Saint-Pierre : inauguration de la statue de Louis Delgrès

    La municipalité de Saint-Pierre et son premier édile, Christian Rapha, continuent d'honorer, après Cyparis, unique rescapé de l'éruption de 1902, les personnages qui ont fait de l'ancienne capitale de la Martinique non seulement un lieu de mémoire mais aussi celui d'un nouveau rayonnement tant pour la ville que pour notre île.

 

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   Louis Delgrès, né et élevé à Saint-Pierre en 1766, fut un héros de la lutte anti-esclavagiste en Guadeloupe où il était chef de bataillon. Son sacrifice, aux côtés de trois-cent de ses compagnons d'armes au Fort Matouba, nécessitait d'être gravé dans la pierre. D'où l'inauguration, le 28 mai, d'une statue en son honneur, créée par Hervé Beuze, et le discours prononcé en cette occasion par Christian Rapha, discours dont on trouvera le texte ci-après, cela en présence du principal du collège Louis Delgrès (St-Pierre), Félix Petit A noter qu'à l'Hôtel de ville le professeur d'histoire Philippe Pierre-Charles a également donné une fort intéressante conférence sur Louis Delgrès...

 

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LOUIS DELGRES, FILS DE SAINT-PIERRE,

DE LA CARAIBE ET DE LA REVOLUTION FRANCAISE

 

Mesdames et messieurs,

Chers (ères) amis (es) de Saint-Pierre et d’ailleurs,

Nous voici réunis ici, en ce 28 mai 2022, afin de rendre hommage à l’un des fils les plus renommés de notre cité, je veux parler de Louis Delgrès dont nous inaugurerons la statue ce soir.

Beaucoup a été écrit par nos historiens à propos de cet illustre personnage, des poètes et des romanciers l’ont également célébré, mais malheureusement le grand public, en Martinique en tout cas, le connait assez peu.

C’est précisément ce que nous avons voulus, nous élus de Saint-Pierre, réparer par la présente manifestation.

La première chose qui retient l’attention chez Louis Delgrès est qu’il était né libre. C’était « un libre de couleur », selon l’expression en usage à l’époque, au 18è siècle donc, puisqu’il a vu le jour en 1766.

Son père était un Blanc originaire de Bayonne et non pas un  Béké, toutes choses qui auraient fort bien pu l’amener à complètement ignorer le sort de la masse des esclaves noirs.

Or, tel ne fut pas le cas ! Tout simplement parce que Louis Delgrès est fils de la Révolution française, celle de 1789 qui avait aboli l’esclavage pour la première fois dans les colonies françaises, le 4 février 1794.

 Alors qu’il n’a même pas vingt ans, il adhèra aux idéaux républicains et à leur fameuse devise « Liberté-Egalité-Fraternité » et s’engagea dans la carrière militaire dont il gravira les échelons pas à pas jusqu’à devenir plus tard, après moult péripéties, chef de bataillon en Guadeloupe.

Mais dans la colonie qu’était la Martinique à l’époque, tout le monde, à commencer par les possédants, ne partageaient pas cette vision des choses et Delgrès du s’exiler à l’île de la Dominique avant de rejoindre celle de Tobago.

Par la suite, il combattra à Sainte-Lucie avant de gagner la Guadeloupe.

On le voit donc : Louis Delgrès, le Pierrotin et Martiniquais, fut aussi un Caribéen, cela à une époque où les moyens de transport et de communication étaient fort loin d’être aussi développés que ceux dont nous disposons aujourd’hui.

S’il aimait sa ville, s’il aimait son île, il ne s’est jamais fermé à l’Autre et c’est une leçon pour nous, aujourd’hui, ou plus exactement certains d’entre nous qui ont tendance à se méfier, voire à rejeter, nos voisins insulaires.

Homme de couleur libre, Delgrès se battit pour la liberté de tous et d’abord celle des esclaves, cela avec une détermination et un courage qui forcent l’admiration, mais ce combat, il l’a mené sans haine comme ont le constate dans la célèbre « Déclaration à l’Univers entier » publiée peu avant que lui et ses quelques trois-cents derniers combattants ne décident de se faire sauter au Fort Matouba, à Basse-Terre, en Guadeloupe.

Dans ce texte extraordinaire, dès son titre, il interpelle non pas les seuls Antillais, non pas les seuls Français de France, mais l’humanité toute entière.

Je ne peux m’empêcher d’en citer les sublimes premières phrases: 

   « Le dernier cri de l’innocence et du désespoir.

C’est dans les plus beaux jours d’un siècle à jamais célèbre par le triomphe des lumières et de la philosophie, qu’une classe d’infortunés qu’on veut anéantir, se voit obligée de lever la voix vers la postérité pour lui faire connaître, lorsqu’elle aura disparu, son innocence et ses malheurs »

Chers (ères) amis (es), cette postérité dont parle Delgrès dans sa déclaration, c’est nous !

C’est nous deux siècles plus tard, deux cent-vingt ans plus tard puisqu’elle date du 10 mai 1802.

Certes, les temps ont changé, les positionnements des uns et des autres ne sont plus les mêmes depuis la deuxième et définitive abolition de l’esclavage de 1848, mais le grand Pierrotin, Martiniquais, Guadeloupéen, Caribéen et Révolutionnaire français que fut Louis Delgrès continue à nous parler à travers sa trajectoire historique.

Sa déclaration universelle n’a pas pris une ride. Tout au contraire, dans ces temps troublés que nous vivons, elle peut nous aider à comprendre certains d’entre nos problèmes, certaines peurs qui nous paralysent.

Elle devrait être apprise dans nos collèges et lycées, en la replaçant bien évidemment dans son contexte historique, car elle est porteuse d’une valeur que tout être humain ne peut que défendre à savoir : la dignité.

Je ne peux terminer sans évoquer un autre de nos personnages célèbres qui m’est cher, à savoir Frantz Fanon.

Fanon est décédé à l’âge de 36 ans seulement et Louis Delgrès, lui, n’en avait que 35.

Je veux croire que leurs âmes, quelque que soit l’endroit où elles se trouvent, dialoguent sur l’humaine condition, la nôtre, celle qui, tantôt semée d’embûches, tantôt traversée de petits et grands bonheurs, fait de nous ce que nous sommes.

Louis Delgrès, Saint-Pierre t’exprime ce soir toute sa gratitude et son admiration !

   Je vous remercie.

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