La romancière martiniquaise Mérine Céco (Corinne Mencé-Caster à la ville, professeure d’université à La Sorbonne) vient de publier "Le pays d'où l'on ne vient pas". Un ouvrage lucide et percutant sur les tourments mémoriels qui taraudent les Antilles.
Nous ne trahirons aucun secret en disant que l’écrivaine Mérine Céco est le pseudonyme de Corinne Mencé-Caster. C’est connu. Ancienne présidente de l’Université des Antilles, dorénavant titulaire de la chaire de linguistique hispanique à l’Université de Paris IV-Sorbonne, cette quinquagénaire agrégée d’espagnol (à 22 ans !) et docteure en sciences du langage partage son temps entre l’enseignement, la recherche et la littérature. "Le pays d'où l'on ne vient pas", qui vient de paraître aux Editions Ecriture, est son cinquième roman.
"Roman sur les errances identitaires, et les écueils de la mémoire collective. Les solidarités féminines questionnent notre présent à la lumière de notre passé, entre Europe, Afrique et les Antilles", écrit-elle dans une dédicace à son livre. Ce dernier conte l’histoire de Fèmi, née au Bénin, en Afrique de l’Ouest, d’un père martiniquais. Le grand amour de sa mère, originaire du village lacustre de Ganvié. Un beau jour, celui-ci ne rentre pas de son travail et disparaît sans rien dire à personne. On apprendra qu’il est reparti sur son île natale. L’enfant a alors trois ans. Quelque 25 ans plus tard, devenue journaliste, Fèmi veut en savoir plus sur ses origines. Une opportunité professionnelle la fait partir en Martinique, où elle découvre un complot ourdi par une mystérieuse "délégation".
Le roman commence donc au Bénin, que Corinne Mencé-Caster a eu l’occasion de visiter. "J’ai passé un mois au Bénin de février à mars 2020 dans le cadre de la célébration du Mois de l’histoire des Noirs et Afro-descendants", déclare-t-elle à Outre-mer La 1ere. "C’est curieux mais en foulant le sol, je me suis sentie chez moi et j’ai été bouleversée en me retrouvant devant la porte de Ouidah (cité côtière d’où sont partis des centaines de milliers d’esclaves vers les Amériques entre le XVIe et le XIXe siècle, ndlr)". Mais si l’histoire débute sur le continent africain, on ne s’y attarde pas. La Martinique et ses dérives constituent le sujet du livre. Et il y a cette fumeuse délégation, chargée d’une "mission de prospection sur la mémoire et ses enjeux", qui fait avaler à la population "des petites dragées rose pâle". Dans quel but ? Réponse d’un personnage du roman :
L’oubli constituait ainsi le ferment du nouveau contrat tacite qui avait été passé entre les bourreaux et les victimes, contrat qui avait été aussi scellé par le gouvernement central et les élites locales de Madino (la Martinique, ndlr). Avec l’arrivée de la délégation, ce pacte retrouvait ses lettres de noblesse : ingurgiter les petites dragées rose pâle, c’était faire de nouveau le pari de l’oubli, mais cette fois, avec le consentement officiel des descendants d’esclavisés.
Corinne Mencé-Caster
Pour "le pays de froidure", la gestion de la mémoire était donc devenue "un enjeu politique majeur", écrit la romancière. "Concernant cette question, je crois que nos populations attendent qu’on reconnaisse - véritablement - que l’esclavage est un crime contre l’humanité, que les békés, avec la complicité de l’État français les ont empoisonnées à la molécule de chlordécone et encore toute une série d’autres choses. Si ces considérations ne sont pas prises en compte, je crois que l’on aura de plus en plus de mal à accepter notre situation de "toujours et encore colonisé", que la néo-colonisation côtoie l’ancienne et qu’on est dans une impasse", précise Corinne Mencé-Caster à La1ere.
L’ouvrage, d’une écriture limpide, est d’une formidable lucidité sur la complexité de l’histoire du pays Martinique et de ses habitants. L’autrice investit les méandres psychologiques les plus profonds, les non-dits, la "cyclothymie ambiante", comme l’explique la principale protagoniste. Les problématiques actuelles sont évoquées sans tabous : la question du genre, le rapport à l’Afrique et à l’Hexagone, le colorisme (la hiérarchie pigmentaire et le rejet de la peau noire), l’empoisonnement aux pesticides, la violence sociale, la mémoire du Bumidom, la vie des Antillais en banlieue parisienne…
Porté par de fortes personnalités féminines, le roman s’inscrit dans leur vision du monde, qui n’est d’ailleurs pas univoque. Au passage, Corinne Mencé-Caster livre sa réflexion sur la figure de la femme "poto-mitan", à laquelle elle préfère celle de la "néo-dissidente", la révoltée consciente et active, non assignée à un statut définie par et pour les hommes. "Personne n’aurait jamais imaginé qu’elles puissent ainsi changer le cours des choses. Personne ne les envisageait comme des actrices de la grande histoire, surtout dans cette période de crise. Personne ne savait à quel point leur amour maternel serait le détonateur de leur résistance."
"Le pays d'où l'on ne vient pas", par Mérine Céco – éditions Ecriture, 288 pages, 20 euros.
...À une époque pas si lointaine, l’adjectif qualificatif "national" était fréquemment utilisé po Lire la suite
ce sera très drôle! Lire la suite
...vous vous bouchez les yeux quand il s'agit d'identifier les VRAIS responsables de la situation Lire la suite
Les propos de Crusol sont gravissimes .C'est néanmoins une analyse originale qui mérite qu'on s'y Lire la suite
Rien de plus facile que de modifier la constitution. Lire la suite