Sous l’égide de la DGLFLF* ou Direction Générale du monolinguisme d’Etat, se tiennent cette semaine à grands frais les Etats généraux du multilinguisme dont l’objectif affiché est notamment de « promouvoir une politique favorable au multilinguisme dans l’éducation… »
On pourrait presque s’en réjouir si le 21 mai dernier, le Conseil constitutionnel n’avait retoqué le dispositif d’enseignement immersif prévu par la loi Molac relative à la protection patrimoniale des langues régionales. Sauf à considérer que les juristes qui ont travaillé sur cette proposition de loi étaient incompétents, il était écrit que celle-ci allait se heurter au verrou constitutionnel de l’article 2 de notre Constitution. La première imposture est là : oser parler de « multilinguisme » dans le contexte juridique français, c’est oublier un peu vite que la Patrie des droits de l’Homme est parmi les derniers Etats européens à n’avoir toujours pas accordé aux langues régionales un statut constitutionnel digne de ce nom ; qu’elle n’a toujours pas ratifié la Charte européenne des langues régionales à un niveau suffisant ; qu’elle considère que nos langues « appartiennent au patrimoine de la France » (art.75-1) sans pour autant reconnaitre les droits culturels et linguistiques qui y sont attachés, pourtant catégorie des droits de l’Homme !...Une tradition juridique bien française et qui, pour les Peuples d’outre-mer, riches de leur diversité culturelle et linguistique, est le marqueur d’un néocolonialisme persistant et de la glottophagie qui l’accompagne.
Digne d’une opération d’enfumage au cynisme inégalé, la deuxième imposture est celle des Autorités académiques qui nous promettent désormais le plurilinguisme alors que ni leur feuille de route 2020/2024 et encore moins leur Plan Stratégique Académique 2021/2025 ne permettent d’entrevoir l’esquisse de l’esquisse d’un début de commencement d’une politique bilingue créole français. A ce quarteron de hauts fonctionnaires « sûrs d’eux et dominateurs », nous disons d’abord qu’un bilinguisme véritable ne saurait se résumer à « la prise en compte et à la valorisation du créole…et/ou de la réalité linguistique de l’élève… » et ni même se limiter à « …favoriser l’accueil en créole pour les petites sections de maternelles à chaque fois que cela est nécessaire… ». Nous ne pouvons ensuite que constater cet incommensurable mépris systémique pour la langue maternelle de 80 % de nos marmay quand est énoncé l’objectif visant à « s’appuyer sur le créole pour asseoir la maîtrise du français… ». Non, non et non, le créole réunionnais n’est ni une béquille, ni un gouni et encore moins un moyen de lutte contre l’échec scolaire !!! Cette conception toxique, susceptible de déboucher sur « un bilinguisme honteux », avait d’ailleurs été clairement rejetée dans le cadre du Plan d’Enseignement de la Langue et de la Culture réunionnaises votée en 2002 que le Rectorat s’est empressé de mettre à la poubelle…
Terminons enfin – la liste est loin d’être close ! – par l’alinéa 1.4 du PSA 21/25 qui ne prévoit l’ouverture de classes bilangues français créole dans le premier degré que « lorsque la demande le nécessite » ! Sur cette question de l’existence d’une demande sociale dans un contexte postcolonial, l’Etat français et la classe politique locale - pour des raisons faciles à comprendre ! ...- ont toujours fonctionné avec une belle synergie en décidant qu’elle n’existait pas ! Le récent sondage demandé par Lofis la lang kréol la Rényon vient apporter un démenti cinglant à une manipulation et/ou désinformation de l’opinion qui sévit depuis des décennies.
La demande de reconnaissance officielle de nout Kalité Rényoné au sein de l’Ecole et dans les institutions (Histoire, traditions, contes et légendes…) est donc forte et un enjeu crucial pour l’avenir du Peuple Réunionnais. Existentiel même car, comme le disait à juste titre Axel Gauvin, « si notre langue n’est pas enseignée, elle mourra » et notre culture avec ! Le moment est donc venu d’exiger de l’Etat français ou du Parlement que la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme soit saisie pour une expertise qui aura notamment pour but : d’analyser, d’évaluer… la politique « linguistique » du Rectorat de la Réunion sur ces 20 dernières années mais aussi le rôle de l’Université de la Réunion(INSPE) dans ce domaine et plus particulièrement pour la Formation des enseignants, de proposer les bases pour un nouveau Plan d’enseignement de la Langue et de la culture réunionnaises en y intégrant un véritable bilinguisme créole français équilibré…Cette Commission, dont personne ne pourra douter ni de l’intégrité ni de l’indépendance, pourrait également examiner les raisons profondes des fléaux sociaux que constituent l’illettrisme, l’échec scolaire… et formuler toutes recommandations utiles pour ces problématiques.
Nous persistons et signons à qualifier de linguicide doux la perpétuation d’une situation où la Francité est obligatoire et la Réunionnité facultative. Le bilan du Rectorat de la Réunion est en conséquence : en 20 ans, il aura « autorisé » 30 classes bilingues dans le premier degré. Le combat continue !
Michaël Crochet
* Direction Générale de la Langue Française et des Langues de France
...toute la "classe politique" (qui n’est d’ailleurs pas une "classe sociale") sur le même plan ? Lire la suite
...ou ka trouvé tout diks-li, òben yo ka viré enprimé tou sa i fè-a vitman présé! Lire la suite
...À une époque pas si lointaine, l’adjectif qualificatif "national" était fréquemment utilisé po Lire la suite
ce sera très drôle! Lire la suite
...vous vous bouchez les yeux quand il s'agit d'identifier les VRAIS responsables de la situation Lire la suite