Mérine Céco, martiniquaise contemporaine capitale

Les romans publiés ces dernières années par Mérine Céco constituent aujourd'hui l'une des œuvres en construction les plus importantes de la littérature caribéenne. À savoir, pour ceux qui s'intéressent à la continuité et aux soubassements de la production littéraire antillaise d'aujourd'hui.

S'il est aujourd'hui une écrivaine qui, aux Antilles, dans la jeune génération littéraire qui fait suite à la Créolité, est selon moi bien mieux qu'une valeur sûre, c'est sans nul doute Mérine Céco. À vrai dire, depuis La mazurka perdue des femmes-couresse en 2013, c'est bien une œuvre au sens plein du terme que nous voyons se déployer sous nos yeux : l'une de celles qui renouvellent cette littérature dans des proportions inattendues. Couronné par le Prix Gilbert Gratiant en 2014, ce premier roman, déjà hanté par la quête des origines, a été suivi par plusieurs ouvrages majeurs qui fondent une écriture d'une acuité particulière.

Ce qui caractérise à la fois Au revoir Man Tine (2016), D'autres vies sous la tienne (2019) et aujourd'hui Le pays où l'on ne vient pas (2021), c'est certainement une connexion rare avec les évolutions récentes qu'a connues la société antillaise, à la fois orpheline et tributaire des structures issues de la société d'habitation. C'est à ce titre qu'avec d'autres écrivains de sa génération, Mérine Céco permet d'examiner à neuf ces problématiques qui, loin d'être figées dans les justes diagnostics posés dès les années soixante, ont connu aussi leurs évolutions inattendues : entrée précipitée dans la société de consommation, vertige identitaire, radicalités idéologiques, mal-développement, errances sociale et collective.

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Une œuvre donc, où se dessinent déjà des traits spécifiques, tournant autour d'une articulation sans cesse interrogée, entre le passé et un présent fait d'angoisses individuelles et communes. Remémoration générationnelle dans Au revoir Man Tine, secrets et nœuds familiaux dans D'autres vies sous la tienne et mise en perspective de la situation actuelle de stagnation antillaise dans Le pays où l'on ne vient pas. Dans Le talisman de la présidente, publié en 2018 sous le vrai nom de l'auteur, Corinne Mencé-Caster (ancienne présidente de l'université des Antilles et actuellement professeur de linguistique hispanique à la Sorbonne) dresse une peinture assez inouïe en son genre, du poison de la corruption qui mine cette société.

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Les romans de Mérine Céco sont des jalons, construits à la faveur d'une recherche de lucidité qui ne tait jamais une inquiétude lancinante. Et ne voilà-t-il pas que la littérature, reprise à vif, se révèle une fois encore l'instrument le mieux à même de dire le réel antillais. Sans concession, nécessairement, puisqu'il s'agit d'une quête vitale, et non d'un exercice plaisant. Une intensité partagée avec d'autres noms, plus rares qu'on ne pourrait le croire, dans la littérature antillaise d'aujourd'hui. Vision sans complaisance des plaies béantes d'une histoire et d'un vécu communs, écriture intuitive face aux gestes révélateurs d'une société et de ses acteurs, attention aux actes manqués d'individus chez qui sourd un manque, une incomplétude, un malaise. Mérine Céco scrute l'intranquillité martiniquaise de son époque, dans une œuvre qui ne cherche pas à magnifier, mais qui interroge. Une écriture qui cherche et explore, encore, les devenirs incertains et les craintes inavouées de la Martinique d'aujourd'hui.

Une œuvre se construit là, majeure pour notre temps, capitale pour la Martinique. Sachons y reconnaître les linéaments d'une continuité déterminante des littératures caribéennes, aux côtés aujourd'hui de Yanick Lahens, Gaël Octavia, Alfred Alexandre. Des livres à découvrir, à faire partager, et à suivre.

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