Aimé Césaire en 1962 : "Le créole est une langue à portée extrêmement limitée"

  L'archive de l'INA que l'on verra en bas du présent article date de 1962 et dans laquelle Aimé Césaire montre son dédain pour le créole est à replacer dans son contexte.

   Ce dédain contraste avec la débauche d'énergie que déploie aujourd'hui, son parti, le PPM (Parti Progressiste Martinique) afin de valoriser cette langue près d'une soixantaine d'années plus tard. On pourrait en sourire mais il faut se rappeler que dans les années 60, la quasi-totalité des intellectuels martiniquais étaient sur les mêmes positions que le père de la Négritude. En témoigne un article de Roland Suvélor dans la revue Acoma dirigée, par Edouard Glissant, qui pointe du doigt les limitations du créole. Mis à part Gilbert Gratiant, d'ailleurs installé en France, et son formidable Fab Compè Zicaque, personne ne pariait sur l'idiome des "vieux Nègres d'Habitation". 

   Cependant, à compter des années 1970-80, une pléiade de linguistes, sous la houlette de Jean Bernabé, de poètes, de fabulistes, de dramaturges et de romanciers a investi le créole pour tenter d'en faire une langue de plein exercice. Des mouvements nationalistes ou indépendantistes leur ont emboité le pas sans toujours comprendre d'ailleurs et cela jusqu'à aujourd'hui, qu'il ne s'agissait pas tant de parler la langue que de l'écrire. Dans le monde moderne, une langue qui n'accède pas pleinement à la souveraineté scripturale est condamnée à terme.

   Grâce au GEREC (Groupe d'Etudes et de Recherches en Etudes Créoles) du même Jean Bernabé qui oeuvra près de quatre décennies durant au sein de l'Université des Antilles et de la Guyane, puis à l'Université des Antilles, une Licence de Créole vit le jour, puis un Master et enfin un doctorat. Le GEREC est également à l'origine du CAPES et de l'Agrégation de créole. Cela permit de former des professeurs des écoles, de collège et de lycée qui oeuvrent depuis une vingtaine d'année au sein des établissements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane. 

   Pour en revenir à Césaire, ce sont les auteurs de l'Eloge de la Créolité (1989) qui ont le mieux explicité son positionnement. L'auteur du Cahier d'un retour au pays natal fut, déclarèrent-ils, non pas un "anti-créole" mais un "anté-créole". Il faut entendre par là que jusqu'aux années 60 du siècle dernier, ce qui importait, ce qui était urgent, c'était de défendre "l'Homme noir", "la race noire" ou l'africanité face à un système qui, plus de trois siècles durant, les avait dénigrés et déshumanisés. La Négritude fut donc un moment capital, indispensable même, dans notre histoire et son impact fut considérable sur les consciences. Ce n'est donc que dans un deuxième temps qu'il devint nécessaire de défendre une identité particulière, antillaise, créole ou caribéenne, chose à laquelle s'employèrent l'Antillanité, puis la Créolité.

   On constate donc qu'il n'y a aucune contradiction entre Négritude et Créolité contrairement à ce qu'on longtemps affirmés les césairistes et les césairolâtres qui vouèrent la Créolité aux gémonies. Tout comme continuent à le faire nos afrocentristes d'aujourd'hui lesquels ne se posent jamais la question de savoir pourquoi les états d'Afrique noire ou en tout cas leurs élites ne nous aident pas à accéder à la souveraineté qu'ils obtinrent ou arrachèrent dans les années 1960. Certains de ces "Kémites", comme ils s'autodésignent, contraints de faire face à la réalité, cherchent à débaptiser le créole en le qualifiant de "langue martiniquaise" ou de "martiniquais". Ce qui est tout simplement stupide car cela revient à choisir "le plus étroit contre le plus large" pour reprendre, de manière inversée, un propos de Césaire. Le créole relie Martiniquais, Guadeloupéens, Guyanais, Saint-Luciens, Haïtiens etc...qui n'ont pas besoin d'interprètes pour se comprendre. Dire "le martiniquais" reviendrait, s'agissant du français, à dire le belge, le suisse, le luxembourgeois ou le québécois. Ou, pour les hispanophones, le mexicain, le colombien, le panaméen ou l'argentin. 

   Sinon, en dépit des énormes progrès effectués par le créole, est-il pour autant sauvé ? NON bien évidemment ! Pour cela, il faudrait une véritable POLITIQUE LINGUISTIQUE comme celles qui ont été mises en oeuvre en Corse, à Tahiti, en Catalogne ou au Québec. Or, d'une part, les progrès en question ont été obtenus sans l'aide de nos politiciens antillais et guyanais et d'autre part, ces derniers se contentent aujourd'hui d'actions purement symboliques. On fête en grandes pompes en octobre "Le Mois du Créole" et puis en novembre ainsi que tout le reste de l'année on retourne aux choses dites sérieuses. Une formidable occasion a d'ailleurs été manquée sous la mandature d'Alfred Marie-Jeanne à la CTM (Collectivité Territoriale de Martinique) puisque dans le programme de la coalition qui a remporté les élections de décembre 2015, le Gran Sanblé, figurait la création d'un "OFFICE DE LA LANGUE CREOLE ET DES LANGUES DE LA CARAIBES". Or, cet office ne vit jamais le jour ! 

   Désormais, face à la décréolisation quantitative (diminution de nombre de locuteurs) et la décréolistion qualitative (l'espèce de sabir, de "francréole" que la plupart d'entre nous utilise), il y a URGENCE à mettre en place un tel organisme comme ce fut le cas, il y a quinze ans déjà, à l'île de la Réunion.

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