Le député jovial, ancien joueur de rugby et informaticien de profession, qui n'hésitait pas à siéger à l'Assemblée nationale française en costume tahitien et en sandalettes, est devenu président de la Polynésie française suite aux élections territoriales du 30 avril dernier.
Moetai Brotherson, leader du parti indépendantiste Tavini huiraatira, disposera d'une majorité absolue au sein d'une assemblée qui compte 57 sièges et pourra donc mettre en oeuvre sa politique sans entrave. Ce que les médias soulignent assez peu c'est qu'il fut partie prenante du difficile combat pour l'inscription de la Polynésie dans la liste des territoires à décoloniser établie par l'ONU, cela de 2011 à 2013. Avec succès ! Nos autonomistes et indépendantistes martiniquais, toutes tendances confondues, ont-ils jamais entamé pareille démarche ? Jamais évidemment. Ils préfèrent gérer l'existant quand ils arrivent au pouvoir, mettant ainsi leur drapeau dans leur poche. Ou pour d'autre, gaspiller leur énergie pour tenter d'obtenir des réparations pour l'esclavage alors même qu'il n'existe aucune structure martiniquaise en mesure de recevoir lesdites sommes au cas où elles seraient versées. Ou pour d'autres encore, sombrer dans un délire noiriste à base de "libations aux Ancêtres" aux abords des "habitations békées". Ou pour d'autres encore, rêver de faire de la Martinique un deuxième Cuba.
Moetai Brotherson, lui, n'est pas dans de tels délires car il sait que l'important, ce ne sont pas les postures "révolutionnaires", mais le patient et difficile travail visant à convaincre ses compatriotes de la nécessité de l'indépendance. Cela sans vitupérations inutiles contre le pays colonisateur ! Dans son discours d'accession à la présidence du territoire, Brotherson a ainsi assuré la France "de son respect". Car il sait bien que quoiqu'anciennes colonies, ni le Sénégal ni le Vietnam ni la Tunisie ni le Cambodge ni même Haïti etc... ne sont les ennemis de la France. Le discours haineusement anti-France qui a cours dans certaines franges indépendantistes martiniquaises n'est rien d'autre qu'un aveu d'impuissance. Diaboliser "le Blanc" n'a jamais fait avancer l'idée d'indépendance d'un seul millimètre.
Car en matière de rodomontades ("pawol an bouch" dit ironiquement notre langue créole) nous sommes les champions du monde toutes catégories : tel leader autonomiste s'écriant, lors d'un meeting électoral, "Messieurs les Européens, partez avant qu'il ne soit trop tard !" alors que son parti, quelques années plus tard, appela à voter "NON" à une consultation qui nous aurait permis d'accéder à un début de commencement d'autonomie ; tel parti indépendantiste s'opposant à notre intégration au sein de la Communauté Européenne au motif que "le loup européen" (leitmotiv d'une chanson en vogue à l'époque) nous dévorerait tout cru en nous submergeant sous des hordes d'Européens avant, quelques années plus tard, une fois parvenu au pouvoir, de se vanter de consommer mieux que la droite et les autonomistes les fonds...européens attribués chaque année à la Martinique. Tous ces gens n'ont jamais fait leur auto-critique ! Il est vrai que l'esprit critique n'est déjà pas le fort de nos différents partis, toute personne osant questionner tel ou tel aspect de la "ligne" officielle se voyant immédiatement qualifiée de "déviationniste", de "traitre", de "professeur Tournesol" et autres joyeusetés du même tonneau. Pas étonnant que les différents partis autonomistes et indépendantistes se soient fractionnés au fil du temps, les "déviationnistes" s'en allant créer un énième parti. Tout cela à la grande joie d'un Etat français qui sait très bien que ces combats d'egos hypertrophiés est tout bénef' pour lui ! Bref...
Ensuite, Brotherson a promis un référendum sur l'indépendance dans 10 ou 15 ans. Cela peut paraitre éloigné dans le temps mais c'est justement le laps de temps nécessaire pour, d'une part, convaincre une majorité de Polynésiens et d'autre part, poser les bases d'une nouvelle société qui n'aura plus besoin des 1,5 milliards que la France verse au territoire chaque année (essentiellement sous forme de paiement des enseignants, policiers, pompiers, douaniers, personnel hospitalier, retraités etc...). 1,5 milliards peut sembler énorme mais il y a 193 pays au sein de l'ONU et parmi eux, une bonne cinquantaine qui seraient tout disposés à aider le nouvel état polynésien. Chez nous, en Martinique, un parti indépendantiste a-t-il jamais fixé une date, un horizon, pour un éventuel référendum sur l'indépendance ? Jamais évidemment ! Or comme il n'est pas possible d'installer un maquis dans les Pitons du Carbet et de rejouer la Sierra Maestra, il ne reste que la voie électorale et elle seule. Il est vrai que les Martiniquais ont rejeté à 80% en 2010 un tout petit début de commencement d'autonomie (Article 74) et qu'en cas de référendum sur l'indépendance ce pourcentage se monterait immanquablement à 95%. Mais c'est la faute à qui ? A la tutelle française, certes, qui nous répète que sans elle nous finirions "comme Haïti", mais aussi et surtout à l'impuissance de nos partis indépendantistes, toutes tendances confondues, à convaincre le plus grand nombre. Partis qui font semblant d'ignorer que lorsque les Martiniquais élisent un maire, un président de collectivité ou un député indépendantiste, ce n'est pas parce qu'ils sont favorables à une indépendance que lesdits élus n'ont d'ailleurs jamais clairement définie ni chiffrée, mais soit parce le candidat dispose d'un puissant charisme soit parce qu'il n'est pas un corrompu soit parce que les électeurs savent pertinemment qu'une fois élu, il s'installera dans son fauteuil sans bouger "d'une maille" pour faire avancer ou concrétiser l'idée d'indépendance.
