Tu te trouves à un moment déterminant pour ton futur, car ta performance à ce stade pourra te mener soit vers l’isolement, soit vers un retour à la maison, soit vers une bonne adaptation.
La première chose à prendre en compte est que, dans n’importe quel pays, le choc culturel peut provoquer de la tristesse et de la confusion, mais nous y sommes tous et toutes confrontées. Avoir conscience des codes culturels t’aidera beaucoup.
— Tu dois éviter de critiquer et de juger sur la base d’une première expérience. Ne te laisse pas influencer par un mauvais jour pour généraliser et construire une barrière mentale qui t’éloignera encore plus de la possibilité de connaitre le pays.
— Si tu aimes lire, je te recommande des auteur.ices comme Jean Casimir, Laënnec Hurbon et Suzy Castor. Ces intellectuel.les ont une ample production en français qui te permettra de comprendre les principaux phénomènes sociaux du pays. Par ailleurs, si tu préfères la littérature, Gouverneurs de la rosée et Le royaume de ce monde sont mes meilleures recommandations littéraires pour commencer à voir-penser Haïti depuis le monde caribéen.
— Fais des recherches, pose des questions, écoute de la musique. Cela te sera d’une grande aide. Ne questionne pas tout ce que tu ne comprends pas, laisse-toi fasciner par les rythmes, les couleurs et les saveurs du quotidien haïtien.
Nommer le blan
Il y a quelque temps, je discutais avec deux amis. À un moment de la conversation, c’est moi qui ai dit : « Personne ne lui parle parce que c’est un vrai blan. » Quelques minutes plus tard, je me suis interrompue, je ne pouvais pas croire ce que j’étais en train de dire. Pourquoi maintenant je commençais à parler de blan, en pointant du doigt d’autres personnes ? C’est à ce moment-là que « j’ai compris ».
Alors, cher. e blan, si tu es arrivé. e jusque-là, ta crise existentielle est peut-être terminée, mais pas ton chemin d’apprentissage. Maintenant tu es prêt. e à entrer dans le fabuleux monde du nèg et du nèg blan.
À suivre…
Il faut être un sacré farceur pour faire croire aux Martiniquais qu'un deuxième Cuba est possible Lire la suite
...toute la "classe politique" (qui n’est d’ailleurs pas une "classe sociale") sur le même plan ? Lire la suite
...ou ka trouvé tout diks-li, òben yo ka viré enprimé tou sa i fè-a vitman présé! Lire la suite
...À une époque pas si lointaine, l’adjectif qualificatif "national" était fréquemment utilisé po Lire la suite
ce sera très drôle! Lire la suite