Quand ville de Saint-Pierre honore sa mémoire indienne

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   Christian Rapha, premier édile de notre ville d'Art et d'histoire, Saint-Pierre, a inauguré ce dimanche 15 octobre un Mémorial en l'honneur des premiers immigrés indiens arrivés à la Martinique en 1856, cela en présence de l'ambassadeur de l'Inde en France, son Excellence Jawed Ashraf. 

   On trouvera ci-après de texte du discours prononcé à cette occasion par C. Rapha, suivi de quelques photos de cette importante manifestation...

 

***

 

Son Excellence monsieur l’Ambassadeur de l’Inde en France,

Monsieur le Préfet de la Martinique,

Madame la Sous-Préfète,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Monsieur le Président de la CTM,

Monsieur Le Président de Cap Nord,

Mesdames et Messieurs en vos grades et qualités,

 

Le 6 mai 1853 arrivait dans notre belle rade de Saint-Pierre, à bord d’un navire portant le nom de L’Aurélie, le tout premier convoi de 313 travailleurs sous contrat en provenance de Karikal, comptoir français du sud de l’Inde.

54 convois s’ensuivront, cela jusqu’en 1900, transportant près de 30.000 Indiens dans notre île, qui était alors une colonie.

L’Inde, de son côté, était sous domination britannique et secouée par des famines récurrentes, chose qui poussa des centaines de milliers d’entre ses plus pauvres à émigrer à la Réunion, à l’île Maurice, à Trinidad, au Surinam, au Guyana, à la Guadeloupe et à la Martinique.

Dans notre île qui venait, en mai 1848, de connaitre l’abolition de l’esclavage, les planteurs en vinrent à manquer de bras, nombre d’anciens esclaves ne voulant plus continuer à couper la canne à sucre.

Appel fut alors fait à des immigrants indiens, chinois et congolais.

Il convient ici d’apporter une précision rarement évoquée s’agissant de ces trois catégories : le fait que l’immigration indienne était la plus aventureuse, la plus risquée, car l’hindouisme condamne toute personne qui décède hors de la terre sacrée de l’Inde à la réincarnation perpétuelle et donc à une souffrance sans fin.

D’autre part, la civilisation indienne a toujours entretenu une relation problématique avec l’océan et celui qui osait le franchir encourait la malédiction du Kala pani ou « Eaux noires ».

J’ai tenu à rappeler ces quelques éléments historiques pour montrer à quel point les Indiens qui émigrèrent à la Martinique firent preuve d’un courage impressionnant car s’ils disposaient d’un contrat de cinq ans au terme duquel ils étaient rapatriables en Inde, beaucoup ne purent bénéficier de cette clause.

En effet, ils étaient le plus souvent lourdement endettés auprès des épiceries des planteurs et se voyaient obligés de signer un deuxième contrat.

Ceci fait, il n’était plus question de retour au pays, leurs conditions de travail dans les champs de canne à sucre étant effroyables, cela dans des conditions sanitaires tout aussi effroyables.

De plus, ils furent longtemps en butte à l’hostilité des Noirs fraichement libérés et leur religion fut considérée comme de la sorcellerie.

Or, en dépit de tous ces obstacles, les Indiens parvinrent, au terme d’un parcours certes difficultueux, à s’intégrer à une société créole déjà constituée deux siècles avant leur arrivée.

Cela au point que le plat national martiniquais a fini par avoir pour nom le « colombo » et la coiffe féminine le « madras ».

C’est que les Indo-Martiniquais apportèrent avec eux des plantes médicinales, une cuisine et surtout une religion, l’hindouisme qui existe encore de nos jours.

L’apport indien a surtout insufflé une forme de douceur et de sérénité à une société marquée dès son origine par une violence extrême.

Le génocide des Kalinagos, autochtones de notre ile, et la mise en esclavage des Africains par les colons européens constituèrent, en effet, l’acte de naissance de la société martiniquaise avec leur cortège de douleurs et de déni d’humanité.

L’engagisme des Indiens, en qui certains historiens, voient une forme d’esclavage masqué, s’il s’ajoute à ces atrocités, a réussi, patiemment, sans bruit ni fracas, au terme de plus d’un siècle et demi de présence indienne à la Martinique, 170 ans très exactement, à enraciner l’indianité dans notre culture.

A l’amérindianité native, suivie de l’européanité et de l’africanité, est venue s’ajouter l’indianité, faisant de notre microcosme insulaire un concentré de toutes les cultures du monde.

Une sorte de préfiguration de l’actuelle mondialisation.

Je me réjouis donc qu’une fois de plus, qu’un hommage solennel soit rendu à la facette indienne de notre kaléidoscope culturel par le dévoilement de cette stèle, ici, aujourd’hui, Place de l’Aurélie.

Nous sommes ici réunis pour un troisième acte symbolique après la dénomination de la place Reyne en place de L’aurélie et la plantation d’un margousier dans les jardins de la mairie.

C’est un message fort que nous souhaitons donner à la diaspora Indienne de Saint-Pierre et de la Martinique mais aussi aux Indiens de l’Inde.

En ces temps troublés où à travers le monde, hélas, les conflits armés se multiplient, faisant des milliers de morts innocents, il est important de célébrer la fraternité des peuples et des cultures.

Mais nous souhaitons aller au-delà des symboles et accompagner la volonté politique du Président du Conseil Exécutif et de son Excellence Jawed Ashraf qui souhaitent le développement des échanges culturels, économiques et touristiques entre l’Inde à la Martinique.

La ville de Saint-Pierre, ville d’art et d’histoire, souhaite, elle aussi, s'engager davantage dans les relations entre l’Inde et la Martinique notamment à travers un jumelage avec la ville de Karikal, la création d’un espace multiculturel où l'expression de la culture indienne sera valorisée avec la culture martiniquaise.

Ce sera un lieu d’apprentissage, d’échanges, de rencontres et de diffusion où chacun pourra y trouver une place d'expression propre, d'une culture ou d'un multiculturalisme assumé.

Et pourquoi pas, en accueillant sur notre territoire le futur consulat de l’Inde ?

Je conclurai en citant Marcus Garvey qui disait : Un peuple méconnaissant son passé, ses origines et sa culture est comme un arbre sans racines.

La ville de Saint-Pierre, forte de son passé, est aujourd’hui une ville définitivement tournée vers l’avenir et l’international et veut faire des patrimoines naturel, matériels et culturels légués par notre Histoire de la Martinique dont elle est le berceau, des leviers de développement culturel, touristique et économique : « Grif an tè » !

 

Merci à toutes et à tous de m’avoir écouté !

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