Bref, ce qui vient de se passer en Polynésie devrait nous servir de leçon à nous, Martiniquais, et particulièrement à nos indépendantistes qui s'imaginent, chacun de leur côté avoir la science infuse et détenir la solution ou la clé de notre problème. Il faut d'abord sortir un peu de la démagogie populiste et convaincre les Martiniquais d'être au clair avec eux-mêmes, surtout les 70% qui ne vivent pas en-dessous du seuil de pauvreté. Ils ne peuvent pas continuer à avoir le beurre et l'argent du beurre. Diaboliser le "Blanc" tout en exigeant la continuité territoriale pour avoir des billets d'avion Martinique-Paris à 400 euros afin d'aller (pour nombre d'entre eux, pas tous évidemment !) faire les soldes sur les bords de la Seine. Dénoncer la présence française, tout en exigeant le maintien de tous les avantages acquis selon la formule consacrée autrement dit les 40% des fonctionnaires, l'allocation-chômage, la CMU, le RSA etc...Vouloir tout et le contraire de tout est une preuve d'infantilisme et quand cela touche tout un peuple, cela devient grotesque et ne peut que réjouir ceux qui ont intérêt au maintien du statuquo.
La Polynésie doit nous servir d'exemple.
Son peuple a subi des avanies similaires aux nôtres : colonisation, asservissement, massacres, destruction de sa culture et de sa langue, essais nucléaires (aux conséquences encore plus dévastatrices que celles du chlordécone) etc... Mais elle sait qu'on ne peut pas refaire l'Histoire. Ce qui a été fait a été fait ! Même Dieu, pourtant censé être tout-puissant, ne peut pas faire que Christophe Colomb n'ait pas conquis l'Amérique ou que l'Allemagne nazie n'ait pas existé. Dès l'instant où l'on prend cela en compte, on se doit, quand on est un peuple victime, sans gommer le passé, sans le renier aucunement, de chercher à esquisser une voie de sortie. Pas de manière grandiloquente mais de manière réaliste. Sans haine recuite contre l'Autre en tout cas.
C'est le chemin qu'emprunte Mothai Brotherson. Un chemin dont nous devrions nous inspirer, nous qui croyons pouvoir donner des leçons au monde entier alors même que nous sommes l'une des rares "colonie" existant sur la planète. Le mot "colonie" est mis entre guillemets car là encore, qui a vraiment réfléchi à la singularité, à l'étrangeté, de notre situation ? Nous sommes en fait un OPNI (Objet Politique Non identifié), un OVNI politique si l'on préfère. Vitupérer à longueur de journée contre "le colonialisme" sans chercher à identifier clairement ce que nous sommes devenus revient à s'enfermer, s'enferrer même, dans une posture, certes avantageuse mais stérile. Car dans une colonie, au sens classique du terme, les "indigènes" n'ont ni sécurité sociale ni allocation-chômage ni retraite ni NAO (Négociations annuelles Obligatoires) ni bien évidemment 40% de sursalaire pour les fonctionnaires. En fait, notre situation est assez similaire à celle d'Hawaï qui fait partie intégrante des Etats-Unis. Dès 1981, dans son ouvrage Le Discours antillais, Edouard Glissant avait mis en garde contre "le processus d'hawaïsation" qui nous pendait au nez mais personne n'a pris cet avertissement au sérieux. Or, il aurait fallu examiner attentivement la situation de ce territoire situé à 12.00kms des Etats-Unis, et non à seulement 7.000kms comme nous de la France, pour tenter de comprendre ce qui s'y est passé au lieu de nous complaire dans des postures guevaristes ou afrocentristes.
Muetai Brotherson a les pieds sur terre. Dans son parti, il y a une mouvance qui veut l'indépendance immédiate à commencer par celle conduite par son propre... beau-père, le célèbre Oscar Temaru, âgé de 78 ans aujourd'hui. On peut comprendre ce dernier : lorsque l'on arrive au terme de son existence, on n'a pas envie que l'idéal pour lequel on s'est battu tout au long de cette même existence ne se concrétise pas. C'est la même crainte qui taraude nombre d'indépendantistes martiniquais sexagénaires, septuagénaires et même octogénaires. C'est parfaitement normal ! Mais il y a le rêve et la réalité. Il y a surtout les erreurs que l'on a commises qui ont gravement entravé la réalisation de ce rêve et notre refus à tous de les reconnaître. Erreurs que continue, hélas, à commettre la relève quadra et quinqua.
Brotherson veut une accession progressive à la souveraineté nationale, une accession "douce" comme il le dit lui-même. Sans délire verbal (déjà analysé par Glissant dans l'ouvrage cité plus haut, soit dit en passant) sans rodomontades ni postures stériles. Sans haine du "colonisateur" surtout ni racialisme inversé car nul ne peut changer l'Histoire.
Souhaitons-lui bonne chance !
NB. La Guyane, quant à elle, se prépare à voter un projet d'évolution statutaire vers l'autonomie, projet très solide qui constitue un premier pas vers plus de responsabilité locale. Quid du Congrès de la Martinique ?
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